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Sur la terre comme au ciel : qui habite au ciel ?

La prière du Notre Père demande à ce que le ciel devienne le modèle de ce qui doit se passer sur terre. Comment comprendre cette expression ? Quel est le sens du mot « ciel » dans ce contexte et qui l’habite ?  Je répondrai à ces questions en cinq points.

  1. « Ah si le ciel se déchirait » ! Le ciel dans l’Ancien Testament
  2. Le ciel présent sur terre en Jésus-Christ
  3. Qui habite le ciel ?
  4. Comment comprendre Éphésiens 6,12 ?
  5. « Sur la terre comme au ciel » dans le Notre Père

 

1. » Ah si le ciel se déchirait  » ! Le ciel dans l’Ancien Testament

Dans l’Ancien Testament, le ciel est créé par Dieu (Genèse 1,1). Mais Dieu est aussi chez lui dans le ciel : « les cieux sont les cieux du Seigneur, mais il a donné la terre aux fils d’Adam » (Ps 117,16)

Le ciel est sa demeure, son trône et il y convoque sa cour, « l’armée des cieux », les anges.

Ces images expriment la souveraineté de Dieu sur l’univers lequel est pénétré de son regard.

« La demeure céleste de Dieu évoque sa transcendance mais aussi sa présence toute proche, comme l’omniprésence du ciel autour de l’homme ».1

Le Dieu d’Israël est chez lui dans le ciel avec sa vérité (Ps 119,89), sa grâce et sa fidélité (Ps 89,3). Il est aussi Sauveur et veut répandre le salut sur la terre. 

Ces prières ardentes espèrent cette descente du ciel sur la terre : « Cieux, répandez votre rosée » – « Ah si tu déchirais les cieux et si tu descendais ! » (Es 63,19 ; 45,8)

Le salut d’Israël se trouve dès lors inscrit dans le ciel et va en descendre. Le livre de Daniel parle de ce mystérieux Fils de l’homme qui doit paraître sur les nuées du ciel (Dan 7,13).

 

2. Le ciel présent sur terre en Jésus-Christ

A Noël, la présence de ses anges parmi nous est le signe que Dieu a déchiré les cieux. Il est le Fils de l’homme descendu des cieux, Emmanuel, Dieu avec nous. (Luc 2,11-15)

Le ciel est un mot fréquent dans le langage de Jésus. Il n’en parle pas comme d’une réalité lointaine, mais comme d’un monde qu’il connaît intimement.   

L’œuvre de Jésus consiste à unir la terre au ciel, à faire que vienne le Royaume de Dieu. Il fait descendre le ciel sur terre. A tel point que l’expression « royaume des cieux » devient identique à « royaume de Dieu ». 

Par sa résurrection il a reçu « tout pouvoir au ciel et sur la terre » (Mat 28,18). Après s’être offert une fois pour toutes en sacrifice, il est entré dans le ciel où il ne cesse d’intercéder pour nous (Hébr 9,24-28)

Dès lors, exalté « plus haut que les cieux » (Hébr 7,26) et assis à la droite de Dieu, il a scellé entre le ciel et la terre l’alliance nouvelle (9,25) ; tous les êtres sont réconciliés par lui sur la terre comme aux cieux (Col 1,20). Et il charge son Église d’annoncer cette réconciliation.

Des signes sont donnés de cette réconciliation opérée par Jésus. Sur lui les cieux se sont ouverts (Mt 3,16), l’Esprit de Dieu est descendu (Jn 1,32) ; à leur tour les siens ont connu cette expérience à Pentecôte et à d’autres moments (Ac 2,2;9,3;10,11). 

A travers les siècles, l’Église est une Pentecôte continuée où s’accomplit la promesse du Christ : « vous verrez le ciel ouvert » (Jn 1,51)

Paul résume ainsi toute notre espérance :

« Quant à nous, nous sommes citoyens des cieux, d’où nous attendons que vienne notre Sauveur, le Seigneur Jésus-Christ. Il transformera notre misérable corps mortel pour le rendre semblable à son corps glorieux, grâce à la puissance qui lui permet de soumettre toutes choses à son autorité. » (Phil 3:20-21)

 

3. Qui habite le ciel ?

Qui sont les habitants du « ciel » selon le Nouveau Testament. Bien sûr le Père, le Fils et l’Esprit saint. Mais aussi les anges et les « esprits des justes ». Cependant le diable et les démons ne peuvent y pénétrer.

 

a. Les anges et les esprits des justes

Dans le récit de Noël, les anges venus du ciel visitent les bergers puis les quittent pour le ciel (Luc 2,15).

Ceux-ci sont en communion permanente avec Dieu : « Gardez-vous de mépriser l’un de ces petits ; je vous l’affirme, en effet, leurs anges se tiennent continuellement en présence de mon Père dans les cieux » dit Jésus. (Matthieu 18:10)

Ce cercle de communion s’élargit aux « saints ». Avec les anges, ils chantent la gloire de Dieu dans la Jérusalem céleste, comme le dit ce grand texte de la lettre aux Hébreux :

« Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste ; de dizaines de milliers d’anges ; de la réunion et de l’assemblée des premiers-nés inscrits dans les cieux; de Dieu, juge de tous; des esprits des justes portés à leur accomplissement; de Jésus, le médiateur d’une alliance neuve; et du sang de l’aspersion qui parle mieux que celui d’Abel.» (Hébr 12:22-24)

Bien sûr, le livre de l’Apocalypse en parle aussi, à plusieurs endroits :

« Après cela, je vis une grande foule, que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toutes tribus, de tous peuples et de toutes langues. Ils se tenaient devant le trône et devant l’agneau, vêtus de robes blanches, et des branches de palmiers à la main, et ils criaient : Le salut est à notre Dieu, qui est assis sur le trône, et à l’agneau ! Et tous les anges se tenaient autour du trône, des anciens et des quatre êtres vivants ; ils tombèrent face contre terre, devant le trône, prosternés devant Dieu. » (Apoc 7:9-11)

 

b. Le diable et les démons exclus du ciel

Le diable et les démons ont-ils une place dans le ciel de Dieu ? Non, il leur est définitivement fermé. Jésus voit Satan « tomber du ciel comme l’éclair ». Sa chute est la conséquence de la venue du Christ et de la prédication de l’Évangile par ses apôtres où l’humilité, l’esprit de pauvreté et l’amour des ennemis désarment l’envie et la violence qui dressent des hommes les uns contre les autres. (Luc 10,17-20).

Satan tombe comme l’éclair du ciel vers la terre. C’est donc que sur terre il n’a pas fini de faire des dégâts… Il est potentiellement vaincu, mais pas encore pleinement. Il faudra attendre la manifestation du Christ en gloire pour que cette victoire soit totale, un peu comme il a fallu attendre le 8 mai 1945 après le 6 juin 1944, entre débarquement et armistice, entre D-Day et triomphe final.

L’Apocalypse annonce que « le grand dragon, le serpent d’autrefois, celui qui est appelé le diable est Satan, celui qui égare toute la terre habitée, fut jeté sur la terre, et ses anges y furent jetés avec lui. »

Le diable n’a plus accès au ciel, mais continue à ravager la terre et ses habitants : « Le diable est descendu vers vous en grande fureur, sachant qu’il a peu de temps ! » Il s’attaque en particulier à « ceux qui gardent les commandements de Dieu et qui portent le témoignage de Jésus. » (Apoc 12:7-13, 17)

En fait, c’est de la terre que viennent les « bêtes », autres personifications démoniaques, et c’est sur terre qu’elles exercent leur pouvoir de séduction (Apoc 13:11-12).

La grande Babylone est aussi devenue « une habitation de démons, un repaire de tout esprit impur » (Apoc 18,2). Le « trône de Satan » n’est pas dans le ciel, mais à Pergame, centre du culte impérial pour l’Asie. « Là où Satan demeure » (Apoc 2,13).

 

4. Comment comprendre Éphésiens 6,12 ?

Le diable et ses anges maléfiques n’ont donc pas de place dans le « ciel », mais alors comment comprendre ce passage de la lettre aux Éphésiens :

« En effet, ce n’est pas contre le sang et la chair que nous luttons, mais contre les principats, contre les autorités, contre les pouvoirs de ce monde de ténèbres, contre les puissances spirituelles mauvaises qui sont dans les lieux célestes. » (Eph 6,12).

Dans la note à ce verset, la Traduction œcuménique de la Bible indique qu’il s’agit du seul passage du Nouveau Testament qui fasse des cieux la résidence des esprits du mal. Ce fait a intrigué les commentateurs depuis les Pères de l’Église.2

Est-ce parce qu’il ne pouvait admettre la présence de ces puissances démoniaques « dans les cieux » que le copiste du Papyrus 46 a omis ces mots dans ce verset ?

La description de la présence des esprits du mal « dans les cieux » (en tois epouraniois), unique dans tout le Nouveau Testament se rencontre en revanche dans certains textes apocryphes. [3].

A la fin de son étude, la plus complète sur ce sujet, J. Brannon note : « L’expression « dans les lieux célestes » est l’une des phrases les plus intrigantes de toute l’Écriture. Il n’y a certainement aucun autre endroit dans l’Ancien ou le Nouveau Testament qui décrit ainsi à la fois le lieu de présence de Dieu, le lieu d’exaltation du Christ à la droite de Dieu, le lieu des croyants terrestres et la demeure des puissances spirituelles maléfiques.

Ce qui s’est avéré être le plus troublant et le plus énigmatique pour les spécialistes des Éphésiens, c’est que les croyants terrestres sont assis « dans les lieux célestes » (Eph. 2.6) et que les puissances spirituelles maléfiques trouvent également leur demeure « dans les lieux célestes » (Eph. 6.12). La difficulté et l’apparente invraisemblance de ces deux affirmations ont par conséquent conduit les chercheurs à interpréter l’expression de diverses manières ».[4]

Les commentateurs s’accordent donc à dire que dans le contexte d’Ephésiens 6,12 « les lieux célestes » ne peuvent être les mêmes qu’en 2,6 où les croyants vivent avec Dieu, dans l’union avec le Messie. De plus en 3,10, « les Autorités et les Pouvoirs dans les cieux » sont les anges et non puissances mauvaises. C’est le contexte qui détermine le sens du mot (usus loquendi). Il n’est pas possible de concevoir la présence des forces maléfiques dans le « ciel » de Dieu ou dans la communion trinitaire. 

Calvin y voit une raison supplémentaire de craindre notre ennemi qui est non seulement invisible, mais combat aussi au-dessus de nous. Il faut donc se tenir sur nos gardes, car il a l’avantage d’une position plus élevée.[5]

Pour la Bible annotée, l’expression « dans les lieux célestes » ne veut pas dire le ciel lui-même, mais les ré­gions su­pé­rieures à la terre, et re­vient à cette autre ex­pres­sion déjà em­ployée en Éphésiens 2,2 pour décrire le lieu de l’action de Satan : «le prince de l’autorité de l’air».[6]

Comment comprendre ce titre donné à Satan « prince de l’autorité de l’air » (exousia tès aeros) en Eph 2,2 ?

Satan est considéré ici comme le Prince des démons qui, dans « l’air » constitue une puissance, toujours occupée à séduire les hommes et à les pousser à pécher. Par son œuvre le Christ nous a arrachés à son pouvoir (Voir aussi Jean 12.31 ; 2 Corinthiens 4.4; Colossiens 1.13).

Pour le judaïsme de la basse époque les démons résidaient dans l’air. Ils y constituaient un empire (exousia), qui avait à sa tête un prince (archon), en la personne de Satan.[7] 

En bref, par ces « lieux célestes » en Éphésiens 6,2, Paul ferait référence à la dimension spirituelle de notre existence sur terre, et non au ciel là où se trouvent Dieu, les anges et les saints.

Aucune force mauvaise n’est dans le ciel. Le diable et les démons agissent sur la terre, dans le domaine spirituel et invisible. Ils font partie de ce monde invisible qui traverse le visible, dont parle le Credo : 

Je crois en un seul Dieu,

le Père, le Tout-puissant,

Créateur du ciel et de la terre,

de tous les êtres, visibles et invisibles.[8]

 

5. « Sur la terre comme au ciel » dans le Notre Père

Le Père de l’Église Origène, au IIIe siècle, rattachait déjà ce complément « sur la terre comme au ciel » aux trois premières demandes. « Il est d’ailleurs fort possible, note la TOB, que cette phrase ne se rattache pas seulement aux derniers mots, mais à l’ensemble des trois demandes. Elle serait une sorte de conclusion répondant terme à terme à l’invocation : notre Père / dans les cieux : ciel / terre ».

Cette expression ne qualifie donc pas seulement l’accomplissement de la volonté mais aussi les deux autres demandes : que, « sur la terre comme au ciel », le Nom de Dieu soit sanctifié, que son Règne vienne et que sa volonté soit faite.

En fait le français inverse l’ordre des termes : le grec cite d’abord le ciel : « comme au ciel ainsi sur la terre » ; c’est-à-dire : de même que tout est accompli au ciel, qu’il en soit également ainsi sur la terre. L’idée est de prendre le ciel pour modèle et non l’inverse. Il est conçu comme Règne de Dieu parfaitement réalisé : la terre doit nécessairement être à son image.

L’expression signifie donc bien plus que « partout » : le « ciel » désigne le « lieu » où le nom de Dieu est pleinement sanctifié, son règne définitivement établi et sa volonté de Dieu parfaitement réalisée. Le ciel est le lieu où Satan et les démons ne peuvent entrer pour y « semer la zizanie » (cf Math 13,24-30).

Ces demandes invitent donc à faire descendre parmi nous « la culture du ciel » qui peut se résumer en un seul mot : Amour réciproque vécu pleinement entre les trois personnes divines en communion avec les anges et les « esprits des justes parvenus à la perfection » (Hébr 12,23).

Voici, en conclusion, ce qu’écrivent Monique et Thierry Juvet sur cette « culture du ciel » à vivre entre nous :

« Nous prenons modèle sur les relations qui existent dans le Ciel. Notre Dieu est Un et Il est Trinitaire. Trois personnes différentes, avec des ministères différents, Le Père le Fils et le Saint-Esprit, parfaitement unies dans l’amour. Entre eux circule constamment l’Honneur. Aucune crainte de vexer l’Autre ou d’être surpassé par l’Autre, aucune compétition entre eux, aucune comparaison, rien que la joie d’élever l’autre et de le bénir !

Un principe spirituel : nous sommes transformés à l’image de ce que nous adorons. Plus nous contemplons notre Dieu dans sa manière d’être en relation, plus nos relations vont lui ressembler.

« Que ton règne vienne ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » (Matthieu 6:10)

Le Royaume de Dieu sur la terre ressemble à la culture relationnelle du Ciel établie parmi nous ».[9]

[1] Vocabulaire de théologie biblique, Cerf, Paris, 2013, article Ciel.

[2] Cf Jeff Brannon, The Heavenlies in Ephesians. A Lexical, Exegetical, and Conceptual Analysis, London: T & T Clark, 2011, p.191; voir aussi Hans Bietenhard, Die himmlische Welt im Urchristentum und Spätjudentum, Mohr (Siebeck), Tübingen,1951, p. 211

[3] Ibid. p. 217. Le Testament de Salomon dit que les démons ont accès à la fois au ciel et à la terre (2,3 ; 20,12-15).  L’Ascension d’Esaïe – à la fois juive et chrétienne – localise la demeure de Satan et de son armée dans le firmament qui est en dessous des sept cieux (4,1-3 ; 7,9-12

[4] Ibid. p. 196.

[5] Commentaires bibliques. Epîtres aux Galates, Ephésiens, Philippiens et Colossiens, Kérygma-Farel, Aix en Provence, 1978, p. 237.

[6] https://www.levangile.com/Bible-Annotee-Ephesiens-6-Note-12.htm

[7]  Charles Masson note que selon la conception du monde des anciens, le domaine de l’air s’étendait de la terre à la lune. L’épître de Saint Paul aux Éphésiens, Delachaux et Niestlé. Neuchâtel, 1953, p. 158. Cf aussi Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament I, p. 165

[8] Le symbole de Nicée-Constantinople, selon la version adoptée par le Conseil des Églises chrétiennes de France. Voir https://unitedeschretiens.fr/CECEF-Credo.html 

[9] https://tmjuvet.leaderschretiens.com/2020/01/02/comment-vivre-des-relations-sur-la-terre-comme-au-ciel/


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