Agape cene

Cinq expériences autour du Repas du Seigneur

A chaque célébration du repas du Seigneur je prie pour l’unité de l’Église. Si l’engagement oecuménique est un engagement de l’Église tout entière et non un exercice réservé à quelques spécialistes, l’unité est un don de Dieu à invoquer avec ferveur.

C’est pourquoi dans le rituel romain de la Messe, au moment de l’échange de paix, le prêtre prie : « conduis (l’Église) vers l’unité parfaite ». Pour prier pour l’unité j’utilise souvent cette adaptation d’une prière proposée par la communauté du Chemin neuf :

« Seigneur Jésus-Christ, tu as dit à tes apôtres :

« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix » ;

ne regarde pas nos péchés

mais à travers ta justice et ta miséricorde !

Pour que ta volonté s’accomplisse,

donne-lui toujours cette paix !

Donne ta paix à l’Église catholique,

donne ta paix à l’Église orthodoxe et aux Églises orientales,

donne ta paix aux Églises issues de la Réforme, à la Communion anglicane,

aux Églises évangéliques et pentecôtistes,

à toutes les assemblées chrétiennes qui invoquent ton Nom !

Donne ta paix aux responsables de chaque Église.

Mets un terme à notre division ;

et conduis-nous vers l’unité parfaite,

Toi qui règnes dans les siècles des siècles. Amen »

 

Durant l’été 1995, avec l’accord du conseil paroissial, j’avais proposé à ma paroisse – Belmont sur Lausanne – de célébrer la cène chaque jour pendant trois semaines afin de prier pour la paix. La guerre en Bosnie faisait alors rage. Ce fut un temps béni de renouveau spirituel pour cette paroisse. A notre grande surprise 80 personnes y participèrent, alors qu’on était en plein été et qu’habituellement la fréquentation est très basse durant cette période.

La troisième expérience qui se vit depuis plus de vingt ans, est genevoise – « Témoigner ensemble » – rassemble les paroisses protestantes et les communautés de migrants (plus de 60 à Genève). Souvent la cène est célébrée : elle est le vrai lien d’unité avec ces communautés dont la plupart ont une spiritualité charismatique. En évoquant cette expérience, Lukas Visher me disait, peu avant de nous quitter, qu’aujourd’hui on ne peut plus se passer de la sainte cène, « pour l’honneur de l’œcuménisme ». Pour approfondir la communion avec les communautés évangéliques ou pentecôtistes, il est essentiel de célébrer ensemble la cène.

A travers le mouvement des « Montées de Jérusalem », j’ai redécouvert la communion avec le « frère aîné », le peuple d’où Jésus est issu selon la chair.1 Dans la célébration du Shabbat, il a maintenu une liturgie familiale qui a une grande force de communion. Pour marquer notre lien avec le peuple juif, il est beau de vivre en famille (ou en petit groupe), le vendredi soir, le rituel du pain et le vin, en disant les paroles de bénédiction que Jésus a lui-même prononcée : « Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi de l’univers qui fais sortir le pain de la terre » ! « Béni sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi de l’univers qui crée le fruit de la vigne » ! Ce lien se manifeste également de manière concrète quand cette bénédiction est dite explicitement lors de l’institution de la cène, comme l’a fait Jésus : « Pendant le repas, Jésus prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction… » (Mat 26,26 ; Marc 14,22).2

Enfin, cinquième expérience, le Manifeste bleu invite à vivre des « agapes non sacramentelles », pour revaloriser les repas fraternels durant nos rencontres. 3 En 2018 j’ai participé à une conférence de la Fraternité de la Transfiguration, un grand mouvement dans l’Église orthodoxe russe qui a introduit ces agapes au cœur de sa vie spirituelle. J’y ai découvert la beauté de cette pratique et l’ai proposée au groupe de partage qui se réunit dans ma maison. En partageant le pain et le vin (de manière non sacramentelle) les participants se disent l’un à l’autre : « Le Christ est parmi nous ! Il l’est et le sera » ! Cette pratique ne remplace évidemment pas la liturgie eucharistique dominicale qui rassemble le peuple de Dieu, mais permet de vivre une dimension essentielle de la communion. Une pratique que l’Église méthodiste n’a jamais abandonnée.5

Suite à la situation sanitaire provoquée par le COVID-19, où les rassemblements d’Église ont dû être réduits, voire supprimés, l’expérience des « Églises de maison » a été mise en valeur.6 Sans doute, à l’avenir, les liturgies familiales et les agapes non-sacramentelles retrouveront une place importante. Sans doute l’Église de l’avenir sera une « communauté de petites communautés », comme la « Réforme radicale » l’avait depuis longtemps compris. 7

1 Voir mon article, Les Montées de Jérusalem. Un œcuménisme spirituel.

2 Sur le lien entre le shabbat et l’eucharistie, voir Enzo Bianchi, Qu’est-ce que le dimanche ? Recherche de sciences religieuses. 2005/1, p. 27-51. Pour le « Jour du judaïsme » en Suisse, Christian Rutishauser invite à utiliser des prières eucharistiques qui font mention du peuple de la première alliance. Il souligne que les paroles exprimées sur le pain et le pain correspondent aux prières juives de bénédiction, nommées «berakhot». (Rite pénitentiel, psaumes, prière universelle, canon eucharistique, en Commission de dialogue judéo-catholique romaine de Suisse, Jour du Judaïsme, s.d., p. 78).

3 Rassemblement pour un renouveau réformé. Manifeste bleu. Point 2d.

5 L’article Agapè Feast de Wikipedia donne une histoire circonstanciée de cette pratique.

6 Sur le thème des « Églises de maison », voir Jean-Pierre Charlet, L’Église dans les maisons, Ed. Lumière de la Vie, Antibes, 2003 ; Rick Warren, Une Église motivée par l’essentiel, Ed. Motivé Essentiel, Penthaz, 2010 ; Steve Gladen, Petits groupes motivés par l’essentiel, Ed. Motivé Essentiel, Penthaz, 2011 ; Jean-Pierre Besse, Des cellules de maison pour l’Église en mission, Ligue pour la lecture de la Bible, Lausanne, 1993 ; Les communautés de maison, un espoir pour l’Église. Groupes bibliques universitaires, Ligue pour la lecture de la Bible, Lausanne, 1983.

En milieu réformé, l’alliance évangélique de travail (Evangelisch Werkverband) au sein de l’Église Protestante Unie de Hollande, sous l’impulsion de Hans Eschbach est à l’origine de plus de 2000 groupes.  L’expérience des « MIniglises » de l’Église protestante unie du Marais (Paris) a conduit à la publication de Lire, prier, partager, Olivétan, Lyon, 2020.

Dans l’Église catholique, l’expérience de la paroisse S. Eustorgio, inspirée du pasteur coréen Yonggi Cho (Succesful Home Cell Groups, Bridge-Logos, Newbery, 1981) se trouve chez Giuseppe Macchoni, Pigi Perini, Evangéliser en paroisse. L’expérience des cellules paroissiales d’évangélisation, Pneumathèque, Nouan Le Fuzelier, 1966 ;

7 Selon l’expression du Manifeste Bleu (Point II.a). Voici ce que Jürgen Moltmann a pu écrire à propos de l’importance des « communautés de base » : « L’avenir de la Réforme » ne repose pas, selon moi, sur l’aile droite de ses tendances catholicisantes, mais bien sur ce qu’on appelle l’« aile gauche de la Réforme», à savoir auprès de ceux qui, dans des ébauches sans cesse renouvelées et au prix de persécutions incessantes, ont tenté de réaliser la communauté. On les a taxés de « visionnaires », de « baptistes » et de « sectaires », et on les a réprouvés. Or ils recherchaient, en vérité, «la Réforme radicale ». Après la « réforme de la doctrine » par l’Évangile, ils voulaient la « réforme de la vie » par l’amour. Après la réforme de la foi, ils voulaient la réunion de la communauté. Au XVIe et au XVIIe siècles, ils furent persécutés par les pouvoirs publics et par les Églises d’État. Nous voyons aujourd’hui toujours plus nettement qu’ils étaient restés fidèles à cette revendication de la Réforme : être justifiés dans la foi, c’est avoir droit à une communauté. (…) C’est sur cette aile de la Réforme que repose, en principe, l’avenir de l’Église du Christ, car c’est là que se situe la terre encore largement inconnue et inhabitée de la communauté. Et ce n’est pas par hasard que naissent partout, aujourd’hui, au sein des anciennes structures des Églises territoriales, des communautés de base (…).» (Un nouveau style de vie. Renouveau de la communauté, Paris, Centurion, 1984, p.150-151). Trois décennies plus tard, Moltmann a réaffirmé sa confiance et son espérance dans la « communauté charismatique » comme lieu privilégié du renouveau de l’Église, de la société et du cosmos (cf. son article « L’Église dans la puissance de l’Esprit », Hokhma, 105, 2014, pp.3-15).


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