La devise « allez voir » (Mc 6, 38) est au centre du Rassemblement œcuménique des Églises qui a lieu du 13 au 16 mai 2021 en Allemagne. (Ökumenischer Kirchentag)
« Allez voir » est la parole du Christ à ses disciples dans l’histoire de la multiplication des cinq miches de pain et de deux poissons pour 5’000 hommes (sans compter les femmes et les enfants).
Ordre et contre-ordre !
II est intéressant de voir que ce récit commence par un ordre que les disciples donnent à Jésus : « l’endroit est désert, renvoie-les…qu’ils aillent s’acheter de la nourriture » !
Dire à Jésus ce qu’il doit faire ! Bien souvent nos prières font la même chose. Nous demandons à Dieu sans prendre conscience que chaque prière est une responsabilité.
Or Jésus répond à cet ordre des disciples par un contre-ordre : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » !
Et ce contre-ordre de Jésus les rend perplexes. Ils sont confrontés à une chose impossible : « Faut-il aller acheter pour deux cents pièces d’argent de pains » ?
Deux cents pièces d’argent, c’est la moitié d’un salaire annuel ! Impossible à ces pécheurs de rassembler une telle somme !
C’est alors que Jésus leur dit : « Combien avez-vous de pains ? Allez voir ! »
Au lieu de voir grand tout de suite, Jésus les appelle à regarder autour d’eux, sans chercher à midi et quatorze heures.
Jésus fait appel à leur responsabilité en les interpellant : « allez voir ! »
Il continue à nous le dire aujourd’hui.
« Allez voir » est un appel à assumer activement nos responsabilités et notre mission en tant que chrétiens.
Voir Jésus crucifié et abandonné
La parole « Allez voir » nous appelle à prendre au sérieux les inquiétudes et les souffrances autour de nous.
Inversement, l’appel de Jésus nous pose ces autres questions : que négligeons-nous ? Sur quoi fermons-nous les yeux ? Où regardons-nous ailleurs ?
« Allez voir » signifie surtout aller à la rencontre du cri de Jésus abandonné.
Il nous attend dans les situations et les personnes que nous rencontrons chaque jour. Être attentifs à son cri signifie accueillir la douleur de l’autre sans la fuir, l’aimer dans les cris de nos frères et sœurs.
« Allez voir » ne se limite pas à regarder, mais appelle à un changement de perspective et à un engagement responsable.
C’est un appel à notre liberté de prendre des initiatives personnelles sans attendre de transférer nos responsabilités à des institutions ou à des organisations.
Chacun, par sa réponse à l’appel du Christ, peut faire la différence !
Voir avec le Ressuscité au milieu de nous
Mais cet appel du Christ « Allez voir » signifie aussi que Jésus regarde avec nous.
Il est le Ressuscité qui est avec nous jusqu’à la fin des temps ; il regarde sa création et veut prendre soin de chaque personne.
Nous pouvons donc regarder les situations de notre monde avec la confiance que Dieu les voit aussi.
Or, affirmer que Dieu voit nos souffrances signifie qu’il nous aime. Et dire qu’il nous aime signifie qu’il va intervenir, comme il l’a fait pour son peuple d’Israël pour le libérer de l’esclavage : « Il regarda les Israélites et se rendit compte de leur situation ». (Exode 3,25)
Parce qu’il regarde avec nous, lui, le Ressuscité parmi nous, nous donne lumière, discernement, élan et confiance.
L’essentiel est de lui donner un espace parmi nous en vivant dans la simplicité et la miséricorde des Béatitudes pour qu’il puisse se manifester.
« Voir, ensemble et bien préparés ! »
Cet appel de Jésus « Allez voir » est au pluriel. Chacun de nous est concerné, mais aussi nous tous ensemble. Comment allons-nous voir ensemble ? Pour cela nous avons à nous préparer.
« Allez voir, ensemble et bien préparés ! »
Jésus nous le dit à chacun personnellement, mais aussi à nous, ensemble.
Comment, en tant communauté, pouvons-nous sortir ensemble, bien préparés pour « aller voir ». Comment nous formons-nous pour « aller voir ensemble » ?
Jésus nous appelle à identifier les besoins, les pauvretés, les injustices, les mensonges, les malhonnêtetés pour y mettre justice, vérité, solidarité, honnêteté, générosité.
Comment voir ?
Mais comment voir ces immenses besoins et ces terribles abandons ?
La réponse, nous la trouvons dans le psaume que nous avons prié.
Pour voir nous avons besoin que Dieu nous ouvre les yeux : « ouvre mes yeux et je verrai mieux » (Psaume 119,18).
Car il y a beaucoup d’obscurités aujourd’hui. Qui peut dire qu’il voit clair dans la situation actuelle de la pandémie ?
Qui peut discerner la vérité et l’honnêteté quand une « pensée unique » se répand dans tous les aspects de notre société à travers d’immenses moyens d’informations ?
La réponse de ce psaume est lumineuse : pour voir il faut écouter, garder la Parole de Dieu dans notre cœur, y réfléchir constamment, lui obéir envers et contre tout, ne pas l’oublier, l’apprendre par cœur (v. 10-17)
Pour que les écailles tombent de nos yeux, il faut que nos oreilles s’ouvrent à la Parole de Dieu.
Voir et écouter
Le sens de notre vie est d’écouter. Dans les Écritures, l’écoute vient toujours avant la vision !
L’appel de Dieu à Israël n’est pas de voir, mais d’écouter : « Écoute Israël : le Seigneur est un… » !
Jésus nous appelle à sortir pour « Aller voir », pour rencontrer et aimer notre prochain, mais nous ne pouvons le faire qu’en le mettant en premier, en l’écoutant avec le cœur et de tout notre cœur.
Nous ne devons jamais séparer les deux commandements d’amour pour Dieu et pour le prochain.
Or l’aimer de tout notre cœur, c’est l’écouter dans sa Parole, la vivre et faire sa volonté.
Les dimensions de l’écoute
C’est ce à quoi nous appelle le prophète Esaïe dans le grand texte qui a été lu (Es 55,1-5).
A plusieurs reprises, il appelle à écouter et à être attentif.
Il n’y a pas de salut, ni de vrai changement, ni de libération, ni d’espérance en dehors de l’écoute de la Parole de Dieu
Écouter signifie pour lui plusieurs choses :
- D’abord se souvenir de ce que Dieu a fait : il a béni Abraham alors qu’il était sans enfants.
- Écouter signifie avoir confiance. Comme il a donné une descendance à Abraham, il donnera des habitants à Sion qui a été détruite. Il va faire un jardin d’Éden de cette terre dévastée.
Et pour nous aujourd’hui, que signifie écouter ?
- Écouter signifie faire mémoire constamment de l’œuvre, des paroles, de la mort et de la résurrection de Jésus comme nous le faisons dans le baptême, dans la sainte cène ou l’eucharistie.
- Écouter signifie invoquer sans cesse l’Esprit saint pour qu’il nous donne de « méditer toute parole dans notre cœur », comme le faisait Marie, la mère de Jésus.
- Écouter signifie entrer dans une dimension plus contemplative de notre vie, où nous regardons les choses et les personnes à travers leur centre et leur relation avec Dieu. Dans notre monde, tout est relié le fil de l’amour de Dieu. Pour cela nous avons besoin, chaque jour, de prendre du temps pour entrer en nous-mêmes en nous confrontant aux paroles bibliques. Contempler, c’est relier toutes choses à Jésus abandonné et ressuscité au milieu de nous
Conclusion : racines et fruits
Nous avons besoin de ces invitations à « aller voir » et à « écouter » dans le temps actuel.
Que l’écoute de la Parole nous conduise à sortir pour voir, rencontrer, témoigner de notre foi en actions et en paroles.
Mais que notre action sur le terrain soit constamment ressourcée à l’écoute de la Parole de Dieu.
Par l’écoute de Dieu les racines plongent dans la terre et donnent stabilité à l’arbre, mais c’est en allant voir et servir notre prochain que l’arbre grandit.
Ou comme le dit le pape François :
« Les racines sont solides,
mais l’arbre grandit en dialogue avec la réalité. »