OU VA TON COEUR

« Où va mon cœur » ?

Cette question « Où va mon cœur » me semble être une des questions les plus fondamentales de notre vie.[1]  Qu’y a-t-il dans notre cœur ? Vers quoi est-il orienté ? Et comment apprendre à mieux le connaître ?

Quand nous prenons le temps d’écouter notre cœur, nous constatons qu’il est traversé par tant de sentiments, d’émotions,  de passions. Il nous conduit à gauche et à droite. En haut puis en bas ! Les chemins du cœur sont de vraies montagnes russes.

Sachant la fragilité de notre cœur, la Bible invite très souvent à la confiance du cœur : « Que votre cœur ne se trouble pas ! » dit Jésus à ses disciples qui avaient peur des persécutions.[2]

« Où va ton cœur » ?  Pour répondre à cette question nous devons nous connaître nous-mêmes.

Et on commence un peu à se connaître quand quelqu’un nous pose une question. C’est pourquoi dans la Bible, Dieu pose sans cesse des questions à l’être humain. La première question qu’il pose au premier homme est « Adam où es-tu ? ». La question qui nous occupe aujourd’hui est semblable : « Où va ton cœur ? »

Réciproquement l’homme pose des questions à Dieu, particulièrement lorsqu’il sent son absence : « où es-tu ? que fais-tu ? pourquoi m’as-tu abandonné » ?[3]

Pour les Ecritures judéo-chrétiennes, le sens de la vie humaine est en effet une relation JE-TU, une relation d’alliance entre Dieu et l’homme, où chacun interpelle et questionne l’autre. 

 

Quel est le sens du « cœur » ? 

Dans la littérature grecque classique, en plus du muscle cardiaque, le cœur désignait presqu’exclusivement le siège de sentiments. Ce sens est resté en français.

Mais la Bible élargit le sens du mot cœur. L’hébreu « Lev » et le grec « Kardios » désignent non seulement les sentiments, mais aussi les pensées et  l’intelligence.  

Surtout, le coeur est le lieu où la personne rencontre Dieu, s’ouvre ou se ferme à son amour. Il est le centre de son être, là où il dialogue avec lui-même, les autres et avec Dieu.

J’entends souvent dire de ceux qui ont fait une expérience de rencontre avec Dieu que quelque chose de nouveau s’est éveillé en eux.

Quelque chose qu’ils ne connaissaient pas auparavant. Ce sens spirituel est inconnu de la psychologie moderne et s’éveille quand Dieu visite l’âme.

Pour beaucoup c’est une illumination, comme un aveugle-né qui voit.

Le prophète Job témoigne de cette découverte quand il dit : « Je ne te connaissais que par ouï-dire mais maintenant mes yeux t’ont vu ».[4]

Chez certains la rencontre avec Dieu est soudaine, mais chez la plupart elle est progressive.

Le philosophe Pascal parle de cette découverte d’un Dieu « sensible au cœur » qui n’est pas celui des philosophes et qui l’a bouleversé, enflammant son cœur.

 

Garder son cœur plus que tout

La Bible ajoute une chose : ce cœur est fragile et il est la chose la plus précieuse que nous ayons. Il faut donc le protéger des attaques de l’extérieur et il faut lutter contre ses passions.

Un psaume pose la question : « comment un jeune homme gardera-t-il son cœur» ?[5] C’est, à mon sens une des questions les plus importantes dans la vie spirituelle.  

Dans le même sens le livre des Proverbes invite : « Garde ton cœur plus que tout autre chose, car c’est de là que jaillissent les sources de la vie ».[6]

La « garde du cœur » est un thème constant chez les Pères de l’Eglises, ces théologiens des premiers siècles. Pour eux, garder son cœur est un vrai combat spirituel. 

 

La « sclérocardie » : un cœur de pierre

Or souvent un voile recouvre notre cœur qui empêche la rencontre avec Dieu. Les prophètes le savent et s’emploient à le rappeler.

Ils constatent que notre cœur est « insensible comme une pierre ».[7] C’est leur verdict sur notre pauvre humanité. La maladie humaine la plus commune n’est pas la grippe mais la « sclérocardie », la dureté du cœur.

Le Nouveau Testament a forgé le mot grec Sklerokardia pour dire que le cœur humain peut s’endurcir.[8]  

La « sclérocardie » est cette incapacité d’entendre l’autre et d’être relié à soi-même, qui se manifeste par la duplicité et le formalisme.

Dans notre relation avec Dieu, nous sommes capables en effet de nous contenter de rites extérieurs. Les prophètes dénoncent cette attitude : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais de cœur il est loin de moi ».[9]

Il n’est pas nécessaire d’évoquer longuement les conséquences de cette « sclérocardie » : violences de toutes sortes, immoralités, injustices, exploitations, guerres, etc. Tout cela naît de cœurs de pierre qui se sont fermés à Dieu, à son amour, à la création et à l’humanité. Sous cet angle il n’y a pas vraiment de progrès de l’humanité.[10]

 

La promesse d’un cœur nouveau

La Bible n’en reste pas, bien sûr, à ce constat un peu pessimiste.

L’aspiration du croyant est d’avoir un cœur pur et bien disposé. C’est le thème de beaucoup de prières.

Deux des plus belles prières de la Bible demandent cela à Dieu :

Quand Dieu se révèle à Salomon et lui dit : « demande-moi ce que tu désires », ce dernier dit simplement : « Donne-moi un cœur qui écoute » ![11]

David, après qu’il ait été repris par le prophète Nathan suite à son adultère avec Bethsabée prie : « O Dieu, crée en moi un cœur pur ! Renouvelle en moi un esprit bien disposé ».[12]

Les prophètes bibliques entrevoient une époque où Dieu parlera au cœur de son peuple en l’amenant au désert[13], où il le changera pour qu’il l’aime de tout son cœur.[14]

Les deux grands prophètes Jérémie et Ezéchiel annoncent que Dieu écrira sa loi d’amour sur le cœur[15] et qu’il mettra un cœur nouveau, un cœur de chair en nous.[16]

 

Comment se faire un cœur nouveau ?

Comment notre cœur devient-il un cœur de chair, un cœur capable d’écouter et d’être attentif aux autres ? La Bible propose plusieurs chemins. Je voudrais en mentionner quatre. Je vais donc aller « par quatre chemins » !

  • Le chemin de l’amour de Dieu
  • Le chemin de la Parole de Dieu
  • Le chemin messianique
  • Le chemin de la prière intérieure

 

Le chemin de l’amour de Dieu

A toutes les pages de la Bible, il nous est dit et redit que Dieu nous aime depuis toujours et à jamais, comme des êtres uniques, non pas comme une masse informe.

Il nous regarde chacun avec amour, tels que nous sommes avec nos limites.[17]

Le réformateur Martin Luther a exprimé cela avec cette formule géniale : « Les pécheurs sont beaux parce qu’ils sont aimés, ils ne sont pas aimés parce qu’ils sont beaux ».

L’Evangile dit que Dieu aime tous les êtres humains quels qu’ils soient, il fait lever son soleil sur les bons comme sur les méchants et il les invite à ouvrir le cœur à son amour, à se laisser éclairer par lui, comme on ouvre nos volets pour laisser entrer le soleil. C’est pourquoi l’Evangile appelle à imiter Dieu, à aimer et à prier pour tous, même ceux qui nous font du mal.[18]

Il invite à lui offrir son cœur comme un drap déployé au soleil et se mettre à sa disposition pour découvrir ce qu’il attend de nous : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » est une demande souvent entendue.[19]

Le croyant désire ainsi une communion d’amour avec lui : « Mon cœur a soif du Dieu vivant, quand le verrai-je face à face ? »[20]

 

Le chemin de la Parole de Dieu

Dans la Bible, ce qui renouvelle notre cœur ne sont pas des rites de purification, mais la Parole de Dieu qui nous pénètre, quand nous la recevons par la foi. Cette Parole dit un texte « est vivante et efficace, plus tranchante que toute épée à deux tranchants, pénétrante jusqu’à séparer âme et esprit, jointures et moelles : elle juge les sentiments et les pensées du cœur ».[21]

C’est elle qui nous sanctifie, pénètre notre cœur et le renouvelle ; elle transforme notre volonté et illumine notre intelligence.[22]

Sans la Parole de Dieu lue, méditée, priée et vécue, pas de renouvellement du cœur possible. Elle a cette force de renouveau intérieur, car elle est plus qu’une parole humaine. A travers elle Dieu nous rejoint.

 

Le chemin messianique

Ce troisième chemin est le plus spécifiquement chrétien et conduit au centre de la foi chrétienne. A mon sens, une rencontre sincère entre croyants de différentes religions doit, à un moment donné, dialoguer avec les racines de nos identités  spirituelles.

J’appelle ce troisième chemin, le chemin messianique.

Pour un chrétien Jésus est le messie, c’est à dire celui en qui habite la plénitude des dons de l’Esprit saint.

Dans les Evangiles, la particularité de Jésus est qu’il a vécu toutes les paroles qu’il a dites.

Ses premières paroles ont été de déclarer « heureux » les pauvres de cœur et ceux qui ont un cœur pur.

Or, en lisant les Evangiles, nous découvrons que celui qui a un cœur pur et de pauvre, c’est d’abord lui. Jésus a le cœur rempli d’amour.

Il a un « cœur qui écoute » encore plus que Salomon. Son cœur est bouleversé par la souffrance des petits ; il est venu apporter la consolation aux cœurs brisés.[23]

La promesse d’un « cœur nouveau » annoncée dans l’Ancien Testament s’est accomplie en Jésus qui s’est soumis à Dieu de tout son cœur et a aimé son prochain comme soi-même.[24]

C’est pourquoi Jésus appelle à venir à lui : « Venez à moi, vous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai du repos, car je suis doux et humble de cœur ».[25]

Ainsi, pour renouveller son cœur, le chrétien va auprès de Jésus. Il prend ce troisième chemin que j’appelle « le chemin messianique ».

 

Le chemin de la prière intérieure

Il y a différentes formes de prières. Mais quelle que soit leur forme, il faut la faire avec le cœur pour qu’elle soit agréable à Dieu et profitable pour nous.

Il n’y a finalement que deux possibilités : prier de manière extérieure, en se laissant  accaparer par tout ce qui nous sollicite (que cela soit les distractions venant de l’extérieur, mais aussi celles de notre âme) ou bien prier de manière intérieure.

Vivre au dedans, plutôt qu’au dehors, c’est cela vivre avec le cœur. Faire tout avec le cœur : « Je dors mais mon cœur veille », dit une jeune femme qui attend son bien-aimé.[26]

Vivre avec le cœur, c’est travailler, marcher, parler, prier, dormir avec le cœur en veille. 

Vivre non pas « au dehors », mais « au dedans ». A ce sujet, Augustin, un penseur chrétien du 5e siècle dans l’actuelle Tunisie, a écrit ces paroles inoubliables. Il avait mené une vie dans le monde, sans Dieu et l’avait découvert tardivement, parce qu’il ne le cherchait pas avec le cœur :

« Je t’ai aimée bien tard, Beauté si ancienne et si nouvelle, je t’ai aimée bien tard ! Mais voilà : tu étais au-dedans de moi quand j’étais au-dehors, et c’est dehors que je te cherchais… Tu étais avec moi, et je n’étais pas avec toi ».[27]

 

Une expérience personnelle

Pour conclure, acceptez que je vous partage maintenant une expérience personnelle, qui est devenue l’axe spirituel de ma vie. Elle m’a fait comprendre l’importance de la prière intérieure. A l’âge de 19 ans, je cherchais la vérité. J’ai alors décidé d’étudier la théologie protestante, pensant la trouver dans les études. Je n’étais pas croyant, à tel point qu’un jour je suis entré dans une Eglise où j’ai écrit « Dieu n’existe pas ».

Après une année, j’étais découragé et j’ai décidé de faire d’autres études. Peu avant de les commencer, j’ai été invité à participer à une rencontre d’étudiants chrétiens.

J’y ai rencontré des jeunes de mon âge qui vivaient ce qu’ils croyaient. J’étais touché par ce climat spirituel. Il s’est alors passé quelque chose de totalement inattendu pour moi. Lors d’une conférence, une parole de l’Evangile a transpercé mon cœur. Le soir, dans ma chambre, je me suis mis à genoux et pour la première fois de ma vie, j’ai dit une prière du fond du cœur. Un seul mot est sorti de ma bouche : pardon !

J’ai dit « pardon », parce que j’avais fait du mal à plusieurs personnes. Le lendemain, j’ai fait une expérience de l’amour de Dieu, qui continue à m’habiter. Alors que je rentrais en train chez moi, mon cœur s’est mis à brûler en moi.

J’ai alors ouvert ma Bible et je me suis tombé sur ce passage : « Dieu est amour : qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui ».[28]

J’avais étudié la Bible pendant une année, sans la comprendre. Maintenant en la lisant, c’était comme du feu sur le feu ; mon cœur s’embrasait à sa lecture. En rentrant chez moi, la première chose que j’ai faite a été de demander pardon aux personnes que j’avais blessées. Ce jour-là j’avais compris que seul le chemin de la prière intérieure peut transformer notre cœur.



[1] Conférence donnée à la Rencontre « Musulmans et chrétiens en chemin », 30 avril 2017, Centre culturel des musulmans de Lausanne. Prilly

[2] Jean 14,1

[3] Dans plusieurs psaumes

[4] Job 42,5

[5] Psaume 119,8

[6] Proverbes 4,20-27

[7] Ezéchiel 36,26

[8] Marc 10,5, Romains 2,5

[9] Matthieu 15,7 ; Esaïe 29,13

[10] 2 Timothée, 3,1-5

[11] I Rois 3,9

[12] Psaume 51

[13] Osée 2,16

[14] Deutéronome 30,6

[15] Jérémie 31,33

[16] Ezéchiel 36,25.

[17] Marc 10,21

[18] Matthieu 5,43-45

[19] Actes des apôtres 22,10

[20] Psaume 42,3

[21] Hébreux 4,12

[22] Jean 17,17

[23] Esaïe 40,2

[24] Ezéchiel 36,25

[25] Matthieu 11,28.

[26] Cantique des Cantiques 5,2

[27] Confessions, livre X, XXVII, 38

[28] Première lettre de Jean 4,16


Publié

dans

par

Étiquettes :