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A quoi sert l’Eglise ?

Comment répondre à cette question? Il me semble que je dois faire d’abord un détour en posant la question du but de l’Eglise. C’est en fonction de leur finalité que les choses se comprennent le mieux. L’Eglise en effet n’est qu’un moyen pour arriver à un but. Elle n’est pas une fin en soi.

 

Et quel est ce but ? En lisant les livres saints de ma foi, je découvre un sens vers un but. Ils commencent par le récit des origines, où est révélée l’unité de l’humanité ; ils se terminent par une fresque grandiose d’une réconciliation et une fraternité universelles. Entre deux il y a notre histoire marquée par la violence, la division et la mort. Quand Dieu intervient dans la vie d’un homme, il a en vue l’humanité entière : ainsi Abraham et sa descendance seront une bénédiction pour toutes les familles de la terre (Genèse 12). Le but de la vie de Jésus, de sa mort et de résurrection a été de réaliser la réconciliation avec Dieu et entre les hommes. Avec les paroles de sa prière de l’Evangile de Jean : « Que tous soient un… » (Jean 17.20), je dirai de manière raccourcie que l’unité est le plan de Dieu pour l’humanité.

Faire habiter dans une maison commune tous les peuples dans une diversité aux couleurs infinies, à l’image de la nature divine, tel est, à mon sens, le but. Mais quelle est la clé qui ouvre cette maison ? Existe-t-elle ? Oui, mais elle est en forme de croix. Un seul la tient, « ouvre et nul ne fermera, ferme et nul ne peut ouvrir » (Apocalypse 3.7). Jésus crucifié est la seule clé pour entrer dans cette maison de la fraternité universelle.

En mourant sur une croix, il nous donne la clé pour reconstituer l’unité brisée. Là il pousse ce cri terrible : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il s’agit de cette immense douleur, l’abandon, la séparation de Dieu, que Jésus, toujours Un avec le Père, a dû éprouver de manière paradoxale. Et cela pour recomposer l’unité de l’humanité avec Dieu, brisée à cause du péché, et l’unité des hommes entre eux.

Alors, à quoi sert l’Eglise ? A mon sens, elle est là pour dire au monde que cette clé existe, qu’elle ouvre tout et qu’elle surmonte toutes divisions. L’Eglise a quatre fonctions : témoigner du salut en Jésus Christ mort et ressuscité, le célébrer, le servir dans ceux qui sont dans le besoin et susciter la communion (d’après les mots grecs : marturia, leitourgia, diakonia et koinonia).

a) L’Eglise sert à témoigner : d’une Parole qui ne lui appartient pas, qui n’est pas née du coeur de l’homme. Toute sa vie, sa pratique et sa pensée doivent être confrontées à cette Parole. Une Parole qui doit être entendue pour qu’elle suscite la foi. La foi en effet vient de ce que l’on entend. Bien qu’il soit nécessaire d’avoir des personnes formées pour interpréter et communiquer les livres saints, chaque chrétien est un témoin. La Réforme en particulier a insisté sur l’accès personnel à la Bible, sur la responsabilité de chacun de se former.

b) L’Eglise sert à célébrer : le salut par la croix. Le culte chrétien est public, il n’est pas réservé à des initiés. Au coeur du culte les deux sacrements institués par le Christ : le baptême et la sainte Cène (ou l’Eucharistie). Le baptême est l’ordination de chaque chrétien à faire grandir l’amour du Christ en lui et autour de lui et à noyer en lui tout ce qui n’est pas digne du Christ. Ce sacerdoce est commun à tous et s’enracine dans le don du Christ sur la croix, dont la mesure est d’être sans mesure. Le ministère ordonné ou consacré est une structure au service de la consécration au Christ de tout le peuple de Dieu.

La cène du Seigneur annonce le pardon de toutes nos fautes, ce dont nous avons besoin chaque jour, elle apporte déjà la joie du ciel sur terre et nous appelle à offrir nos vies à Dieu, à la suite du geste d’offrande et de confiance du Christ envers son Père.

c) L’Eglise sert à … «servir » : le Christ dans les plus démunis, dans ceux qui lui ressemblent le plus dans sa déréliction, dans ceux qui vivent les conséquences des divisions, des manques d’harmonie, des exclusions, des abandons. Jésus nous dit qu’il se cache en eux : « Tout ce que vous avez fait aux plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait…J’ai faim et soif, j’étais nu, malade, prisonnier, étranger » (Mat. 25). Le frère et la sœur sur mon chemin ne sont donc un obstacle, mais un chemin vers Dieu. Quand l’Eglise sert le petit, elle sert Dieu.

d) L’Eglise sert à susciter la fraternité : dans des lieux comme les paroisses, d’abord, qui sont les lieux privilégiés où la présence du Christ peut être vécue. Cette présence vivante du Ressuscité est promise par Jésus, qui dit : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux. » (Mat. 18.20). Mais la fraternité suscitée par cette présence du Christ se vit également dans d’autres lieux de vie où les personnes vivent, travaillent, étudient, se reposent, se soignent, sans oublier dans les mouvements que l’Esprit a suscité durant ces dernières années.

Si j’ai parlé des ministères consacrés il y a un instant, l’Eglise ne se résume pas à son aspect institutionnel (quoique nécessaire et voulu par Jésus); il y a la dimension mystique de l’Eglise, qui naît de cette présence du Christ au milieu de ceux qui le cherchent et qui transcende les diverses confessions. Pour en parler Paul utilise la métaphore du Corps. Nous sommes tous les membres d’un même corps, le corps du Christ. Chaque membre est important, chacun a quelque chose à apporter, un don, un talent à faire valoir, un ministère à remplir. L’Eglise est le lieu où l’on peut les mettre ensemble

Pour conclure.
Je parle à partir de ma tradition réformée, qui m’a engendré à la foi et à la vie chrétienne. Mais grâce au mouvement oecuménique, j’ai appris à connaître les autres Eglises, et surtout très concrètement des sœurs et des frères avec qui j’ai tant en commun. J’ai appris à aimer les autres Eglises comme la mienne.

L’oecuménisme est-il un luxe ? Ou bien est-il le présupposé d’un témoignage crédible des Eglises ? Comment donner un message de réconciliation si elles ne sont pas réconciliées ?

Me revient toujours la prière de Jésus : « Que tous soient un ! » Cet appel ne me laisse pas tranquille. Il est invitation à chercher le dialogue d’abord dans ma propre confession, qui est traversée par plusieurs courants spirituels, puis avec les autres familles du protestantisme, enfin les autres confessions chrétiennes, catholiques et orthodoxe. Les belles et joyeuses célébrations oecuméniques vécues en particulier à la cathédrale de Lausanne cette année depuis plusieurs années me montrent que tout cela n’est pas un vœu pieux. La communion entre chrétiens des différentes Eglises est déjà réelle, quoiqu’encore imparfaite.

Cet heureux dialogue oecuménique m’encourage à chercher le dialogue également avec les croyants d’autres religions ou avec des personnes de bonne volonté, qui n’ont pas de référence à Dieu dans leur vie spirituelle. Le « Que tous soient un » n’est pas réservé à quelques uns, ni aux deux milliards de chrétiens vivant aujourd’hui, mais est une invitation à toute l’humanité à entrer dans la maison du Père céleste.

Je chercherai donc à les rencontrer et à valoriser toutes « les semences de la divinité», selon l’expression de Jean Calvin. C’est à dire tout ce que Dieu a versé dans le coeur de chaque homme et femme, parce que tous sont créés à son image. Sa grâce commune soutient chaque personne, elle se manifeste par la règle d’or présente dans toutes les religions et dans la conscience de chaque homme : « Fais à l’autre tout ce que tu voudrais qu’il te fasse ». Cette règle, dont Jésus dit qu’elle résume tout ce que Dieu a voulu nous révéler, tout ce qu’il nous appelle à vivre (Math. 7.12). Jésus l’a vécue jusqu’au don total de sa vie afin de nous donner cette clé qui ouvre la maison de la fraternité à tous ceux qui l’utilisent.

A quoi sert donc l’Eglise ? A mon avis et en résumé : elle sert à donner cette clé qui ouvre à la fraternité universelle en témoignant, en célébrant, en servant et en suscitant la communion dans un dialogue avec tous.


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