Oliviers déracinés en Cisjordanie
Héraklion, 9 octobre 2025. L’Académie patriarcale de Crète a accueilli un symposium scientifique et théologique consacré à la théologie de l’écologie. Deux conférences ont marqué cette journée : celle de Mme Chrysovalanti Papanastassopoulou, professeur à l’académie patriarcale de Crète, et celle du professeur Nikolaos Dimitriadis (Université Aristote de Thessalonique et président du CEMES). Leur dialogue compose une vision unifiée : l’écologie est d’abord une affaire de relation — à Dieu, à la création, aux autres — et donc une affaire de conversion.
Le Deutéronome : une écologie spirituelle aux temps de guerre
Parlant de « la dimension spirituelle de la guerre dans l’Ancien Testament à travers la perspective du Deutéronome », Mme C. Papanastassopoulou montre que ce livre biblique ne se contente pas de prescriptions militaires : il inscrit la conduite de la guerre dans une éthique qui protège le vivant. Le commandement de ne pas abattre les arbres fruitiers durant un siège (Dt 20,19-20) relève à la fois du pragmatisme (préserver la nourriture) et d’une théologie de la création : la terre appartient à Dieu, l’homme n’en est que le gardien. La nature n’est pas un adversaire. Même au cœur de la violence, une limite sacrée est posée.
Dans les guerres, la limite contre la dévastation
L’interdit biblique s’éclaire par contraste avec la pratique assyrienne. Des inscriptions royales de Téglath-Phalasar à Sennachérib relatent la destruction systématique des vergers, des champs, l’incendie des terres et la stérilisation des sols. Ici, la nature est instrumentalisée comme champ de bataille. Le Deutéronome oppose à cette logique impériale une théologie de la mesure : on ne fait pas la guerre aux arbres. Cette retenue est une forme de résistance spirituelle.
Deux cosmologies, deux éthiques
La comparaison va plus loin : elle oppose deux visions du monde. Dans les mythes mésopotamiens, l’ordre naît d’une violence fondatrice ; la création découle d’un combat contre le chaos. La Bible, elle, proclame une création par la Parole, bénie et « bonne ». D’un côté, domination et désacralisation ; de l’autre, don et communion. L’éthique découle de la cosmologie : ce que l’on croit de l’origine façonne ce que l’on fait de la terre.
Actualité d’un interdit ancien
Cette loi ancienne parle crûment à notre présent. Les conflits modernes ravagent à la fois les peuples et les écosystèmes : champs brûlés, nappes polluées, arbres déracinés. Détruire la nature, c’est rompre l’alliance. Le Deutéronome appelle à contenir la puissance par la justice, même dans l’extrême de la guerre. Il rappelle que l’écologie est d’abord une morale de la limite.
La nature comme interlocutrice et enseignante de la vie
Dans sa conférence intitulée « La nature comme interlocutrice : l’absence de l’Autre et la réconciliation avec la création », le professeur Nikolaos Dimitriadis a commencé par poser un diagnostic : la crise écologique est une crise relationnelle. La nature a cessé de parler à notre imagination théologique, et nous avons cessé de l’écouter. Cette rupture dans le dialogue avec la création est au cœur du désordre actuel : nous ne nous considérons plus comme des créatures au sein de la création, mais comme des maîtres qui s’en distinguent.
L’être humain : microcosme et médiateur
S’inspirant de Grégoire le Théologien et de Maxime le Confesseur, Dimitriadis comprend l’être humain comme un microcosme et un médiateur, le point de rencontre entre le ciel et la terre. Cette vocation exige responsabilité et douceur. Notre façon de traiter la nature reflète la façon dont nous nous traitons les uns les autres et révèle quelque chose de notre relation à Dieu. L’écologie intégrale vise donc le respect de toute vie et touche au cœur même de la foi, façonnant notre façon de consommer, d’habiter et d’occuper nos espaces.
Vers une réconciliation cosmique
Toute la création gémit et espère ; elle participe à la fois à la chute et à la rédemption. L’Église est appelée à une mission de réconciliation cosmique : relier la théologie, la société et la culture ; unir la science et la spiritualité ; renouveler le dialogue avec la terre. Concrètement, cela signifie reconnaître la terre comme la mesure de notre expérience, retrouver notre place au sein de la création, permettre à l’Eucharistie de transformer nos habitudes et réformer nos modes de vie.
La mission de l’Église devient également un acte de dialogue vivant : écouter la voix de la création, apprendre d’elle, agir avec elle. L’écothéologie, dès lors, n’est pas une spécialisation technique ou universitaire : c’est un mode d’existence, une manière d’aimer la création, et, en fin de compte, une conversion.
Conclusion : la limite et la communion
Mises en regard, les deux conférences dessinent un horizon semblable. Du côté biblique, une éthique de la limite protège le vivant, même en temps de guerre. Du côté anthropologique et liturgique, une culture de la communion réapprend à écouter la création.
Ensemble, elles tracent une voie de conversion : faire de l’écologie non un supplément d’âme, mais une manière d’aimer la terre — avec justice, mesure et gratitude. Là où la puissance détruit, la gratitude restaure ; là où le bruit du monde domine, le silence de la prière rouvre le dialogue avec la création. Ainsi, la foi au défi de la terre devient promesse : celle d’une humanité réconciliée avec Dieu, avec la nature et avec elle-même.
Pour d’autres articles sur le thème de ce symposium, voir ici: https://www.hoegger.org/article/eco-theologie
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