Religions : la nécessité d’un dialogue

Le 24 février 2015, le pasteur Martin Hoegger, responsable des relations œcuméniques pour l’Église Réformée Évangélique du Canton de Vaud et membre du comité de l’Association interreligieuse de l’Arzillier a donné une conférence à Martigny.
Cette interview reprend plusieurs des points qu’il a développés au cours de la soirée.

 

Martin Hoegger, l’actualité des religions est consternante. En quoi justifierait-elle l’engagement dans un dialogue ?
Pour moi, le message des attentats de Paris en janvier, auxquels j’ajouterai les massacres perpétrés au Nigeria, au Pakistan, en Irak et tout récemment en Egypte, tous ces événements révoltants soulignent l’urgence du dialogue, aussi bien entre les religions qu’à l’intérieur des religions. Dans notre monde où les cultures, les pensées, les religions cohabitent de plus en plus, à cause des flux migratoires et des techniques de communication, on ne peut plus s’ignorer les uns les autres. On doit se rencontrer et pour ce faire, on a besoin de lieux, de temps consacrés à la rencontre, de personnes qui portent le dialogue.

 

Selon vous, quelles sont les exigences de ce dialogue ?
Ce dialogue exige d’abord du courage. En 2013, j’ai participé à une audience avec le pape François, qui s’est justement exprimé sur le « courage du dialogue ». Je trouve magnifique ce qu’il a dit alors : « Dans le monde, dans la société, il y a peu de paix car le dialogue fait défaut, on a du mal à sortir de l’horizon de nos propres intérêts pour nous ouvrir à un vrai et franc parler. Pour la paix il faut un dialogue tenace, patient, fort, intelligent, pour lequel rien n’est perdu. Le dialogue peut vaincre la guerre. Le dialogue fait vivre ensemble des personnes de différentes générations, qui souvent s’ignorent ; il fait vivre ensemble des citoyens de différentes origines ethniques, de différentes convictions. Le dialogue est le chemin de la paix. Parce que le dialogue favorise l’entente, l’harmonie, la concorde, la paix. C’est pourquoi il est vital que le dialogue croisse, qu’il se répande au milieu des hommes de toutes les conditions et convictions comme une trame de paix qui protège le monde et surtout protège les plus faibles. »

 

Et quel est le but du dialogue ?
Construire la fraternité est le but du dialogue, alors que le manque ou le refus du dialogue conduit inévitablement à des affrontements et à des tensions.
Ou le dialogue, ou le choc des civilisations !

 

 Mais ce dialogue fraternel est-il possible quand nous sommes si différents ?
Le dialogue n’escamote aucune question. Par exemple : comment être très ouvert aux autres, sans perdre son identité religieuse ? Et comment vivre et transmettre son identité de croyant sans provoquer des conflits sociaux voire des affrontements religieux ? Comment définir mon identité de citoyen et de chrétien : contre les religions, sans elles ou avec elles ? Comment valoriser les richesses qui proviennent des différentes cultures, religions et ethnies, sans risquer de tomber dans le relativisme, l’affadissement de sa foi ?

 

Quelles réponses apportez-vous à ces questions ?
La fraternité réelle s’alimente à l’Evangile et au cœur des autres traditions religieuses. Elle est le fruit de la « Règle d’or » vécue : « Comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux » (Luc 6,31). On la retrouve dans le bouddhisme, le judaïsme et l’Islam sous ces formes : « Ne blesse pas les autres avec ce qui te fait souffrir toi-même » (Bouddha) ; « Ce qui est détestable pour toi, ne le fais pas à ton prochain. C’est là toute la loi, le reste n’est que commentaire » (Hillel) ; « Aucun d’entre vous n’est vraiment croyant tant qu’il n’aime pas pour son frère ce qu’il aime pour lui-même ». (Muhammad)]. Elle s’enracine dans une attitude de dialogue qui s’ouvre aux autres, fait le premier pas et les considère avec bienveillance. Elle appelle la prière, car sans elle nous serions livrés à nos faibles forces.

 

Quels sont les fruits de cette « Règle d’or » ?
En la vivant, nous créons des espaces de paix et de joie où des personnes très différentes peuvent se rencontrer. Des espaces où nous permettons même à l’Ange de la Paix de venir poser son pied.
Est-ce utopique ? Est-ce dangereux ? Est-ce irrationnel ? Est-ce provocateur ? Malgré tout ce qui la contredit chaque jour – guerres, violences, égoïsmes, intégrismes, terrorisme, manques d’attention à la personne et à son habitat– la fraternité reste la grande vérité de notre race humaine : nous formons tous ensemble une grande famille.
Celui qui a donné cette vérité à l’humanité, c’est Jésus. Avant de mourir, il a prié : « Père, que tous soient un ». (Jean 17,21) S’il a prié son Père pour la fraternité entre tous les humains, n’est-ce pas un encouragement pour nous de prier et agir pour qu’elle commence à devenir concrète là où nous nous vivons ?
Nous commençons à la rendre concrète en prenant au sérieux les défis du dialogue.

 

Dans le dialogue interreligieux, est-il possible de rester soi-même ?
Ouvrir son cœur à l’autre, c’est aussi partager son expérience spirituelle. Dialoguer c’est, après avoir écouté, proposer ce que notre foi dit sur tel sujet, sans rien imposer, sans un soupçon de prosélytisme, uniquement par loyauté envers Dieu et envers nous-mêmes et sincérité envers notre prochain. Le dialogue devient alors, à un moment donné, annonce de l’espérance qui nous habite.
Dialoguer, c’est donc, également, approfondir sa propre identité. Plus je m’ouvre à des membres d’autres religions, plus j’ai aussi besoin de m’enraciner dans ce qui fait le cœur de mon identité chrétienne. La rencontre avec les autres religions nous décante, et nous aide à aller à l’essentiel de notre foi. Elle ne détruit pas les vérités de la foi, mais les souligne.

 

Article publié dans le Nouvelliste


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