marcher ensemble

Marcher ensemble : la spiritualité du pèlerinage, une parabole de la vie communautaire

Le pèlerinage forme une ellipse, avec quatre étapes : le départ, comme séparation du monde ; la marche, comme chemin intérieur ; le but, comme rencontre avec Dieu ; le retour à la maison, après avoir vécu une transformation.

 

Dans notre univers de plus en plus bétonné, le besoin de marcher par monts et vaux se fait sentir. Le pèlerin, peregrinos, c’est littéralement celui qui marche « à travers champs» (per agros). La marche non seulement fait du bien au corps, mais elle remet en route l’âme. Les âmes se sont remises à marcher. En témoignent non seulement la résurrection des vieux chemins de pèlerinage, mais aussi la création d’innombrables sentiers de méditation. Le « Chemin de prière » de Saint Loup, qui rythme la marche avec les demandes du Notre Père, en est un bel exemple.
Henri Vincenot écrit : « La marche est la plus saine, la plus ascétique, la plus enivrante des disciplines, la plus efficace des philosophies ». Il faudrait consacrer au moins une demi-heure à la marche chaque jour. Lorsque je n’ai pas le temps de marcher, j’en vois tout de suite des effets négatifs. Je me sens moins bien, non seulement physiquement, mais aussi spirituellement.
La marche permet de s’imprégner de tout, de l’infiniment petit à la vastitude de l’horizon. J’ai fait une partie du chemin de Saint Jacques en vélo, environ 600 kilomètres à travers l’Espagne. Et le reste à pieds. Expérience faite, la marche me met beaucoup plus en harmonie avec la démarche intérieure. Même s’il y a des moments de fatigue, de doute, car le corps n’est pas à la hauteur dès le premier jour, ni notre esprit, et encore moins notre âme.

La marche selon l’Evangile
Dans la Bible, la marche est une image de la vie. On dit d’Hénoch et de Noé qu’ils «marchaient avec Dieu ». Le prophète Michée exhorte le peuple à « marcher humblement avec Dieu », en pratiquant la justice et en aimant la miséricorde. Avec l’aide de Dieu, on peut marcher dans le désert durant 40 jours comme le fit Elie. Et même marcher sur les eaux…
La vie chrétienne selon l’Evangile est une marche. Le Cantique de Zacharie dit de Jean-Baptiste :« Et toi, petit enfant, on t’appellera prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant le Seigneur pour lui préparer le chemin ». « Marchez sous l’impulsion de l’Esprit (Galates 5,16) », dit Saint Paul. « Marchons sur les chemins où l’Evangile nous guide », invite la Règle de Saint Benoit. Et la tradition juive parle de Halakha (la « marche » en hébreu) pour signifier que le croyant doit suivre la voie de Dieu.

a) Marcher ensemble : le compagnonnage
Le patriarche Daniel, de l’Eglise orthodoxe de Roumanie, souligne l’importance des autres dans le pèlerinage. On peut le dire aussi de la vie communautaire, qui est comme un pèlerinage :
« Dans l’expérience spirituelle du pèlerinage, ceux qui ont une foi plus faible ont l’occasion de la fortifier en voyant la foi plus forte des autres ; ceux qui ont moins de patience se fortifient en observant la patience des autres ; ceux qui prient moins et plus superficiellement sont enrichis et renouvelés par les prières ferventes des autres ».
Pour approfondir l’image du pèlerinage, je peux dire que n’ai jamais marché seul sur un chemin de pèlerinage. La présence des autres était toujours une grâce. Nous sommes devenus compagnons de route. Ce compagnonnage, cette appartenance donne sens à mon chemin, à ma vie, autant que la direction. L’autre est ce visage, qui me permet «d’en-visager », selon le mot de Levinas, le royaume de Dieu vers lequel nous marchons, qui est déjà là, mais qui nous échappe toujours.
Il faut d’abord dire que le frère et la sœur sont une grâce que le Seigneur nous donne pour avancer. Ils me sont donnés pour ma sanctification. Je ne me sanctifie pas seul, mais avec les autres.
On dit de Seraphim de Sarov qu’il disait à chaque frère ou sœur qu’il rencontrait : « Bonjour, Ma joie ». Le Psaume 122 le dit aussi : «Quelle joie quand on m’a dit : allons à la maison du Seigneur ». Le Psaume 133 chante le bonheur d’être ensemble quand une fraternité nous rassemble : « Comme il est bon, comme il est doux, frères et sœurs de demeurer ensemble ».

c) Un chemin étroit
La marche commune implique aussi que l’on risque de rencontrer sur son chemin des obstacles, des chemins dangereux, des pentes difficiles. A un moment donné nous faisons l’expérience de la souffrance.
Dans son livre sur le pèlerinage, “Journey to Christ”, Alan Jones écrit : “le pèlerinage doit prendre en compte le mystère du mal, et même la terrible possibilité de rencontrer le mal en soi et de traverser le non-sens; il implique une sorte de crucifixion avant de baigner dans la lumière”.
Marcher, c’est aussi faire avec sa pesanteur, ses limites physiques et psychiques. Pour arriver au but, il faut passer par un temps de confrontation et de résistance. Si le modèle de tout pèlerinage est l’ « Exode » de Jésus vers son Père, celui-ci passe par l’expérience de la Croix.
La vie est analogue à une marche sur un chemin. Vita (la vie) – via (le chemin) : en latin, une seule lettre les distingue. Le T, qui est un symbole de la croix. Le chemin qui mène à la vie passe par la croix !
La marche commune implique donc désirer être fidèle à la croix, simplifier sa vie, aller à l’essentiel, clarifier ses relations, dire la vérité dans l’amour, renoncer à certaines habitudes.
La vie est un voyage. Un voyage vers Dieu, où il faut se désapproprier de tout ce qui nous entrave. Alléger notre sac pour continuer. On en découvre la nécessité en marchant. Dans le film « Saint Jacques la Mecque », qui présente, sur le mode humoristique, une famille en route vers Compostelle, la scène hilarante du départ montre un pèlerin partant avec un immense sac sur son dos. Bien vite il se rend compte qu’il doit l’alléger.

d) La destination
Nous marchons ensemble vers ce qui nous dépasse. Le Royaume de Dieu. Le mois dernier j’étais à Paris et suis passé près de la cathédrale Notre Dame à la fontaine Saint Michel. Les pèlerins du Mont Saint Michel empruntaient depuis cette fontaine les «chemins de paradis ». Ils recherchent cette patrie céleste. Près de chez moi, et, par un providentiel hasard, à cent mètres de l’intersection de la Via Jacobi et de la Via Francigena, se trouve un chalet où l’on peut lire en grosses lettres sous l’avant-toit, cette inscription :
« L’homme est en chemin vers sa demeure éternelle ». Selon la Bible, nous sommes «pèlerins et étrangers sur cette terre », tournés vers la patrie qui nous attire, celle que l’épître aux Hébreux appelle le ciel (He 11).
La vie est comme un voyage, où nous sommes en route vers l’Eternel, qui nous appelle à « être saint comme il est saint ». Nous marchons vers cette « maison du Père », dont Jésus dit, qu’elle contient « beaucoup de demeures » (Jean 14,2). Nous avons à nous encourager les uns les autres dans ce saint voyage, nous entraider, faire preuve souvent de beaucoup de patiences, de miséricorde, de nous revêtir de pardon 77 fois 7 fois.

e). Silence, Pain, Parole et Partage sur le chemin.
Celui qui marche chérit le silence. L’absence de parole lui permet de placer son souffle sur le rythme de ses pas. Elle lui permet aussi d’entendre le bruit différent du pas sur un sol meuble ou caillouteux, sur un gravier, ou sur la douceur d’un sol herbeux. Et cette perception du bruit des pas fait partie du rythme de la marche.
Silence, Parole, prière et cène sont indispensable pour soutenir notre marche commune. Sans la fidélité à la prière, aux partages de la Parole, à l’eucharistie nous ne pourrions pas avancer ensemble. Comme il est aussi important d’avoir des moments de communion où nous partageons ce qui a touché notre âme. C’est cela qui construit aussi la communauté.

Marcher ensemble, une prière
Oh when the saints go marching in…Oh yes I want to be that number !

Tu nous appelles à marcher, toujours et toujours.
Même lorsque nous sommes immobilisés par accident.
C’est que la marche est d’abord intérieure :
Avancer avec toi vers la Maison du Père,
en passant par les étapes que tu as franchies :
Béthanie, Gethsémani, Golgotha, ton tombeau à jamais vide.

Tu nous appelles à marcher ensemble,
En nous soutenant les uns, les unes les autres,
En nous revêtant de miséricorde, toujours et toujours.
En vivant dans la vérité et la clarté de ta présence.
Seuls nous avançons peut-être plus vite.
En tout cas pour un temps.
Mais ensemble nous allons plus loin.

Pour viatique donne-nous
Ta Parole de vie,
Le Pain du pèlerin,
Le silence intérieur
Et la communion de nos esprits !

Rappelle-nous que le but de notre marche commune
Est le festin des noces de l’Agneau !
Tu nous prépares une table pour boire le Vin Nouveau.
Alors nous serons introduits ensemble, avec toi, dans le sein du Père

Que nous gardions toujours ce but à l’esprit,
Alors que, parfois, nous piétinons et pensons nous être égarés.
Que ce but ravive la ferveur de notre marche,
Avec toi, Jésus, notre frère, qui nous prend par la main
Et même, souvent, nous porte !

Dossier sur le pèlerinage


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