Jean Zizioulas, prophète de l’écologie orthodoxe

* Par Martin Hoegger

La crise écologique ne se résout pas par des technologies vertes ou des traités internationaux. Elle demande une conversion du cœur et la redécouverte du sens spirituel du monde. Tel fut le message prophétique du métropolite Jean de Pergame (Zizioulas, †2023), dont la pensée a profondément renouvelé la théologie orthodoxe et inspiré le mouvement œcuménique pour la sauvegarde de la création.

Lors d’un congrès à l’Académie Patriarcale de Crète, le théologien et sociologue grec Dr Constantin Zormbas, Directeur général de l’Académie Orthodoxe de Crète, lui a rendu hommage dans une conférence dense et lumineuse. En s’appuyant sur son œuvre, il a montré, avec d’autres orateurs, combien Zizioulas fut un pionnier d’une pensée écologique enracinée dans la foi et la liturgie.

Une théologie née de la liturgie

Dès 1967 Zizioulas pose les bases d’une théologie écologique profondément spirituelle[1]. La création n’est pas une ressource à exploiter, mais le lieu de la rencontre entre Dieu et l’homme. Dans la Divine Liturgie, le prêtre élève le calice en disant : « Tes dons, de ce qui est à toi, nous te les offrons. » Ce geste résume toute sa théologie : l’homme offre à Dieu les fruits de la terre qu’il a reçus de Lui, pour les voir transfigurés. Dans ce mouvement de don et de retour, le monde est sanctifié. L’homme devient « prêtre de la création », intendant et serviteur du cosmos.

Dans l’Eucharistie, la matière devient lieu de communion : le pain et le vin, sanctifiés par l’Esprit, deviennent Corps et Sang du Christ. Cette transfiguration annonce la vocation ultime de la création : participer à la vie divine.

La crise écologique, une crise spirituelle

Pour Zizioulas, la destruction de la nature est le symptôme d’une crise spirituelle : l’humanité a perdu le sens eucharistique du monde. Dès lors qu’elle cesse de se percevoir comme médiatrice et servante, elle devient dominatrice et prédatrice. Le monde, créé pour la communion, est devenu objet d’exploitation. « Si nous ne nous engageons pas sérieusement, disait-il, nous serons coupables devant Dieu pour notre indifférence. » La véritable réponse à la crise n’est donc pas technique, mais spirituelle : une métanoïa, un retournement du regard.

L’humanité, prêtre du cosmos

L’expression de Zizioulas — « l’homme, prêtre de la création » — est devenue classique. Elle signifie que l’être humain est appelé à offrir le monde à Dieu dans la gratitude et à sanctifier la matière par l’amour. La liturgie devient ainsi l’acte écologique par excellence : elle rend au monde sa vocation de communion.

Une écologie œcuménique

Zizioulas fut un acteur majeur du dialogue entre les Églises sur la question écologique. Actif dans le Conseil œcuménique des Églises et collaborateur du Patriarcat de Constantinople, il contribua à l’instauration du 1erseptembre comme Journée de prière pour la création. En 2015, il salua l’encyclique Laudato si’ du pape François : « La menace écologique dépasse nos différences ; nous devons l’affronter ensemble. » Par son influence, la théologie orthodoxe a trouvé un langage commun avec les autres traditions : gratitude, sobriété et sanctification du monde.

Une pédagogie spirituelle

Plusieurs autres orateurs ont souligné l’importance de la pensée de Zizioulas. Selon le professeur Polykarpos Karamouzis, la pensée de Zizioulas appelle une éducation écologique enracinée dans la foi. Dans la tradition orthodoxe, l’eau, la terre et l’air sont porteurs de bénédiction. Les gaspiller, c’est profaner des dons sacrés. Le désastre écologique devient alors une faute spirituelle : une absence de reconnaissance envers le Créateur. Enseigner la gratitude, c’est déjà entrer dans la conversion écologique.

Le péché écologique et la repentance

Le professeur Christophe Arvanitis souligne la dimension pastorale de la pensée de Zizioulas : détruire la création, c’est pécher. Ce « péché écologique », reconnu aujourd’hui dans les textes du Patriarcat œcuménique, exige repentance et confession. La communauté, dit-il, doit apprendre à assumer les fautes de ses membres. L’écologie n’est pas seulement affaire d’éthique, mais de salut : celui qui pollue délibérément doit changer de cœur pour pouvoir communier à nouveau à la vie divine.

Une théologie du cosmos

Le professeur Stylianos Tsophanidis voit en Zizioulas le véritable « bras théologique » du patriarche Bartholomée. Il a donné à la théologie orthodoxe une dimension cosmique : le salut concerne non seulement l’homme, mais toute la création. Le Saint-Esprit vivifie le monde et prépare sa transfiguration. La théologie de Zizioulas est ainsi « cosmothéandrique » : Dieu, l’homme et le monde unis dans une même vocation à la vie.

Conversion intérieure et espérance

L’archevêque de Crète Evgenios a rappelé que la surconsommation et le tourisme de masse défigurent son île. La réponse, disait Zizioulas, doit être spirituelle : « La crise écologique est d’abord une crise du cœur. » Retrouver la beauté de la simplicité, la joie eucharistique et la sainteté du quotidien, c’est déjà guérir la relation au monde. Respecter la nature, c’est honorer le visage de Dieu dans la création.

Conclusion

L’héritage de Jean Zizioulas demeure une source d’inspiration pour la théologie de la création. En rappelant que tout acte de foi authentique est action de grâce, il a introduit l’écologie dans une autre dimension : celle d’une communion entre Dieu, l’humanité et le monde. Dans un temps où la planète souffre de la démesure humaine, sa pensée appelle à une écologie de la gratitude et de la sobriété, où la prière devient un acte de résistance et d’espérance.

Lire Zizioulas, c’est comprendre que la conversion écologique commence dans l’action de grâce et se poursuit dans la vie quotidienne, là où l’homme apprend à offrir la création comme un don, non à la posséder comme un bien.

Un site est consacré à la personne et à l’œuvre de Jean Zizioulas, où se trouve le portrait ci-dessus.

Pour d’autres articles sur le thème de ce symposium, voir ici : https://www.hoegger.org/article/eco-theologie


[1] Dans article “La Vision eucharistique du monde et l’ homme contemporain”, Contacts 19 (1967), 83-92.


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