L’écothéologie, un appel à la conversion du regard

Ferme agroécologique en Crète

Sous le ciel lumineux d’Héraklion, entre mer Égée et montagnes crétoises, s’est tenu en octobre 2025 le Symposium international sur l’écothéologie, organisé par l’Académie patriarcale supérieure de Crète. Ce rendez-vous spirituel et scientifique a rassemblé des penseurs venus de divers horizons chrétiens pour réfléchir à la responsabilité humaine face à la crise écologique. Deux conférences ont particulièrement marqué les esprits : celle du théologien orthodoxe Augustinos Bairactaris et celle du luthérien norvégien Aksel Johan Lund. Tous deux partent d’un même constat : la crise écologique est d’abord une crise spirituelle et anthropologique.

La création, sacrement de la présence divine

Pour Augustinos Bairactaris, professeur à l’Académie patriarcale de Crète, la crise écologique révèle la rupture de l’homme avec Dieu et, par conséquent, avec la création. En absolutisant la raison et la technique, la modernité a effacé le sens du sacré. L’homme, devenu propriétaire du monde, a oublié qu’il en est le gardien. L’univers n’est pas un objet neutre à exploiter, mais un don à recevoir et à célébrer avec gratitude.   

Cette perte du sens du sacré a conduit à une liberté dévoyée en licence sans limites. En se voulant démiurge, l’homme a rompu l’harmonie de la création. La crise écologique devient dès lors un miroir de son orgueil et de son égoïsme. Pour y répondre, la théologie offre un langage de réconciliation. L’éco-théologie, née dans le cadre œcuménique du Conseil œcuménique des Églises, propose une vision intégrale où foi, justice et sauvegarde de la création se rejoignent.

S’appuyant sur le programme « Justice, paix et intégrité de la création », Bairactaris affirme trois convictions : la terre appartient à Dieu, l’homme en est le gardien, et toute créature possède une valeur propre. Il appelle à une « diaconie écologique », une mission de l’Église au service de la réconciliation entre Dieu, l’homme et la nature. Cette diaconie comporte deux dimensions : locale, par la solidarité et le partage, et mondiale, par l’engagement pour la paix, la justice sociale et la protection du climat. La liturgie, la charité et l’action sociale deviennent ainsi les trois formes d’un même service d’amour.

Dépasser l’anthropocentrisme


Le pasteur et chercheur norvégien Aksel Johan Lund, membre du Conseil théologique de l’Église de Norvège, aborde la même question sous un autre angle. Pour lui, la racine du désastre écologique est l’anthropocentrisme : la conviction que l’être humain est au sommet de la création. Cette idée, issue de la modernité et de certaines interprétations religieuses, a transformé le monde non humain en instrument au service de l’homme.

Lund s’appuie sur le concept d’« altérisation » (othering), développé dans la philosophie contemporaine, pour montrer que l’anthropocentrisme est une forme d’exclusion : l’humanité a marginalisé la nature, les animaux et les éléments, les réduisant à des « autres » sans valeur propre. Cette logique de séparation a justifié la domination du monde vivant.

Pour la dépasser, Lund évoque Maxime le Confesseur, qui enseigne que toutes les créatures participent à la même volonté divine. L’homme n’est pas au-dessus du monde, il en fait partie. Toutes les créatures partagent une même origine et un même souffle. La théologie devrait donc moins s’interroger sur ce qui distingue l’homme des autres êtres que sur ce qui l’unit à eux. La création n’est pas l’« autre » de l’humanité, mais sa sœur et son miroir. Comme l’écrit saint Paul, « la création tout entière gémit dans les douleurs de l’enfantement » : notre salut ne peut être séparé du sien.

Une spiritualité de la relation et de la responsabilité


Les deux conférenciers appellent à une conversion du regard. Augustinos Bairactaris souligne que sans transformation du cœur, aucune écologie durable n’est possible. Lund, quant à lui, plaide pour une refonte théologique : passer d’une théologie de la domination à une théologie de la relation.

L’écothéologie devient alors un chemin de responsabilité et de gratitude. Elle invite à contempler le monde non comme un stock de ressources, mais comme un lieu de communion. Elle enseigne à voir dans la beauté du monde un signe de la présence divine et à reconnaître dans chaque être vivant une sœur et un frère en création.

Pour ces deux théologiens, la crise écologique reflète notre crise intérieure. L’homme a oublié qu’il est une créature parmi les créatures. Il a besoin d’une conversion spirituelle : apprendre à bénir plutôt qu’à posséder, à rendre grâce plutôt qu’à dominer.

L’écothéologie n’est pas une idéologie ni une mode, mais une théologie de la gratitude. Elle rappelle que le monde est un don et que l’humanité n’est vraiment humaine que lorsqu’elle devient eucharistique — c’est-à-dire capable de dire merci.

Pour d’autres articles sur le thème de ce symposium, voir ici : https://www.hoegger.org/article/eco-theologie


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