dialogue

Un décalogue du dialogue

S’il y a une chose que m’inspire la situation actuelle, c’est l’urgence du dialogue. Pour dépasser les peurs, les aprioris vis-à-vis des autres communautés religieuses, il nous fait dialoguer. Mais comment dialoguer et que signifie dialoguer ?

 En méditant sur la vie de Jésus, on trouve une clé. Jésus a en effet été une personne de dialogue. Il n’était pas un philosophe de salon, mais marchait sur les routes et se laissait aborder. Il s’intéressait aux personnes, les écoutait, leur posait des questions, n’excluait personne, acceptait de changer son avis. Parfois il les interpellait et avec certains, il parlait de sa vie intérieure et de son dialogue permanent avec celui qu’il appelait « Abba », mon papa.   

 Pour un chrétien, le dialogue n’est donc pas une idéologie, ni une doctrine, mais consiste à suivre une personne, dont la vie a été un dialogue constant, dans ses dimensions autant horizontale que verticale. Et suivre Jésus, c’est vivre ses paroles. En vivant l’Evangile, on s’imprègne de l’esprit de dialogue de Jésus.  

 Un art du dialogue

 En méditant sur la vie de Jésus et en vivant ses paroles, on s’entraîne à un « art du dialogue » qui peut avoir les dix caractéristiques suivantes. Voici une proposition de « décalogue du dialogue » :

  1. Le dialogue selon l’Evangile, c’est tout d’abord n’exclure personne. Il s’adresse à tous et ne connaît aucune forme de discrimination. Si, comme l’affirme Jésus, Dieu se soucie de tous, en faisant lever son soleil sur les bons comme sur les méchants (Mt. 5,45ss), nous avons à manifester envers tous un égal intérêt.
  1. Cet art du dialogue consiste ensuite à faire le premier pas, sans attendre que l’autre s’intéresse à nous, comme Jésus qui a pris l’initiative de nous aimer, alors que « nous étions encore pécheurs » (Rom. 5,8). Dialoguer ce n’est pas demander à l’autre d’être ouvert au dialogue, mais c’est chercher à le vivre avant d’en parler et toujours recommencer quand c’est difficile.
  1. Dialoguer signifie considérer l’autre comme soi-même. C’est-à-dire vivre la Règle d’or. Cette règle qu’on trouve d’une manière ou d’une autre dans toutes les religions et que Jésus a donnée sous cette forme : « Fais à l’autre ce que tu voudrais qu’il te fasse ». Elle constitue une bonne base pour le dialogue et il faut la rappeler souvent. Elle signifie se faire petit devant l’autre. Le considérer comme plus important que soi. 
  1. Dialoguer veut dire se rappeler notre humanité commune. Avant d’être chrétien, je suis un être humain, fait de la même pâte qu’un juif ou un musulman. Pour désigner notre humanité, la Bible parle de l’être humain créé à l’image de Dieu. Dialoguer, c’est donc rencontrer l’image de Dieu en l’autre. L’image de Dieu, c’est cette soif de relation et d’amitié, que Dieu a mise en nous, car Il est en lui-même relations et ami des hommes. C’est aussi se souvenir de la présence secrète de Jésus chez les plus vulnérables, malades, prisonniers et étrangers : « Tout ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mat. 25,40).
  1. Dialoguer c’est accueillir la richesse de l’autre, les « semences du Verbe » (comme le disent les Pères de l’Eglise) disséminées en lui, la « joie » que Dieu verse dans le cœur de tous (Ac. 14,17).  Dialoguer, ce n’est pas aller à la rencontre d’un vide de Dieu chez l’autre, mais chercher à découvrir, avec discernement, ce que Dieu a déposé en lui dans sa « grâce commune ».
  1. Dialoguer, c’est regarder l’autre sans le juger. Le regard peut être une arme terrible, qui ignore l’autre, mais il peut aussi devenir une force qui le ressuscite. Dans l’antiquité grecque les esclaves étaient appelés aprosôpos, ceux qui n’ont pas de visage. Regarder l’autre sans le voir, c’est nier sa personnalité. En rencontrant une personne d’une autre religion, on peut être habité par des préjugés et des peurs. Ce parasitage intérieur brouille la rencontre. Il s’agit d’être attentif à ce qui nous habite. Quel est notre regard ? Quel a été le regard de Jésus ? Lui fait exister les personnes par la confiance qui émane de lui.
  1. Dialoguer, c’est respecter l’identité de l’autre. Ne pas exercer de pressions sur lui, ni l’enfermer. C’est reconnaître l’autre comme autre, tel qu’il est, comme un sujet et non pas comme un être à conquérir. Vouloir changer l’autre signifie un manque d’amour. Le chemin du dialogue, c’est au contraire renoncer à le changer…mais plutôt me transformer moi-même. Mais que faire lorsqu’une personne refuse le dialogue ou veut vous enfermer ? Peut-on dialoguer avec une telle personne ? La rencontre avec l’autre comporte toujours ce risque. Devant certaines fermetures, on fait l’expérience de la fragilité du dialogue. Celle que Jésus lui-même a vécue lorsqu’il a rencontré une si grande opposition. Un horizon toujours possible du dialogue est celui de la croix : l’amour n’est pas aimé. Comment Jésus a-t-il réagi ? Eh bien, devant les refus, Jésus a continué à rester dans une attitude de dialogue. Jusqu’au bout,  Jésus a maintenu ce dialogue. Devant le mépris, soit il s’est tu, soit il a demandé le respect. Voilà ce que nous avons aussi à faire : demander le respect. Et par dessus tout se revêtir de charité et prier intérieurement, avant, pendant et après les rencontres difficiles.
  1. Dialoguer, enfin, c’est « se faire tout à tous ». L’apôtre Paul est notre maître dans cet art, lui qui s’est donné entièrement à tous, en se faisant juif avec les juifs, fort avec les forts, fragile avec les fragiles, grecs avec les grecs (1 Cor. 9,19-22). Il s’agit d’essayer de rejoindre l’univers de l’autre, de percevoir sa musique intérieure, le comprendre dans ses souffrances et ses joies afin de le servir concrètement. C’est entrer dans la peau de l’autre, « se faire musulman avec le musulman, bouddhiste avec le bouddhiste », en quelque sorte. Là aussi notre modèle est Jésus, qui pour nous rejoindre s’est « vidé de lui-même », comme le dit Paul (Phil. 2,7). En me vidant de moi-même, par amour de Jésus, je crée en moi un espace où l’autre est accueilli. Cela n’est pas facile et demande un entraînement continuel, car nos affections, nos idées, notre volonté d’avoir raison ou de nous défendre nous collent à la peau. Mais ce vide de soi est le secret d’un dialogue  pouvant conduire à une profonde rencontre. Alors le dialogue ne consiste pas seulement à partager des connaissances, mais aussi nos expériences de vie et notre vie intérieure. Ouvrir consciemment son cœur à l’autre donne la base la plus solide pour construire des relations empruntes de respect et de confiance. Ainsi se construit la maison de la fraternité.
  1. Ouvrir son cœur à l’autre, c’est aussi partager son expérience spirituelle. Dialoguer c’est en effet, après avoir écouté, proposer ce que notre foi dit sur tel sujet, sans rien imposer, sans un soupçon de prosélytisme, uniquement par loyauté envers Dieu et envers nous-mêmes et sincérité envers notre prochain. C’est «  respecter la différence tout en continuant à proclamer l’Evangile », (principes constitutifs de mon Eglise, l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud). Le dialogue devient alors, à un moment donné, annonce de l’espérance qui nous habite. Pour le chrétien, c’est partager l’espérance qui l’anime suite à la mort et à la résurrection de Jésus. (cf Act. 4,20 ; I Pierre 3,15) C’est dire qui est Jésus pour lui, comment il  peut nous introduire pleinement dans la communion avec Dieu et avec les humains.
  1. Dialoguer, c’est donc, finalement, approfondir sa propre identité. Plus je m’ouvre à des membres d’autres religions, plus j’ai aussi besoin de m’enraciner dans ce qui fait le cœur de mon identité chrétienne. La rencontre avec les autres personnes d’autres religions nous décante, et nous aide à aller à l’essentiel de notre foi. Elle ne détruit pas les vérités de la foi, mais les souligne. En particulier l’incarnation de Dieu en Jésus-Christ, mort et ressuscité pour notre salut. Aujourd’hui comme hier, il n’est pas facile d’être témoin d’un « Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens », comme le dit Paul aux Corinthiens. Il y a donc une certaine tension entre le dialogue, qui accueille l’autre et le partage de nos racines chrétiennes. Tension qui provient de la discontinuité introduite par l’incarnation. Mais ce dialogue avec nos propres racines fait partie aussi du dialogue interreligieux. Si je cache mes racines, il n’y a pas vraiment de dialogue. Ce sont nos racines qui permettent à l’arbre du dialogue de déployer très haut ses branches et de porter de nombreux fruits. Si nous sommes alimentés par nos racines, nous  pouvons donner un peu de notre sève à notre interlocuteur, après qu’il nous ait donné quelque chose de ses propres racines. Alors dans le climat de fraternité de cet échange, la Vérité (et pour un chrétien, c’est le Christ !) se révèle peu à peu et c’est elle qui nous transforme.

Martin Hoegger


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