L’Église de l’Académie patriarcale de Crète, Héraklion
Les 8 et 9 octobre 2025, l’Académie patriarcale supérieure de Crète a accueilli un symposium scientifique et théologique sur le thème : « Pour une société juste, participative et durable, fondée sur la responsabilité : l’écothéologie comme défi pour le christianisme œcuménique contemporain ». Parmi les nombreuses interventions, celles du professeur Stylianos Tsophanidis et du métropolite Théodore de Séleucie ont illustré la richesse de la pensée orthodoxe sur la création et son actualité spirituelle face à la crise écologique.
Une convergence œcuménique autour de la création
Le professeur Tsophanidis a rappelé que la question écologique n’est pas étrangère à la foi chrétienne. Dès les années 1960, le Conseil œcuménique des Églises (COE) a réfléchi aux défis posés par la technologie et l’environnement. L’Assemblée de Vancouver (1983) a marqué une étape décisive avec le programme « Justice, paix et sauvegarde de la création », faisant de la crise écologique une dimension essentielle de la mission de l’Église.
Ce mouvement a rejoint la réflexion catholique, notamment dans les encycliques Laudato si’ et Laudate Deum du pape François. Un langage commun s’est peu à peu établi entre les Églises : la crise climatique touche d’abord les plus pauvres, la surconsommation détruit la dignité humaine, et la conversion écologique est avant tout une conversion spirituelle.
La vision cosmique du salut
Depuis la participation des Églises orthodoxes au COE en 1961, l’écothéologie orthodoxe a profondément renouvelé la théologie de la création et de l’Esprit Saint. L’Assemblée de Canberra (1991) a repensé la relation entre Dieu, le monde et l’homme dans une perspective trinitaire et eucharistique. Des théologiens comme Nikos Nissiotis ont développé une vision cosmique du salut : Dieu veut unir et transfigurer toute la création.
De cette intuition est née l’idée d’une « liturgie après la liturgie », qui prolonge l’Eucharistie dans l’engagement social et écologique. Le patriarche Bartholomée, surnommé « le patriarche vert », a donné à cette théologie une dimension universelle. Sa vision d’une « liturgie cosmique » fait de la création un mystère à célébrer et non à exploiter, appelant à la sobriété et à la communion.
Son collaborateur, le métropolite Jean Zizioulas, a développé la notion d’« économie cosmique de Dieu », affirmant que le salut embrasse tout le cosmos. Ensemble, ils ont influencé durablement la théologie chrétienne.
Une foi vécue dans la sobriété et la gratitude
Le métropolite Théodore de Séleucie préfère parler de « théologie écologique » plutôt que d’« écothéologie ». L’écologie n’est pas pour lui un domaine particulier de la théologie, mais une manière de vivre la foi. Dans la tradition orthodoxe, tout part de la liturgie : elle enseigne la gratitude envers la création, tandis que l’ascèse apprend à recevoir sans posséder.
Depuis 1989, le 1er septembre est devenu, à l’initiative du patriarche Dimitrios, la Journée de prière pour la sauvegarde de la création. Son successeur, Bartholomée, a développé une vaste pastorale écologique : messages annuels, programmes éducatifs et dialogues scientifiques ont fait de Constantinople un centre spirituel de la conscience écologique chrétienne.
Une crise spirituelle avant d’être technique
Pour le patriarche Bartholomée, la crise écologique est un symptôme d’une crise plus profonde : l’homme moderne a rompu sa communion avec Dieu et la nature. L’égocentrisme, la cupidité et la logique technocratique ont remplacé la gratitude et le respect. Il appelle à une triple conversion : du mode de vie, en retrouvant la simplicité ; de l’éducation, en formant à la responsabilité écologique ; et de la conscience, en assumant la coresponsabilité universelle de tous.
Justice sociale et justice écologique
Dans la pensée orthodoxe, pauvreté et dégradation de la nature sont étroitement liées. Les séminaires du Patriarcat de Constantinople ont montré que la surproduction, la concentration des richesses et le manque de volonté morale nourrissent des injustices qui frappent les plus vulnérables. Ce n’est pas le manque de ressources qui crée la misère, mais le désir illimité de posséder. D’où l’appel à une économie écologique, fondée sur des critères sociaux et environnementaux.
Pour conclure, le métropolite Théodore cite le patriarche Bartholomée : « La terre gémit, mais elle espère aussi. » La modernité a révélé la puissance de la technique, mais l’Évangile révèle la puissance de la conversion. L’écologie chrétienne n’est pas une idéologie verte, mais une voie de réconciliation avec Dieu, l’homme et la nature. À l’heure de la Décennie pour la justice climatique, elle devient un test de crédibilité pour la foi : croire, c’est vivre sobrement et servir la vie.
Conclusion
Ces deux conférences, celles du professeur Tsophanidis et du métropolite Théodore, ont révélé la profondeur et l’actualité de la théologie orthodoxe de la création. Toutes deux montrent que l’écologie n’est pas un thème périphérique, mais une manière de confesser Dieu comme source et fin de toute vie.
Dans un monde menacé par la cupidité et l’indifférence, la tradition orthodoxe offre un message d’espérance : la conversion écologique est avant tout une conversion du cœur. Elle invite à vivre la sobriété comme un acte spirituel et à reconnaître la création comme un don sacré.
Le professeur Christophe Arvanitis l’a dit avec justesse après ces deux conférences : cette vision nous rappelle une sagesse simple, biblique : « Tu es béni, Seigneur, toi qui donnes le repos dans le peu. » La seule avidité que l’Église puisse encourager, selon les Pères, est l’avidité des vertus. Voilà peut-être la clé d’une civilisation de la mesure : désirer ardemment la justice, la paix et l’intégrité de la création — et les traduire, dès aujourd’hui, en gestes concrets.
Pour d’autres articles sur le thème de ce symposium, voir ici : https://www.hoegger.org/article/eco-theologie
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