Le grand défi de l’alphabétisation. La contribution des Sociétés bibliques.

L’UNESCO, l’organisation des Nations Unies pour la science, la culture et l’éducation, estime, en 2018, que 750 millions d’adultes sont analphabètes dans le monde. Les trois quarts de ces personnes vivent dans dix pays seulement. Lire ici

Bien que la scolarisation primaire soit obligatoire presque partout, on constate que 20% des enfants en âge de scolarité – soit 130 millions – n’ont jamais usé leurs culottes sur les bancs d’école.

Ainsi pour l’UNESCO le grand défi actuel est « l’éducation pour tous », un concept qu’elle préfère à celui d’alphabétisation. Sa conviction exprimée dans sa charte est que « la dignité de l’homme exige l’éducation de tous en vue de la justice, de la liberté et de la paix. Il y a là, pour toutes les nations, des devoirs sacrés à remplir dans un esprit de mutuelle assistance. »

Ce but est celui de nombreuses organisations non-gouvernementales, des Eglises et des Missions. Ces dernières trouvent dans l’Evangile de Jésus-Christ la source et la motivation de leur action.

     Beaucoup de témoignages de personnes qui ont appris à lire parlent de la découverte d’une lumière, comme ce proverbe mongol : « Une personne instruite, c’est comme un jour éclairé d’un soleil brillant ; une personne sans instruction, c’est comme une nuit sans étoiles ».

      Au Brésil, un alphabétiseur m’a dit : « Un jour, j’étais dans un cours d’alphabétisation. Soudain un homme de 40 ans s’est mis à pleurer. Je lui demandais ce qui lui arrivait. Il était en train de lire le passage de l’Evangile de Jean : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique… » – Maintenant que je suis arrivé à lire ce texte, me dit-il, je peux mourir en paix! »

 

L’importance des femmes.

Dans le monde, une femme adulte sur trois ignore tout de la lecture et de l’écriture, ce qui n’est le cas que d’un homme sur cinq. Deux enfants sur trois qui ne vont pas à l’école primaire sont des filles.

Selon l’UNESCO, « de nombreuses études ont établi des liens de corrélation positive évidents entre le niveau d’éducation des femmes et les gains de productivité, la santé individuelle, les mariages moins précoces, la baisse des taux de fertilité et de mortalité infantile et la participation accrue à la vie politique.

L’éducation des filles et des femmes apparaît de plus en plus comme une clef pour sortir du cercle vicieux de l’analphabétisme, de la pauvreté, de la marginalisation et de l’explosion démographique. »

Quand une mère a une meilleure connaissance sanitaire et nutritionnelle, elle pourra mieux prendre soin de la santé de sa famille. Le simple fait de pouvoir lire les explications d’un médicament se révèle être question de vie ou de mort. On a ainsi constaté, pour chaque année supplémentaire d’instruction des mères, une diminution de 5 à 10% de mortalité de leurs enfants.

Un exemple : au Congo oriental, un projet d’alphabétisation permet aux femmes de l’ethnie Bafuliru, de l’Eglise pentecôtiste, d’apprendre à lire et à écrire et en même temps de s’initier à des techniques agro-forestières, qui leur permettent de reboiser leur région. Elles expriment ainsi leurs besoins dans les différents domaines de leur vie :

·      Le domaine spirituel : la principale raison donnée par les femmes Bafuliru pour vouloir savoir lire est d’arriver à lire la Bible et le chansonnier de leur Eglise.

·      La survie : Il est vital que les femmes Bafuliru apprennent à utiliser la terre de manière productive, puisque le sol s’épuise de plus en plus et que les cultures sont insuffisantes.

·      La dignité : Il est humiliant de ne pas savoir lire. Par exemple, si une femme reçoit une lettre de son mari, il faut demander à quelqu’un d’autre de la lire, bien que le contenu soit d’ordre personnel.

·      la récréation : La journée d’une femme commence à 4h du matin. Quand elle arrive en classe d’alphabétisation, elle a 14 heures d’activités derrière elle. Et pourtant elle arrive à apprendre à lire! C’est pourquoi les femmes ont insisté qu’une activité reposante vienne compléter le programme d’alphabétisation : les travaux d’aiguille.

 

Etre sans écriture ne signifie pas être sans culture

 Les peuples sans écritures se servent d’histoires, de paraboles, de chants pour peindre leurs réalités. Ils ont leur propre culture, qu’ils transmettent par la tradition orale aux générations suivantes. On constate toutefois qu’une langue non écrite peut disparaître plus facilement qu’une langue écrite. Le brassage culturel et les mégapoles où s’agglutinent des personnes déracinées contribuent aujourd’hui à cette perte des racines. 

L’alphabétisation permet de préserver l’identité de la langue, des coutumes et des histoires de l’origine d’un peuple. Dans beaucoup de langues minoritaires, c’est la traduction d’un texte de la Bible, qui a contribué à l’alphabétisation. Traduire la Bible se révèle donc être un facteur important du maintien de l’intégrité culturelle.

« Mes grands-parents ne pouvaient pas lire la Bible car ils ne savaient tout simplement pas lire. Ils étaient illettrés. Mais c’est d’eux que j’ai appris ma Bible. Parce que j’ai vu en eux, dans leurs paroles et leurs actions, tout le sens de la Bible. Les mots qu’ils m’adressaient, leur vie, qu’ils me racontaient, tout était imprégné des termes et de l’esprit de la Bible. Leurs enseignements, dictés par le sens de leurs responsabilités parentales, m’ont initié à l’école de Jésus. » (Karékine I, catholicos des Arméniens)

 

L’alphabétisation fonctionnelle. 

Un des grands problèmes de l’alphabétisation des adultes est la motivation. Comment trouver du temps libre pour apprendre à lire, comment surmonter la fatigue après une journée de travail, ? Il faut aussi de l’argent pour acheter des livres, assurer l’infrastructure d’une classe. C’est pourquoi l’alphabétisation doit être fonctionnelle. Elle rejoindra les personnes dans leurs préoccupations quotidiennes, l’hygiène de vie, la santé, le travail, l’agriculture, ainsi que dans leurs besoins spirituels.

On a pu constater dans certains pays que la motivation est plus importante chez les chrétiens que chez les non-chrétiens, parce que les premiers désirent lire la Bible.  Pour un chrétien, l’alphabétisation a une grande importance parce qu’elle lui permet de lire lui-même les vérités sur Jésus-Christ dans la Bible, sans avoir toujours besoin de l’intermédiaire d’une autre personne.

« Si vous allez à la campagne, vous verrez des fidèles qui ne savent pas lire mais qui ont leur Bible en main. Ils vont à l’Eglise avec leur Bible, espérant trouver quelqu’un qui leur donnera des explications sur les textes. Si un enfant d’une famille a été à l’école, celui-ci lira la Bible à ses parents. Il y a donc une motivation, un désir d’utiliser la Bible. Je crois qu’on ne doit pas sous-estimer ce fait chez les protestants. Ils sont très intéressés à participer au mouvement pour l’alphabétisation. » Pasteur Dautruche, évêque de l’Eglise pentecôtiste d’Haïti.

 

Alphabétiser dans la langue maternelle – Lire la Bible dans sa propre langue

Un congolais disait : « J’entends le français avec mes oreilles, le Swahili – la langue du commerce – avec ma tête, et ma langue maternelle avec mon cœur. »

« Si nous voulons fuir ce que Dieu nous demande, nous lisons la Bible en anglais. Mais si nous voulons vraiment Le connaître, nous la lisons dans notre propre langue, » déclarait un jeune homme aborigène australien.

Ces deux citations montrent bien que la langue maternelle est la plus efficace pour commencer l’alphabétisation. Sa maîtrise permet ensuite d’apprendre une autre langue, comme le Swahili en Afrique de l’est, qui est la lange commerciale, ou le français en Afrique de l’ouest….ou l’anglais presque partout ailleurs !

Une organisation comme la Société Internationale de Linguistique (SIL) a travaillé sur 1320 langues dans plus de 50 pays. Elle a développé des systèmes d’écritures pour plus de 800 langues. Elle a aussi édité du matériel pédagogique dans plus de 1200 langues.

         De même l’annonce de la Bonne Nouvelle est beaucoup plus pertinente quand elle se fait dans la langue du cœur. Un jour un missionnaire a reçu cette question : « Ce Dieu, dont vous nous parlez, nous connaît-il ? Si oui, pourquoi ne parle-t-il pas dans notre langue ? »

        

L’échelle de l’alphabétisation

A Madagascar, j’ai visité une école et j’ai été impressionné par le fait que seulement 20% des jeunes terminaient leur scolarité. Plus de la moitié arrêtaient avant les quatre années, qui permettraient de bénéficier des acquis de l’alphabétisation.

Le problème de l’alphabétisation n’est donc pas seulement d’apprendre, mais de maintenir les connaissances, de les exercer et de progresser. 

L’éducation doit donc être vue dans une continuité. On prendra l’image de l’échelle. Le premier échelon est de faire prendre conscience aux personnes de l’importance de la lecture et de les motiver. Le deuxième échelon est celui de l’apprentissage au moyen d’un abécédaire, le troisième consiste à pouvoir lire des textes très simples, le quatrième de progresser dans des textes plus élaborés, et ainsi de suite…c’est une échelle qui n’a pas de fin, comme celle de Jacob.

Mais la réalité est moins idyllique. Dans les pays en voie de développement, ce  qui fait  cruellement défaut sur le terrain,  c’est du matériel de lecture. Dès que vous sortez des villes, vous êtes dans un « no-mans land » alphabétique.  Dès lors ce qu’on appelle « l’analphabétisme de retour » est, tristement, l’expérience de la majorité des personnes qui ont commencé à s’élever sur cette échelle.

Il fallait voir la joie des élèves, quand Marc Rakoto, le secrétaire de la Société biblique malgache avec qui j’avais visité cette école, a commencé à distribuer des livrets bibliques en malgache pour lecteurs débutants. Les enseignants arboraient aussi un grand sourire. Intrigué, je leur demande la cause de cette joie si grande. Ils me dirent : nous attendions ce jour depuis quinze ans. Nous n’avions aucun livre durant tout ce temps !

 

Un exemple en Equateur : « Apprendre à lire, c’est apprendre à vivre. »

Dans les régions indigènes de l’Equateur le taux d’analphabétisme s’élève à 85%. L’analphabétisme est un problème majeur, non seulement de ce pays, mais de toute l’Amérique latine : les villes sont en croissance exponentielle; les gens y sont coupés de leur culture traditionnelle, et ne peuvent pas participer, faute de moyens, à la culture moderne.

Pour relever ce défi, un matériel original d’alphabétisation a été conçu par la Société biblique équatorienne appelé : « Apprendre à lire, c’est apprendre à vivre ». Trois cahiers correspondent à différents niveaux de lecture, chacun avec un puzzle comme matériel didactique. Sur ce puzzle sont marqués des mots-générateurs, selon la méthode du pédagogue sud-américain Paulo Freire.

Il n’est pas rare de rencontrer en Equateur de jeunes mères âgées de 15 ans portant un enfant sur leur dos et un autre à leur côté. Comme dans beaucoup de pays, la vie de la femme est très exigeante.

Pour donner courage aux femmes et faire réfléchir sur leur condition, le livret sur « Ruth, femme exemplaire » met en scène une femme qui a fondé une famille en situation d’exil et qui par sa détermination et sa foi arrive à renverser une situation sans issue.

Le livret et le puzzle montrent d’un côté une scène de moisson par des femmes quetchuas et de l’autre côté quatre mots-clés en rapport avec le texte biblique de Ruth.

Une pratique de la liberté : la pédagogie de Paulo Freire.

Paolo Freire considère la pédagogie comme une pratique de transformation de l’homme et de la société. Pour lui, l’éducation est une  » pratique de la liberté « .  On appelle souvent sa démarche  » conscientisation « . Il s’agit de réaliser, dans l’alphabétisation, un dévoilement de la réalité à partir de  » mots générateurs « . Ces mots sont choisis parce qu’ils se réfèrent à l’univers des membres des groupes d’alphabétisation et parce qu’ils reflètent les situations les plus concrètes et les plus centrales de leur vie. Le dialogue et la discussion à partir de mots aussi chargés d’expérience conduisent à les décoder ; dans ce décodage, se réalise à la fois l’alphabétisation et la prise de conscience des valeurs.

 

Et chez nous ?

Nous sommes aussi touchés par le phénomène de l’illétrisme. En 1994, une enquête menée dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économique nous apprend que 200 millions d’adultes dans les pays industrialisés sont illettrés! Des illettrés sont des personnes adultes qui ne savent plus – ou insuffisamment – lire et écrire, bien qu’ayant été scolarisés.

L’enquête a distingué 3 niveaux. Au niveau 1, des personnes avec un niveau très faible de capacité de lecture. Ils ne reconnaissent dans un texte simple qu’un ou deux mots qui leur sont familiers. Par exemple, ils ne sont pas capable de déterminer quelle quantité d’un médicament il faut donner à un enfant. (Au Canada francophone, 25% de personnes sont touchées, en Suisse environ entre 7 et 10%)

Au niveau 2 : une capacité de déchiffrer que des textes écrits simplement et présentés clairement. Pour eux, toute nouvelle lecture est éprouvante et les longs paragraphes de texte ininterrompu les découragent. Ces personnes croient savoir lire, mais elles ont tendance à éviter de le faire à moins d’y être obligées. (Au Canada 27% de la population).

Aux niveaux 3 : Les personnes qui ont une capacité de lecture et de calcul suffisante pour répondre à la plupart des exigences quotidiennes et de se spécialiser dans divers domaines en fonction de leur profession ou intérêts.

Même au pays de Piaget et de Pestalozzi, on tire la sonnette d’alarme. En Suisse les enquêtes durant les écoles de recrues montrent qu’un cinquième des conscrits présentent des résultats médiocres quant à la maîtrise de la langue écrite. Les explications envoyées par le Conseil fédéral avant les votations ne seraient comprises que par la moitié des jeunes citoyens. En France, une enquête récente montra que 10% des enfants sortent de l’école au bout de dix ans sans savoir lire; 10% d’autres enfants ont des difficultés à comprendre un texte. Près d’un quart des détenus à leur entrée en maison d’arrêt sont en très grande difficulté par rapport à l’écrit.

Dans cette situation la traduction de la Bible à un niveau simple comme le « Français fondamental », et l’édition d’autres textes, répondent à un réel besoin.

La maîtrise des mots est le début de la sagesse. (Antisthène)

Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. (Franz Kafka)

Bons livres font bonnes mœurs, bonnes mœurs font bonnes gens, bonnes gens font bon pays (Dicton vaudois)

 

Image : Chez les Ayacuchos, Pérou (Photo: Alliance biblique universelle) 


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