Le concile de Jérusalem est le premier de l’histoire de l’Église (Actes 15). Le concile par excellence, modèle de tous les autres, le seul à réunir les apôtres. Comme les conciles ultérieurs, celui de Jérusalem eut lieu pour répondre à une situation de conflit dans l’Église.
Cette année, nous faisons mémoire des 1700 ans du concile de Nicée qui s’est réuni en 325 pour résoudre un autre important conflit concernant la compréhension de la personne de Jésus-Christ, quand le prêtre Arius d’Alexandrie avait rejeté sa divinité. Ce concile a alors affirmé que Jésus est « vrai Dieu et vrai homme », selon les Écritures.[1] A cette occasion, il est bon de réfléchir sur cette dimension importante de la vie de l’Église qu’est un concile ou un synode. C’est ce que je propose de faire durant ce message.
Dans les Églises protestantes, nous avons une longue tradition de pratique du synode et nous en sommes fiers. L’Église catholique y a réfléchi aussi intensément, lors de deux synodes sur le sens du synode dans la vie de l’Église, ces deux dernières années. Mais le synode n’est pas une invention protestante, ni catholique. Il y a 1700 ans, le Concile de Nicée l’a pratiqué et avant lui les apôtres à Jérusalem.
L’origine des conflits
L’origine du conflit à Jérusalem se trouve dans l’action de personnes de l’entourage de Jacques (Gal. 2.12). Tout en croyant en Jésus, le Messie d’Israël annoncé par les prophètes, celles-ci estiment que les institutions mosaïques doivent aussi être appliquées aux non-juifs qui sont devenus croyants. Aussi veulent-ils « endoctriner » leurs frères et sœurs et les obliger à se soumettre à la loi de Moïse, à la circoncision, aux lois alimentaires, etc…, sans quoi, disent-ils, on ne peut être sauvé (v.1).
A l’origine d’un conflit dans l’Église, il y a souvent une compréhension biaisée de l’Évangile. On nie la suffisance du Christ comme chemin pour être sauvé. Croire en Jésus crucifié et ressuscité et le suivre jour après jour, voilà ce qui est essentiel, nécessaire et suffisant pour être sauvé.
Quand une personne ou un groupe essayent de proposer (d’imposer) un point de vue qui ajoute quelque chose à ce nécessaire et suffisant, la liberté chrétienne est en jeu. Personne n’a le droit d’ajouter quoi que ce soit à cet Évangile. Le faire conduit à de graves conflits. Les apôtres se dressent en face de cette proposition et refuseront tout compromis : le salut nous est accordé en raison de la seule foi en Jésus-Christ. Comme Jésus lui-même l’a dit : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ». (Marc 16,16). L’est ce que l’on appelle la « justification par la foi seule ».
Il faut toujours revenir à ce cœur vibrant de l’Évangile : « Car, en Jésus-Christ, ni la circoncision ni l’incirconcision n’ont de valeur, mais seulement la foi qui est agissante par l’amour », affirme Paul (Gal. 5.6).
Très vite, les positions des judaïsants sèment la zizanie dans la communauté. Discussions interminables. Oppositions entre Paul, Barnabas et ces gens. Les croyants sont troublés, blessés. Qui a raison ? Certains commencent à se tenir l’écart de la communauté. On risque la division.
Quels sont les lieux possibles de conflits aujourd’hui – à l’intérieur de notre Église ou entre Églises sœurs ? On ne les connaît que trop bien. Les questions éthiques, en particulier celles liées au sens de la conjugalité et au début ou à la fin de la vie, les dons de l’Esprit, la migration, la récente crise liée au Covid, le dialogue interreligieux, pour n’en citer que quelques-uns.
Certaines Églises ont connu des tensions, voire des divisions quand des conflits n’ont pas pu être résolus. Des membres ont quitté leur Église pour en rejoindre une autre, ou bien se tiennent en retrait.
Sept étapes pour la résolution d’un conflit dans l’Église
Il faut dire avant tout que dans l’Église, l’on ne peut se contenter de la perpétuation des conflits, ni de la coexistence polie de positions contradictoires, quand on a à cœur de vivre le testament de Jésus : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jean 17.21).
Cette prière de Jésus appelle à vivre l’Église sur le modèle de la relation entre le Père et le Fils. Elle nous conduit à approfondir toujours plus la vie communautaire, donc à prier et à travailler pour protéger, agrandir ou rétablir la communion ecclésiale dans sa diversité.
Selon le récit du livre des Actes (15), la résolution du conflit se fait en plusieurs étapes. J’en discerne sept :
– Discuter du problème dans un cercle élargi.
– Envoyer des délégués choisis par la communauté.
– Permettre à toutes les parties de s’exprimer.
– Se mettre à l’écoute des différentes voix dans l’Église.
– La prise de décision
– Le souci pastoral.
– La réception de la décision dans l’Église.
A. Discuter du problème dans un cercle élargi.
Comme l’Église d’Antioche n’a pas pu résoudre le différend, on décida de le discuter à Jérusalem avec les apôtres (v.2), qui sont les colonnes de l’Église. Le principe de l’élargissement du cercle en cas de conflit se trouve en Mat. 18.15ss : « Si ton frère refuse de t’écouter, prends avec toi une ou deux personnes ».
On commence à deux, puis à trois, puis on porte le problème devant un cercle plus large. Dans tous les domaines – vie conjugale et familiale, entreprise, association, etc… – on a besoin, à un moment donné, d’un conseil par une personne ou par un groupe extérieur. Dans l’Église, c’est à ceux qui représentent l’autorité que la question controversée doit être présentée.
B. Envoyer des délégués choisis par la communauté.
Alors que les judaïsants agissaient sans aucun mandat, sans communion avec les apôtres, les délégués sont choisis par la communauté. Ils n’agissent pas en leur nom propre. L’ »hérésie », c’est à la fois « choisir » ce qui nous plaît dans les Écritures, « se couper » de la communion dans la vérité garantie par les apôtres et « suivre » ses propres idées ou celles d’un meneur. D’où le soin pris pour choisir les délégués quand il s’agira, à la suite du concile de Jérusalem, d’apporter les résultats à l’Église d’Antioche (v.25).
C. Permettre à toutes les parties de s’exprimer.
A Jérusalem, les judaïsants sont aussi présents. Rien ne sera décidé sans qu’ils aient pu donner leur point de vue (v.5). Chacun doit pouvoir s’exprimer.
je revendique ce droit pour toi d’abord, qui pense autrement que moi. Comment la proclamation de la liberté en Christ a-t-elle pu se traduire en monopole, en inquisition, en négation de la liberté de l’autre ?
Jacques Ellul écrivait : « L’usage du credo, des dogmes pour justifier l’oppression religieuse constitue exactement une forme d’idolâtrie. Lorsque l’Église et les chrétiens récusent la liberté religieuse, ils se nient eux-mêmes ».[2]
Cependant, les Églises protestantes ont aussi à se remettre en question, lorsqu’elles légitiment un pluralisme qui conduit à inclure dans leurs synodes des affirmations sur le Christ qui nient ou taisent sa divinité.
La commémoration des 1700 ans du Concile de Nicée et de son credo devrait nous interpeller. (Lire ici mon article à ce sujet: https://www.hoegger.org/article/nicee-protestantisme/
D. Se mettre à l’écoute des différentes voix dans l’Église.
Dans l’Église de Jérusalem, se trouvaient réunis les différentes sensibilités représentées par les apôtres. Chaque apôtre apporte une voix particulière au chœur, subtil et varié, de l’Église mère. Pierre (avec l’importance du ministère), Jacques (avec l’importance de la tradition), Paul (avec l’importance de la liberté et de la nouveauté) soulignent chacun un aspect de la vérité, qui est plurielle. C’est l’amour fraternel (représenté par Jean) qui permet à tous ces visages de se regarder en face et à la pluralité des points de vue de s’harmoniser.
Dans le concert des Églises d’aujourd’hui se retrouvent ces différents visages d’apôtres. Aucune ne peut prétendre avoir le monopole de la richesse apostolique, d’où la nécessité du dialogue œcuménique dans l’amour, qui permet l’accueil du visage de l’autre.
A ce propos, Marc Boegner, ce grand œcuménisme réformé, écrivait : « Pour aller au monde, y affirmer une présence qui soit vraiment un apostolat, un témoignage et un service chrétiens, nous devons être des chrétiens rayonnant de sainteté et d’amour à l’image de Celui dont nous nous prétendons les disciples. Pour avancer vers ce but, nos Églises comprendront-elles qu’aujourd’hui aucun problème doctrinal ou ecclésial, de diaconie ou de mission, ne peut se poser ni trouver sa solution que dans la dimension œcuménique voulue, et peu à peu consentie par toutes les Églises chrétiennes et que ce sera plus vrai encore dans les décennies à venir ? »[3]
Excursus : l’Église de Jacques
Une grande question qui se pose aujourd’hui au corps du Christ est celle de l’accueil de « l’Église de Jacques », à savoir de ces juifs, de plus en plus nombreux, qui reconnaissent en Jésus (ou « Yeshoua » en hébreu) le Messie d’Israël. Comment les accueillir alors qu’ils veulent garder des éléments fondamentaux de leur judaïté : le shabbat, le calendrier, la circoncision, la Bar Mitzvah et les règles alimentaires, pour ne citer qu’elles ? Comment les accueillir alors que, pendant des siècles, l’Église les a exclus ? En particulier après le Concile de Nicée, qui, sur ce point, n’a pas été inspiré !
La démarche du mouvement « Vers un second Concile de Jérusalem » (TJCII) invite à marcher vers une reconnaissance mutuelle. J’ai découvert cette démarche récemment lors d’une rencontre en Suisse et je m’y suis engagé, après avoir été membre depuis plus de 40 ans des Amitiés judéo-chrétiennes en Suisse romande.
Alors qu’à Jérusalem, il y a bientôt deux mille ans, un concile a décidé, à cause du Christ, d’accueillir les chrétiens des nations dans l’alliance abrahamique renouvelée et élargie, un second Concile de Jérusalem devrait décider comment accueillir ces juifs croyant en Yeshoua. Je participerai en octobre de cette année à une rencontre internationale de ce mouvement TJCII â Jerusalem. Elle sera une étape vers ce concile. Merci de prier pour ce chemin.
- La prise de décision
Les apôtres font part de leur décision en affirmant : « l’Esprit saint et nous-mêmes avons décidé… » (v.28) Parce que les apôtres étaient unis dans le nom du Christ, dans l’amour fraternel, le Ressuscité était au milieu d’eux. Son Esprit les a éclairés sur la décision à prendre. Aucune charge ne sera imposée aux chrétiens non-juifs : « C’est par la grâce du Seigneur Jésus que nous avons été sauvés, exactement comme eux » (v.11).
Pourquoi tant de réunions nous laissent-elles insatisfaits ? Pourquoi est-il si difficile d’arriver à prendre une décision où chacun s’y retrouve ? C’est peut-être parce que nous ne prenons pas assez au sérieux la promesse de Jésus : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin ». Il faut lui donner sa place au milieu de nous. Voilà le secret. Comment le réaliser ? En nous assurant avant toute activité que règne l’amour réciproque : « Ayez avant tout un amour constant les uns envers les autres » (1 Pierre 4.8). C’est ce qui permet à l’Esprit du Ressuscité de donner sa lumière, sa clarté. C’est sûrement la meilleure manière d’être vraiment fidèle à Jésus-Christ, lui qui a dit : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples » (Jean 13,35).
Nous avons aussi à nous souvenir qu’un synode n’est pas un simple parlement politique où l’on prend les décisions avec le vote majoritaire. Le premier protagoniste d’un synode est en effet le Saint-Esprit. La nature profonde de l’Église est d’être le Corps du Christ animé par l’Esprit saint.
Aujourd’hui, sous l’impulsion du Conseil œcuménique des Églises, de plus en plus d’Églises protestantes adoptent d’autres procédures de prise de décision que le vote majoritaire , comme le discernement par consensus. https://www.hoegger.org/article/consensus/
A propos d’une méthode analogue utilisée dans le cadre du récent synode de l’Église catholique, celle de la « conversation dans l’Esprit », Dirk Lange, délégué de la Fédération luthérienne mondiale, dit qu’elle n’est pas un processus démocratique et parlementaire. Elle a permis de trouver une autre voie, même dans des questions où l’on était en désaccord. On permet à l’Esprit-Saint d’abattre des barrières et de vivre une Église qui s’engage davantage pour la communion. « Si la conversation dans l’Esprit avait eu lieu au 16e siècle, il n’y aurait pas eu de division », s’est-il exclamé lors d’une rencontre à laquelle j’ai récemment participé.
- Le souci pastoral.
Si la décision des apôtres ne souffre aucun compromis sur le principe, elle propose toutefois un modus vivendi qui conduit à respecter les croyants d’origine juive. Les apôtres invitent les croyants issus du paganisme à « s’abstenir des viandes de sacrifices païens, du sang, des animaux étouffés et de l’immoralité. » (v.29)
Il s’agit donc de respecter la conscience de l’autre, qui pourrait être choqué par telle attitude dans les choses de la vie. La liberté chrétienne conduit à me restreindre volontairement dans ma liberté d’user de toutes choses – ce que je peux, étant « libre à l’égard de tous » (1 Cor. 9.19ss) – afin d’éviter d’offenser ceux qui ont une conscience différente.
Ce qui vient en premier n’est pas un principe, mais toujours la personne concrète, à aimer et à gagner à la liberté de l’Esprit ; l’important n’est pas la victoire de l’orthodoxie sur l’hérésie, mais le frère et la sœur avec qui établir une relation de communion en Christ, chemin de vie et de vérité.
- La réception de la décision dans l’Église.
Le décret des apôtres a été apporté par lettre, par des délégués dûment mandatés par les apôtres. Elle a été lue à toute l’Église d’Antioche. Elle a apporté joie et encouragement (v.31). Judas et Silas, deux prophètes, encouragèrent de vive voix la communauté.
On siège de longues journées en synodes ou en assemblées. Mais, combien de décisions prises au sommet descendent jusqu’à la base ? En fait rien ne change dans l’Église, si une réalité n’est pas d’abord vécue à la base. Mais, si c’est le cas, cette réalité de vie monte rapidement au sommet, qui alors peut prendre la mesure des pulsations du corps ecclésial (le « sentire cum ecclesia »), puis elle redescend à la base et peut être reçue largement et joyeusement. L’Église se renouvelle ainsi : tout commence par des initiatives vécues à la base, dans les communautés. Je l’ai vécu tant de fois.
Conclusion : une bonne nouvelle !
En conclusion, j’ai une bonne nouvelle à vous annoncer. Un conflit dans l’Église peut être résolu. Mais, il faut souvent du temps, parfois beaucoup de temps. Pensons aux siècles de divisions entre les Églises…Ces étapes – on pourrait en rajouter d’autres – peuvent nous inspirer et nous redonner l’espérance.
N’ayons pas peur des conflits et ne les étouffons pas ! Un conflit est une occasion d’approfondir nos relations, de vivre l’invitation de Jésus à « aimer son ennemi », de dialoguer et d’affiner notre discernement.
Et, si dans l’immédiat tel conflit nous semble insurmontable, si nous expérimentons un douloureux abandon, n’oublions jamais que Vendredi saint n’a pas été le dernier mot de l’histoire.
Mettons nos pourquoi dans le « pourquoi » crié par le Christ dans son abandon ! Continuons à aimer Dieu, comme lui l’a aimé jusqu’au bout !
L’Esprit qui l’a ressuscité des morts, agira et ouvrira des portes toutes nouvelles que nous n’aurions jamais imaginées !
[1] Sur ce concile, cf le séminaire œcuménique auquel j’ai apporté une contribution « Depuis Nicée marcher ensemble vers l’unité. Le début d’un nouveau départ. https://www.hoegger.org/article/commemorer-le-concile-de-nicee-le-debut-dun-nouveau-depart/
[2] Jacques Ellul, Les combats de la liberté, Labor et Fides, Genève,1984, p.214
[3] Marc Boegner, L’exigence oecuménique, Albin Michel, Paris, 1968, p.315.
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