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L’apport des mouvements à l’oecuménisme et à l’Eglise réformée

L’Eglise est le lieu de l’expérience de l’Esprit saint. Et on la fait soit dans les paroisses ou dans d’autres lieux d’Eglise, soit aussi dans des communautés, des mouvements. Quelles expériences de rencontre avec ces groupements ont-elles été vécues dans le Canton de Vaud? Quelles contributions apportent-elles à l’œcuménisme ? Quelles questions posent-elles à l’Eglise réformée? Et quelles questions cette dernière lui pose-t-elle? La deuxième partie portera sur l’expérience originale d’Ensemble pour l’Europe, une communion de communautés et mouvements, dont la quatrième rencontre internationale s’est tenue à Munich, en juillet 2016.

1. Expériences dans le canton de Vaud                                 

1.1 Les célébrations de la Parole dans la cathédrale de Lausanne

Depuis, quelques années, nous faisons l’expérience d’une unité dans la diversité. Nous la vivons en particulier lors des célébrations de la Parole à la cathédrale de Lausanne, qui, chaque premier dimanche mois, permet aux diverses Eglises de la Communauté des Eglises chrétiennes dans le canton de Vaud (CECCV) de prier ensemble. Ces célébrations ont rassemblées aussi plusieurs mouvements, communautés et œuvres ecclésiales. Dès 2004, plus de 100 célébrations nous ont rassemblés dans ce magnifique édifice. C’est l’occasion très concrète de découvrir les diverses manières de prier et de communiquer la Parole de Dieu. Donner cet espace aux communautés et mouvements est aussi une manière de les reconnaître et d’apprécier leur contribution.
Frère Alois, le prieur de Taizé, écrit au sujet de ces célébrations : « Pour y avoir participé à plusieurs reprises, nous les frères de Taizé, nous savons combien votre initiative de célébrations de la Parole à la Cathédrale de Lausanne est précieuse pour aider les chrétiens à cheminer ensemble vers l’unité. Nous retrouver ensemble en présence de Dieu dans l’écoute de sa Parole, le silence et la louange, c’est déjà anticiper une unité. A travers une prière toute simple, l’Esprit Saint déjà nous unit. Humblement, dans une telle prière, nous apprenons à appartenir les uns aux autres. Et cela permet sans doute aussi au dialogue théologique d’avancer ».
Le 5 septembre 2010, une grande célébration œcuménique a noué la gerbe. Toutes les Eglises et communautés ont été invitées à célébrer le Christ. Le thème « Ensemble et divers » a été vécu concrètement par une mise en commun de nos diversités. Pour l’illustrer un vitrail mobile a été monté ; il s’agit de 25 pièces composées chacune des sept couleurs de l’arc en ciel mis en place par autant de responsables des Eglises, communautés et mouvements. Une manière très parlante de signifier un appel à la communion entre les Eglises et les mouvements.

1.2 Une journée avec des communautés et des mouvements.

Le dimanche 2 mars 2008, la CECCV a organisé une journée de rencontre sur le thème « Vivre et transmettre ensemble l’Evangile ». Journée conclue par une célébration dans la cathédrale de Lausanne. Une vingtaine de groupes, mouvements et organismes y ont participé. Tous ont une ouverture œcuménique ; certains sont de nature œcuménique. « Nous avons des manières différentes d’appréhender les choses, mais ce qui importe ce n’est pas ce qui nous sépare mais ce qui nous unit. Et ce qui nous unit, c’est l’amour de Jésus Christ », a-t-il été dit dans l’introduction.
Au cours des présentations, on a pu s’émerveiller devant la diversité des activités qui se font en commun au plan œcuménique dans beaucoup de régions du Canton. Quand on entend toutes ces descriptions, on sent l’engagement extraordinaire de nombreux chrétiens dans des actions vraiment multiples. Cela révèle une réalité d’Eglise qui n’apparaît pas au premier abord.
Parfois on a l’impression que chacun ‘fait son truc dans son coin’, mais dans une rencontre comme celle-ci, on voit émerger les convergences, qui révèlent un souffle de l’Esprit Saint.
Nous nous sommes rendu compte que nous avons besoin de mieux nous connaître les uns les autres. Si nous mettons en lien nos diverses expériences et notre manière de voir les choses, nous pourrons vivre et transmettre l’Evangile de manière plus pertinente.
Construire quelque chose ensemble, au-delà de nos particularités, n’est pas simple, c’est un vrai exercice de vie œcuménique concrète : apprendre à s’écouter, s’accepter, s’interpeller, se corriger, s’affirmer sans blesser si possible, ne pas laisser dire et faire n’importe quoi sous prétexte de respecter la parole de l’autre.

1.3 Une réflexion œcuménique sur l’Evangélisation intègre l’expérience des communautés et des mouvements ecclésiaux

En 2006 la CECCV a suscité une large réflexion sur l’évangélisation, qui a abouti à la publication d’une brochure : « Vivre et transmettre ensemble l’Evangile ». Dans celle-ci elle attire l’attention sur l’expérience des mouvements ecclésiaux et des communautés nouvelles, tout comme les monastères, qui ont toujours joué un rôle dans la mission et l’évangélisation, hier comme aujourd’hui. Qu’on pense seulement, dans notre pays, à la contribution des « Pères du Jura » dans l’évangélisation de nos campagnes !
« Avant le souci des formes et des structures, on y témoigne d’une expérience de vie », dit ce livret à leur sujet. Il mentionne en particulier la communauté de Taizé, qui touche et attire les jeunes. Il invite ces communautés et mouvements à chercher une communion entre eux et avec les Eglises. Mais il appelle aussi les Eglises à accueillir et discerner les charismes, dont les mouvements sont porteurs. « Les charismes, conclut-elle, sont des dons gratuits du Christ, qui mettent en route. Chaque mouvement s’engage selon ses charismes et ses possibilités pour faire avancer la mission du Christ ».

1.4 Accueillir les mouvements et les communautés dans l’Eglise réformée  

Entre 2005 et 2007, un groupe de travail de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) a travaillé sur le thème de la relation entre l’Eglise réformée avec la mouvance « évangélique », à la fois interne et externe à l’Eglise. Une des questions débattues a été la relation entre les mouvements, les communautés et l’Eglise.
Ce groupe – que j’ai présidé – a commencé par reconnaître que la paroisse et les autres lieux de l’Eglise ne sont pas les seuls moyens par lesquels l’Esprit saint agit pour que l’Evangile soit connu et vécu. De nombreuses personnes de l’EERV sont reliées à des mouvements, des œuvres ou encore des communautés.
Nous pouvons classer ces associations ainsi :
a) Mouvements d’origine réformée : Union chrétienne des jeunes gens, Union de prière de Charmes, l’Espoir, Les Veilleurs, etc…
b) Œuvres et mouvements à spiritualité évangélique dans lesquels des réformés sont actifs : Campus pour Christ (Forum des hommes, Petits déjeuners contact, etc…), Ligue pour la Lecture de La Bible, Groupes bibliques universitaires, Jeunesse en mission, Alphalive, etc…
c) Des réformés reliés à des communautés protestantes (ou d’origine protestante) : Tiers ordre de l’Unité de Grandchamp, Foyers de l’unité de Taizé, Compagnons de Pomeyrol, Bergères de Saint Loup.
d) Membres protestants dans des mouvements catholiques : Mouvement franciscain laïc, Focolari, S. Egidio, Chemin Neuf, Fondacio, Cursillo, Communauté Vie chrétienne, etc…

Qu’apportent ces groupements ? D’abord une possibilité pour les personnes d’être renouvelées dans leur foi et soutenues dans leur engagement chrétien : celles-ci sont alors capables de donner un témoignage significatif de vie chrétienne. Puis une capacité de raviver le dynamisme de la vie paroissiale. Le rôle de ces groupements demeure particulièrement important pour répondre aux défis du phénomène de déchristianisation.
D’autre part, dans une société tellement imprégnée d’individualisme et dans laquelle beaucoup souffrent de solitude, la contribution de ces groupements revêt une grande importance.
Enfin, ces mouvements laïcs sont des acteurs importants du renouveau de la vie des Eglises. Ils sont les témoins de la vocation du peuple de Dieu tout entier au service et au témoignage, ainsi que de l’action de l’Esprit saint répandant ses dons sur tous les chrétiens et suscitant des personnalités prophétiques et charismatiques.
Comment l’EERV est-elle attentive au défi lancé par ces groupements ? Comment sont-ils accueillis dans la vie des paroisses et autres lieux de notre Eglise ? Reconnaissons qu’il y a souvent des résistances, voire des méfiances à leur égard. On craint en particulier qu’ils forment des « ecclésioles » et orientent la spiritualité des fidèles dans un sens trop particulier.
Certains ministres sont membres d’un groupement, ou bien marqués par sa spiritualité. Cela constitue pour eux une source de soutien et d’enrichissement spirituel, qui se manifestera par un dynamisme, au bénéfice de toute la paroisse. Le ministre, et le conseil avec lui, devront toutefois veiller à ce que le mouvement auquel il appartient ne monopolise pas les activités de la paroisse ; ils veilleront également à la diversité des offres.
Il s’agit donc d’exercer un discernement (et non un contrôle qui paralyse la vie spirituelle !) à l’égard des mouvements ou communautés, en ayant à cœur de développer la communion ecclésiale. Le défi est d’accueillir avec discernement l’expérience chrétienne de ces groupements et à veiller à la diversité des offres dans une paroisse où ces groupements sont présents.
Finalement j’aimerais souligner l’importance pour les ministres et les conseils de se former à une « spiritualité de communion , qui leur donnera des ressources pour devenir les artisans persévérants de la communion dans leurs lieux d’Eglise. Une communion qui s’enracine dans la vie trinitaire divine et qui ouvre à toutes les réalités de la vie communautaire, aux autres Eglises et à l’Eglise universelle.
Pour continuer la réflexion, je vous propose trois questions :
• Comment percevez-vous l’influence des mouvements, œuvres et communautés dans la vie de l’Eglise et la vie paroissiale ?
• Quels sont les lieux de ressourcement des membres de notre Eglise ?
• Quelles informations transmet-on (ou non) dans nos paroisses au sujet des activités de ces groupements ?

1.5 Quel accueil de l’expérience de l’Esprit saint ?

Selon les Principes constitutifs de l’EERV, chaque baptisé a reçu de Dieu « une vocation et des charismes » (Art. 6). Cette mention des charismes rappelle qu’il n’y a pas de vie chrétienne possible sans l’œuvre de l’Esprit Saint.
Les communautés et les mouvements expriment la dimension charismatique de l’Eglise. Ils interpellent sur la place de l’Esprit saint dans la vie de l’Eglise. Comment redécouvrir le rôle de l’Esprit saint pour le renouvellement de l’Eglise ?
Le même groupe mentionné plus haut a également réfléchi à ces questions et je tire à nouveau ma réflexion à partir des siennes. Alors que notre Eglise a valorisé les médiations traditionnelles de la Grâce de Dieu – la Parole de Dieu, le culte, la prière et les ministères – elle reconnaît également que des charismes sont donnés à tous les membres de l’Eglise en vue de son édification. (Principes constitutifs de l’EERV, art. 6)
C’est le même Esprit qui agit à travers les ministères et qui « accorde à chacun des dons personnels divers, comme il veut » (1 Cor. 12.11). L’Esprit saint « souffle où il veut » ; aucune Eglise, aucun mouvement n’en a le monopole, ni ne peut le contrôler.
Extraordinaires ou simples et humbles, les charismes sont ordonnés à l’édification de l’Eglise et aux besoins du monde. Ils suscitent la communion et l’amitié spirituelle, parfois ils dérangent un establishment trop bien ancré dans ses habitudes. Il s’agit de les reconnaître et d’exercer un discernement à leur égard.
Beaucoup de membres actifs dans notre Eglise ont été touchés par le Renouveau charismatique dans les années 1970. Aujourd’hui cette mouvance prend de nouvelles formes et continue à influencer nos membres. Sa dimension oecuménique est un signe de l’Esprit, personne de communion entre le Père et le Fils. Elle se manifeste dans plusieurs groupes de prières et actions communes rassemblant des personnes de différentes confessions.
Dans nos paroisses, le Renouveau charismatique a conduit à introduire davantage de spontanéité dans les cultes et à donner une plus grande place à l’expression de l’émotion et des gestes (par exemple les cultes de bénédiction pour personnes « fatiguées et chargées »).
Il nous interpelle sur la liberté que nous laissons à l’Esprit Saint de se manifester sous des formes nouvelles : « Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté ».
Bien des personnes disent avoir été renouvelées de manière intense dans leur vie spirituelle par le renouveau charismatique. Mais il faut bien reconnaître que certaines formes de la mouvance charismatique ont provoqué des tensions, voire des divisions au sein de communautés.
Un des critères décisifs de discernement est le souci de la communion et de l’édification de l’ensemble du Corps du Christ.
L’un des enjeux de cette responsabilité de discernement touche l’expression de l’émotion dans nos cultes : y a-t-il forcément adéquation entre manifestation de l’Esprit et émotion collective ?
Néanmoins, le renouveau charismatique demeure un appel à l’Eglise réformée – qui a des structures fortes – à redécouvrir la double dimension de l’Eglise, comme institution et charisme. La communion ecclésiale a beaucoup souffert de l’oubli de cette deuxième dimension.
Sans elle, la vie d’Eglise risque de devenir essentiellement institutionnelle. On risque alors de cohabiter dans le formalisme, l’indifférence ou la méconnaissance, quand ce n’est pas dans la concurrence, la méfiance ou des affrontements ouverts.
Mais l’Eglise est un organisme vivant avant d’être une organisation. Ce qui importe avant toutes choses sont les relations entre ses membres.
Pour aller plus loin, voici trois questions :
• Comment percevez-vous le rôle de l’Esprit saint pour le renouvellement de l’Eglise ?
• Quelle est l’influence du renouveau charismatique dans votre paroisse ?
• Quelle place accordez-vous à la spontanéité, aux gestes et aux émotions durant le culte ?

2. Une expérience européenne : « Ensemble pour l’Europe ».

Depuis quelques années nous assistons à un nouveau développement des relations entre les différents mouvements et communautés. Egalement entre ceux-ci et les Eglises. A trois reprises, à Stuttgart en 2004 et 2007, et à Bruxelles en 2012, plus de 250 groupements chrétiens ont affirmé et célébré leur volonté d’être « Ensemble pour l’Europe ».
Ils veulent ainsi répondre aux injonctions apostoliques à porter ensemble le ministère du Christ, en valorisant leurs différentes expériences de l’Esprit, plutôt que d’être en concurrence. Ils s’engagent aussi pour la construction d’une Europe des valeurs dans l’Eglise et la Société. Une Europe plus large que l’Union européenne avec son projet politique et économique.
En Suisse, des communautés et des mouvements se rencontrent régulièrement dans le même esprit. Personnellement je suis membre du comité suisse d’Ensemble pour l’Europe.
Avec mon épouse Chantal, j’ai participé au premier rassemblement à Stuttgart, en 2004. C’était une rencontre inoubliable. Un grand moment du Corps du Christ en Europe ! Le deuxième comme le troisième étaient retransmis dans plus de 150 villes en Europe. En Suisse romande, le centre œcuménique de Genève et la communauté de Saint Loup ont accueilli, à ces occasions, des représentants de divers mouvements et des Eglises en Suisse romande.
Une quatrième grande rencontre aura lieu à Munich, du 30 juin au 2 juillet 2016.

2.1 Evénements marquants ayant ouvert la voie à Ensemble pour l’Europe

La rencontre de Stuttgart n’est pas née de la dernière pluie. A l’intérieur du protestantisme allemand, les différents mouvements se rencontrent régulièrement depuis 1969. Ils ont formé la majorité des 175 mouvements et communautés présents à Stuttgart en 2004.
Dans le catholicisme, à la veille de Pentecôte 1998, le pape Jean-Paul II a appelé les mouvements catholiques à la communion. Appel qui a été suivi par l’organisation de nombreuses rencontres entre mouvements catholiques.
En 2001 à Munich, des mouvements protestants, évangéliques et catholiques se sont rassemblés. La rencontre de Stuttgart est le fruit de l’amitié née entre les responsables de ces mouvements. S’y sont ajoutés quelques mouvements orthodoxes.

2.1.1 La Pentecôte à Rome en 1998

Dans ce premier congrès mondial des mouvements catholiques, Jean-Paul II parla de « co-essentialité » entre les dimensions institutionnelles et charismatiques. Or les mouvements sont justement porteurs de la dimension charismatique. Le cardinal Ratzinger a dit qu’ils sont la réponse de l’Esprit saint aux situations changeantes du monde. Ils naissent autour d’un fondateur à la personnalité charismatique.
Le pape a dit compter sur le témoignage commun et sur la collaboration des mouvements. A la fin du congrès 100.000 membres de divers mouvements étaient sur la place S. Pierre. Un grand moment de la vie de l’Eglise catholique !
Des responsables de plusieurs mouvements se sont alors engagés à réaliser pleinement cet appel. C’est une des racines d’Ensemble pour l’Europe.

2.1.2 L’expérience allemande

A l’occasion de la signature de la Déclaration commune sur la justification par la foi, à Augsbourg le 31 octobre 1999, plusieurs personnalités appartenant à 15 mouvenents différents se sont rencontrées à Otmaring.
OtmarIng, près d’Augsbourg, est un centre oecuménique inauguré, dans les années 1960, où des membres de deux mouvements vivent ensemble : l’un protestant – la Bruderschaft vom gemeinsamen Leben et les Focolari.
La Déclaration sur la justification par la foi a été un moment historique sur le chemin oecuménique. Désormais luthériens et catholiques se reconnaissent en communion sur les vérités fondamentales de la foi. Des différences importantes subsistent mais un pas décisif a été franchi grâce à la méthode du « consensus différencié ».
Si les ministres des Eglises ont fait leur part, les laïcs veulent aussi faire la leur. Dans la rencontre d’Otmaring, au lendemain de la signature de la Déclaration, « on a respiré une atmosphère dense, d’amour profond, d’Evangile vivant ».
Chiara Lubich, la présidente du mouvement des Focolari, a dit alors une parole restée dans la mémoire : « Ne faisons pas de programme nous-mêmes, La partition est écrite dans le ciel ; mettons-nous ensemble à l’écoute de l’Esprit saint et faisons ce qu’il nous dit ». L’année suivante, avec d’autres responsables de mouvements catholiques, elle a été invitée au congrès annuel des responsables des mouvements protestants qui se rassemblent chaque année depuis 1969. Ce fut un temps de grâce avec des échanges de pardon.

2.2 Les fondements d’Ensemble pour l’Europe

2.2.1 Le pacte d’amour réciproque

Sur la base du commandement nouveau de Jésus, les responsables ont été conduits à faire un « Pacte d’amour réciproque ». Il a été fait pour la première fois le 8 décembre 2001 dans l’Eglise S. Matthieu à Munich. Et il est redit à chaque rencontre. Le but premier de ce pacte consiste à mettre le Christ au cœur de cette aventure. Sa présence au milieu de nous ouvre les cœurs pour accueillir l’autre.
« Le pacte d’amour réciproque comme fondement et comme méthode n’autorise ni le repli sur soi des personnes ni le repli de la communauté sur elle-même. Chacun, avec charisme dont il vit, a une place, « sa place ». Il est fortemment encouragé à bien la prendre. Il n’y a ni concurrence, ni jalousie, mais souci de l’autre ».
Voici le pacte tel que nous l’avons dit ensemble lors de la rencontre à la communauté de Saint Loup en mai 2012, en communion avec la grande rencontre de Bruxelles :
« Jésus, nous qui sommes réunis ici, tous ensemble nous te promettons d‘être entre nous la réalisation de ton commandement Nouveau : c’est-à-dire de nous aimer comme tu nous a aimés. Nous sommes certains que cet amour réciproque nous fait et nous fera expérimenter Ta présence, selon ta promesse : «Là ou deux ou trois sont réunis en mon Nom, je suis au milieu d’eux.» (Mt 18,20) »

2.2.2 Les Charismes

Je ne développerai pas ce point puisque j’en ai déjà parlé. Qu’il suffise de dire qu’un charisme est une manière de vivre l’Evangile que l’Esprit saint suscite pour répondre à un besoin dans un domaine précis : les pauvres, les jeunes…

2.2.3 Un but

En mai 2002, après avoir échangé le pacte d’amour réciproque, les responsables des mouvements comprirent que leur communion devait avoir un but. Suite à une rencontre à la communauté de S. Egidio à Rome, devant une affiche affirmant « une autre Europe est possible » ils réalisent que leur communion sera pour témoigner de l’Evangile en Europe. C’est ainsi qu’on a appelé cette communion « Ensemble pour l’Europe »

2.2.4 « Une seconde vocation »

Ces amis viennent aujourd’hui d’environ 300 mouvements, dont 60 forment le noyau dur. Ils s’engagent à diffuser l’esprit de communion dans leur propre mouvement ou communauté. Tous les ans ces amis se rencontrent à l’échellon européen et ont intégré progressivement une « seconde vocation ».
Celle-ci est de servir une cause qui dépasse leur propre mouvement. C’est l’engagement pour la communion, à promouvoir une culture de collaboration et de rencontre, où l’on se déplace sur le terrain de l’autre. Bref, vivre une spiritualité de communion et d’encouragement.

2.2.5 L’amitié

Ensemble pour l’Europe est une école d’amitié entre mouvements. « Je vous appelle amis », dit Jésus (Jean 15,15). Il nous établit à la fois comme ses amis et comme amis les uns des autres. Ce don de l’amitié que vit, par exemple, la communauté de S. Egidio envers les pauvres, a bénéficié au mouvement Ensemble pour l’Europe tout entier. L’amitié aide à grandir sprituellement et à affronter les difficultés de la vie. Ce christianisme amical est créatif.
Lors d’une célébration dans une catacombe de Rome, une soeur protestante a pris la Visitation de Marie à Elisabeth comme modèle du rapport entre mouvements. Comme ces deux femmes, chaque mouvement est animé par un charisme. Charisme qu’il faut faire circuler par la rencontre.
« Passer de la jalousie où je m’attriste du bonheur de l’autre à la louange, où je m’en réjouis. Se réjouir du charisme de chaque communauté nous enseigne, nous apprend à nous recevoir dans le don de Dieu », a-t-elle dit. La communion vécue est d’abord une communion d’amis en Christ, et pas d’abord entre représentants d’un mouvement, quelle que soit son importance.

2.3 Les grandes rencontres d’Ensemble pour l’Europe

2.3.1 Stuttgart (2004, 2007)

Le premier rassemblement s’est tenu le 8 mai 2004 à Stuttgart avec 10’000 participants issus de 150 communautés et mouvements. Andrea Riccardi, le fondateur de la communauté de S. Egidio, a notamment dit : « L’Europe est aussi l’Europe des mouvements chrétiens. Ces mouvements sont transversaux : du Portugal à l’Ukraine, au-delà même des frontières de l’Union, ils réunissent autour d’une spiritualité et d’un élan vital d’amour les citoyens de divers pays ».
Le message final met l’accent sur la fraternité universelle : « Les charisme, les dons de Dieu, nous poussent sur la voie de la fraternité universelle, qui est pour nous la vocation la plus profonde de l’Europe. La fraternité n’est autre que l’amour évangélique vécu entre tous, toujours renouvelé, en commençant ici et maintenant ».
En 2007, ce sont autant de personnes qui se sont rassemblées à Stuttgart, provenant de 250 mouvements. Gerhard Pross, responsable des Unions chrétiennes des jeunes gens (UCJG) de Munich a déclaré : « Dieu nous rassemble et nous unit, mais il ne nous nivelle pas. Nous sommes émerveillés par l’extraordinaire diversité spirituelle dont Dieu a doté son peuple en le créant…N’ayons pas peur de ce qui est différent ou étranger…et que cette richesse ne reste pas enfermes entre les murs des Eglises et des communautés ».
Gérard Testard a conclu la journée par ces paroles : « L’Europe, dans son unité, nous concerne comme chrétiens. Les chrétiens, et singulièrement les communautés et mouvements, ont le devoir de continuer à donner une épaisseur humaine à l’Europe. L’œcuménisme a vocation à faire bouger ce que le politique ne peut faire seul : se recevoir les uns des autres, donner une âme aux peuples et à l’Europe. Le Christ présent au milieu de nous – comme il l’a promis, si nous sommes unis en son nom – éclairera notre chemin, reversera dans le monde et dans notre Europe des flots de lumière et de vie ».

2.3.2 De Bruxelles…à Saint Loup (2012)

Le 12 mai 2012, les mouvements se sont à nouveau rencontrés. Cette fois à Bruxelles, lieu de plusieurs institutions européennes. 
En même temps cette rencontre a été diffusée en direct dans plus de 150 endroits. En Suisse romande au centre œcuménique de Genève et à Saint Loup, avec une vingtaine de mouvements. Je voudrais évoquer celle de Saint Loup, à laquelle j’ai collaboré.
Les Mouvements ont été présentés avec des symboles, qui illustrent de manière très parlante le charisme de chaque mouvement.
Le message final de la rencontre de Stuttgart en 2007 comportait « 7 oui », invitant à agir comme personnes et communautés en nous concentrant sur les enjeux de la vie quotidienne. A Saint Loup, des membres de 7 communautés ou mouvements les ont repris dans des ateliers :
1. Oui à la dignité de la vie, avec la Communauté de St-Egidio
2. Oui au mariage et à la famille, avec Jeunesse en Mission/Ressources pour la famille
3. Oui à la création, avec le Mouvement franciscain laïc
4. Oui à une économie fondée sur la dignité humaine, avec les Focolari
5. Oui à la solidarité avec les plus pauvres, avec l’Armée du Salut
6. Oui à la paix, avec le mouvement Interpeace.
7. Oui à la responsabilité sociale, avec les Unions Chrétiennes Féminines

Après les ateliers, nous nous sommes mis en lien direct avec la rencontre de Bruxelles. Puis, dans la même chapelle nous avons terminé l’après midi par une belle célébration œcuménique. Un moment fort était de dire ensemble le Pacte d’amour réciproque. Un repas fraternel, où chacun a apporté quelque chose a conclu cette journée.
Sœur Marianne, responsable de la Communauté de Saint Loup, nous laisse cette interpellation : « Nous entendons aussi et surtout Son appel et là est notre chance réelle : « Que tous soient un ! ». Trouver cette unité dans notre diversité ! Quel beau défi ! Que l’Esprit-Saint continue son œuvre en nous aidant à le relever ! »

2.4 Trois leçons de ces rencontres d’Ensemble pour l’Europe

2.4.1 La communion entre les mouvements et les Eglises

Il me semble que quelque chose de nouveau s’est manifesté dans ces rassemblements. Cette nouveauté tient, à mon sens, en deux sortes de communion. Celle entre les mouvements et celle entre les mouvements et les responsables d’Eglises. Plus de 50 évêques et présidents de différentes Eglises étaient présents en 2004 et encore plus dans les rencontres suivantes. Des messages du pape Benoit XVI et du patriarche de Constantinople Bartholomée ont été aussi transmis.
Dans la rencontre de Saint Loup, la pasteure Adèle Kelham, présidente de la Communauté de travail des Eglises chrétiennes de Suisse et Jean-Jacques Meylan, président de la CECCV ont fait une allocution au début de la rencontre. L’Abbé Chardonnens, vicaire général du diocèse de Lausanne, Fribourg et Genève a participé également, ainsi que d’autres pasteurs des Eglises du canton de Vaud.
N’est-ce pas le même Esprit qui répand ses charismes dans le peuple de Dieu et qui suscite les ministères ordinaires pour construire l’Eglise ? Le ministère ordonné n’est-il pas lui-même un charisme ?

2.4.2 Une étape importante du mouvement œcuménique

Je considère ces rencontres d’Ensemble pour l’Europe comme une étape significative du mouvement oecuménique. Par ce mouvement, qui est plus large que toute expression oecuménique institutionnelle, parfois en crise ou en recherche d’une nouvelle configuration, l’Esprit saint surmonte les divisions, lève les barrières, établit une communion bienfaisante et rafraîchissante entre chrétiens de diverses Eglises et entre leurs responsables.
Ce qui s’est vécu dans ces rencontres a valeur de modèle non seulement pour l’Europe, mais pour l’ensemble de « l’oikoumènè » ; cela est à concrétiser dans chaque situation locale, où les chrétiens ont à apporter un témoignage commun.
Il y a les « grands » mouvements, avec leurs fondateurs, comme les « petits ». L’expression d’une grande pluralité se donne à voir dans le style des chants, des thèmes, des préoccupations des divers mouvements. Mais on perçoit aussi un fil rouge, un noyau, celui de l’union au Christ, cœur de la vocation de chaque mouvement. Pas un plus petit dénominateur commun, mais une unité spirituelle dans un regard commun vers le Christ vivant et l’Evangile.
Si les mouvements sont « Ensemble pour l’Europe », ce n’est pas pour former un front « contre », mais pour partager ce qu’ils ont reçu du Seigneur. De leur communion renforcée pourront naître de nouvelles initiatives.

2.4.3 Donner une âme à l’Europe. La rencontre avec les politiques

Ensemble pour l’Europe a permis aussi un dialogue fécond avec le monde politique. Beaucoup de mouvements sont nés de l’engagement de laïcs ; ils s’intéressent aux conditions sociales, économiques et politiques. Or, comme le rappelait, à Stuttgart en 2004, le président de la Commission européenne, Romano Prodi, si l’Europe, grand projet politique et économique, a besoin d’institutions, elle a aussi besoin d’une âme. « Et vous savez comment nourrir l’esprit », disait-il aux mouvements, ajoutant : « sans arrogance ni aucune prétention d’imposer quoi que ce soit, les chrétiens peuvent, dans le dialogue oecuménique et dans le dialogue avec les communautés juives et musulmanes, donner à l’Europe cette âme dont elle ne peut se passer ».
Lors de la rencontre de Saint Loup en 2012, Laurent Wehrli, syndic de Montreux et député au Grand Conseil a montré que la peur de l’autre n’est pas bonne conseillère : « Dans un climat d’insécurité, avec l’exclusion de l’autre, les chrétiens doivent dépasser les peurs ». Il a souligné l’importance de ne pas éliminer nos différences au sein de la communauté chrétienne. Les douze disciples étaient très différents ; le projet de Jésus tient compte de nos différences et de nos défauts : « Ensemble ne signifie pas fusion, mais ouverture et collaboration ».

2.5 La rencontre de Munich

Des membres de plus de 350 mouvements et communautés sont attendus à Munich, du 30 juin au 2 juillet 2016. Deux signes des temps soulignent l’importance de cette rencontre :

2.5.1 L’Europe a besoin de spiritualité

Avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le 23 juin 2016, l’Europe se trouve probablement dans la plus profonde crise depuis la deuxième guerre mondiale. L’unité économique, politique et socio-culturelle a continué à se renforcer au cours des 70 dernières années, mais elle risque maintenant de se dissoudre. Elle a urgemment besoin de signes courageux pour une cohésion plus forte et de nouvelles impulsions pour une vision d’avenir.
Les Mouvements et les Communautés ne possèdent pas de recette toute faite, mais ils ont les moyens de rendre visible et de témoigner que, malgré de nombreuses différences, incompréhensions et même d’éloignements, il est possible de rester ensemble et d’avancer sur le chemin de l’amitié. C’est un message puissant pour l’Europe d’aujourd’hui.

2.5.2 Les 500 ans de la Réformation : un appel à la Réconciliation

En 2017, nous célébrerons le grand Jubilé de la Réforme. La rencontre de Munich se veut provocatrice avec ce slogan: «500 ans de division, c’est trop ! – l’unité est possible » ! Elle veut exprimer que le peuple chrétien n’accepte pas le statu quo de la séparation confessionnelle. Cette initiative correspond d’ailleurs aux buts de la Charte œcuménique européenne signée en 2001.
Les communautés et mouvements veulent partager leurs expériences concrètes de réconciliation. Depuis bientôt 20 ans, ils se rencontrent dans le cadre d’Ensemble pour l’Europe. Rencontres qui ont fait grandir entre eux le désir de l’unité entre les chrétiens, entre les différentes Eglises et confessions. Un document préparatoire affirme ceci :
« Cette unité suppose un préalable important : une réconciliation profonde et véritable. La réconciliation fait partie des expériences centrales et très actuelles de la foi chrétienne et de notre expérience d’Ensemble pour l’Europe. La réconciliation est une porte qui ouvre à l’unité dans la diversité : nous en avons fait l’expérience. Celui qui franchit cette porte se réjouit de tout ce qui est notre patrimoine commun et fait invariablement le constat que celui qui est étranger, différent, n’est plus un facteur de division, mais que l’autre vient nous enrichir et nous compléter ».

2.5.3 Une expérience personnelle

Comme membre du comité suisse d’Ensemble pour l’Europe, je vis concrètement la réconciliation entre chrétiens de diverses Eglises. Ensemble nous pouvons prier, partager joies et tristesses, nous soutenir, cheminer ensemble.
Quand m’est arrivée la nouvelle des attentats de Paris en novembre 2015, je participais à une rencontre œcuménique internationale en Hollande d’Ensemble pour l’Europe pour préparer la rencontre de Munich. Nous étions une centaine de chrétiens de 20 pays et de toutes les Eglises. Après un temps de silence, nous avons prié pour les victimes et leurs familles.
Dans cet être ensemble il y avait une lumière et une force. Celles de la présence du Ressuscité parmi nous qui se manifestait. J’ai perçu clairement trois appels. D’abord d’approfondir mon union avec Dieu. Puis de chercher la plus grande communion possible entre chrétiens de toute l’Europe. Cette communion donne de mieux discerner ce que Dieu veut nous dire à travers les événements. Troisièmement de créer des ponts et d’aller à la rencontre des autres, quels qu’ils soient, chrétiens ou non.

2.5.4 Le dialogue de la vie : expériences vécues de la Réconciliation

Guy Barblan et moi-même, comme membres fondateurs de la Communauté des Eglises chrétiennes dans le canton de Vaud, nous participerons à Munich à un forum sur le « Dialogue de la vie » où des membres des Eglises réformées, luthériennes, catholique, orthodoxe, ainsi que des mouvements partageront des expériences vécues de Réconciliation entre chrétiens (Russie, Hollande, Allemagne, Irlande, Slovaquie, Roumanie, Suisse). Dans ce cadre, nous présenterons l’expérience marquante des célébrations de la Parole dans la cathédrale de Lausanne.

2.5.5 Un symbole

A Munich, une porte fermée s’ouvrira peu à peu, signe qu’on peut aller vers l’autre. Une clé sera donnée à chaque participant, symbole que notre foi peut ouvrir toutes les portes…

Martin Hoegger. Conférence donnée à Blonay, le 28 juin 2016

Une prière pour l’Europe 


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