Regards Emmaus

Le Regard est le propre de l’homme !

Le regard appelle le regard ! Avant l’argent, un mendiant mendie d’abord un regard. Il cherche à capter le mien. L’homme a été créé pour la réciprocité, pour l’échange du regard. A cet égard, nous sommes tous des mendiants du regard de l’autre.

Texte complet de la retraite

Un mendiant Rom m’a dit un jour que le plus difficile à vivre l’absence de regard des passants. L’enfer peut être caractérisé par le refus de regarder l’autre. Cette allégorie racontée par Macaire, un père égyptien du désert (4e siècle) l’illustre de manière parlante :

« Un jour, en promenade dans le désert, il rencontra un crâne dans le sable et lui demanda : Qui es-tu ?
– Je suis un prêtre païen, répondit celui-ci, quand tu pries pour nous en enfer, nous sommes consolés.
– A quoi ressemble l’enfer, demanda Macaire, et quelle consolation éprouves-tu ?
– Le prêtre lui répondit : Nous sommes entourés de flammes, mais le plus grand tourment est que nous sommes enchaînés, dos contre dos et que nous ne pouvons pas voir le visage de l’autre. L’enfer c’est en fait cela. Mais quand tu pries pour nous, les liens se détachent et nous pouvons nous voir FACE-A-FACE. Et c’est cela notre consolation ! »

Macaire face a faceCe dialogue entre Macaire et le crâne est une métaphore de la confrontation de l’homme avec l’Autre, notre compagnon en humanité. Jean-Paul Sartre l’a exprimé de manière tragique : « l’enfer, c’est les autres ». Nous avons ici l’exact opposé, résumant la foi chrétienne : ce n’est pas la présence, mais l’absence de l’autre, le manque de communication, de réciprocité, qui sont causes de peines et de tourments.

 

Regard et réciprocité

Nous sommes faits pour cette réciprocité du regard, pour le face-à-face du visage.
Pourquoi ? Parce que nous avons été créés à l’image d’un Dieu qui est en lui-même réciprocité et face-à-face.
Jésus est venu nous révéler que non seulement Dieu est amour envers nous et envers la création, hors de lui-même, mais aussi au-dedans lui-même.
Tous ses gestes, ses paroles, ses silences, ses prières témoignent qu’il vit une relation de réciprocité avec celui qu’il appelle Abba, son Père. Une relation qu’il vivait déjà avant son incarnation.
Il est communion du Père, du Fils et de l’Esprit saint.

La réciprocité étant l’être même de Dieu, il n’est pas surprenant que le commandement ultime que Jésus donne à ses disciples est celui de l’amour réciproque.
Réfléchir sur le regard nous conduit donc à réfléchir sur la réciprocité qui est la marque même de la foi chrétienne.
L’apôtre Jean rapporte quatre fois dans son Evangile : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ». (13,34s ; 15,12 ; 15,17).
Dans ses lettres, il répète cet appel six fois.

Paul le mentionne dans quasiment toutes ses lettres. Déjà dans la première, celle aux Thessaloniciens. « Vous avez appris vous-mêmes de Dieu à vous aimer les uns les autres » (I Thess 4,9). Sa prière se résume dans cette demande à Dieu : « Que le Seigneur fasse croître et abonder l’amour que vous avez les uns pour les autres » (3,12) .
Paul utilise le mot grec Allélon – l’un l’autre – plus de 90 fois chez. Il suffit de prendre une concordance.
Rien que dans l’épître aux Romains Paul appelle une dizaine de fois à porter un regard positif les uns sur les autres : s’estimer mutuellement (Rom 12,10) ; avoir les mêmes sentiments les uns envers les autres (12,16) ; partager la foi les uns avec les autres (1,12) ; s’édifier mutuellement (14,19) ; s’accueillir mutuellement (15,7) ; se corriger mutuellement (15,14) ; échanger le saint baiser (16,16).
Inversement la réciprocité du regard demande de s’abstenir d’attitudes négatives : Ne pas se juger les uns les autres (14,13) ; ne pas dire du mal les uns des autres (Jac. 4,11) ; ne pas se lamenter les uns des autres (Jac. 5,9).
Ainsi rencontrer et accueillir le regard de l’autre pour être attentif, se faire proche de lui, l’aider si nécessaire et s’enrichir de lui constitue le cœur même du christianisme.

 

La réciprocité du regard est la marque de notre foi.
S’estimer mutuellement, voici le style de vie que le Christ a introduit dans le monde par son incarnation : « Que l’amour fraternel vous lie d’une mutuelle affection ; rivalisez d’estime réciproque » ! (Rom 12,10)
Avant de laver les pieds de ses disciples, de donner le commandement nouveau et d’instituer la Cène, Jésus ôte son vêtement. Il se dépouille pour partager notre humanité et notre nudité devant la mort.
Jésus apparaît comme l’homme totalement donné, qui ne pense pas à lui-même. Son regard le manifeste : il ne séduit pas, n’est pas captateur, mais il fait vivre l’autre en l’accueillant et en se donnant à lui.
Il nous appelle à faire de même : à ôter tout ce qui nous sépare de lui et les uns des autres pour l’accueillir et nous accueillir les uns les autres.

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