« Rien n’est impossible à toute Parole de Dieu »

L’Annonciation, vitrail dans l’Eglise de Taizé

Voir la vidéo à partir de la minute 39.

Il arrive que certaines paroles bibliques nous soient si familières qu’elles glissent sur nous sans plus nous atteindre. Et pourtant l’Évangile contient des paroles avec une puissance créatrice, capables de nous transformer. La parole que l’ange adresse à Marie en fait partie :

« Rien n’est impossible à toute Parole de Dieu »

Oui, l’ange dit littéralement à Marie :
« Rien n’est impossible à toute Parole de Dieu. » (Luc 1.37)
Il est dommage que les traductions escamotent le mot décisif : Parole (rhèma, en grec).

Cette parole fait écho au récit de la Genèse lorsque Dieu demande à Abraham :
« Y a-t-il quelque chose de trop difficile pour le Seigneur ? » (18.14) Ici le mot traduit par « chose » est Dabar, « parole » en hébreu. 

Il s’agit d’une promesse de vie adressée à Sara, alors qu’elle doutait de pouvoir enfanter.

L’ange reprend cette même logique à propos d’Élisabeth, stérile et pourtant enceinte. Mais avec Marie, nous entrons dans une profondeur nouvelle. Il y a chez Marie une réalité plus grande que chez Sarah et Abraham, Moïse et Myriam, Zacharie et Elisabeth, plus grande que tous les prophètes réunis.

Marie est à la fois unique et notre sœur. Unique car elle a donné sa chair au Fils éternel de Dieu.

L’icône de la vierge à l’enfant rappelle toujours ce mystère de l’incarnation. Le plus grand des miracles avec celui de la Résurrection du Christ….Et les deux « mystères » fondamentaux de la foi chrétienne.

L’Eglise orthodoxe l’a bien mieux compris que toutes les autres: les deux icônes fondamentales sont celle de Marie avec Jésus et de Jésus ressuscité qui tient la Bible dans sa main.

Ces deux icônes côte à côte nous disent aussi que l’on ne peut séparer Noël de Pâques. C’est parce que le Christ est ressuscité que nous fêtons Noël. La fête de Noël sans celle de Pâques serait vaine, comme le serait notre foi: « si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi » (1 Co 15.14).

Les deux icônes fondamentales dans toute église orthodoxe

Mais Marie est aussi notre sœur : son expérience avec la Parole de Dieu peut devenir la nôtre. 

Marie est une femme habitée par la Parole de Dieu. L’Écriture nous la montre en train de la garder dans son cœur et de la méditer sans cesse.

Qu’a-t-elle fait durant les trente ans de vie cachée à Nazareth ? Les textes des évangiles sont discrets sur cette réalité profonde. 

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a vécu sans cesse avec Jésus qui est la Parole incarnée. Y a-t-il eu ici-bas un lieu où la Parole ait été aussi présente ? Tout ce que Jésus disait était Parole de Dieu. Et cette Parole était aussi vie et lumière : elle transparaissait dans chacune de ses actions, chaque sentiment et attitude. 

L’habit de Marie est la Parole de Dieu. Elle s’en revêt constamment. Nous aussi, c’est notre vocation: nous revêtir de la Parole et en vivre. J’aime ces habits de chorales que j’ai vus en Côte d’Ivoire : des versets bibliques y sont imprimés. Une jolie manière de nous appeler à vivre la Parole!

Une Parole qui agit, même quand tout semble fermé

Dans l’Écriture, la Parole de Dieu se manifeste précisément là où toute issue semble bloquée. Elle s’adresse à des situations de stérilité, d’impuissance, de mort apparente. Sara est stérile, Élisabeth est stérile, Marie ne connaît pas d’homme. À chaque fois, la Parole intervient non pas pour nier la réalité, mais pour y ouvrir un avenir.

Cela révèle quelque chose de fondamental :
la Parole de Dieu n’attend pas des conditions favorables pour agir.
Elle agit au cœur même de ce qui paraît impossible.

La Parole de Dieu n’est pas stérile. Le prophète Ésaïe l’affirme avec force: « Comme la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent pas sans avoir fécondé la terre… ainsi en est-il de ma Parole » (Es 55.10-11).

Sara, Élisabeth et Marie en sont des témoins vivants.

La Parole agit en profondeur, comme l’écrit l’auteur de la lettre aux Hébreux : « La Parole de Dieu est vivante et efficace… elle juge les sentiments et les pensées du cœur » (He 4.12).

C’est pourquoi Ésaïe peut comparer la Parole à la pluie et à la neige. Elle tombe sur une terre parfois dure, parfois sèche, parfois hostile. Mais elle finit par féconder. La Parole agit souvent de manière silencieuse, progressive, cachée, mais elle ne revient jamais à Dieu sans fruit.

Une Parole vivante, qui entre en dialogue avec l’homme

La force de la Parole ne s’exerce pas de manière mécanique. Dieu ne nous contraint pas. Il nous appelle. La Parole est puissante, mais elle respecte la liberté et cherche une réponse.

Certes, Marie est « comblée de grâce » (Luc 1.28). Dieu a pris l’initiative dans sa vie, dès avant sa naissance. Il en va de même pour nous: Dieu prend toujours l’initiative: il nous a aimés avant notre naissance, mis au monde, élevés, accompagnés, appelés, faits chrétiens, justifiés. Et il continue chaque jour à frapper à notre porte : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je prendrai la cène avec lui  et lui avec moi » (Ap 3.20).

Il est important de nous le remettre en mémoire constamment, chaque jour. Les paroles de l’ange à Marie nous le rappelle: « Réjouis-toi Marie, comblée de grâce. Le Seigneur est avec toi » (Luc 1.28).

Et ce qu’il dit à Marie, il le dit aussi à chacun d’entre nous: « Tu es aimé, le Seigneur te regarde et te fait grâce. Il est avec toi ».

Le prière de l’Ave Maria le dit de manière touchante. Je l’ai découverte grâce une amie catholique – Marie Bosco Berclaz – avec qui j’ai écrit un livre sur cette prière: « Les Perles du Coeur. Le Rosaire autrement pour catholiques et protestants ». Et, pour que les protestants puissent la dire ensemble avec les catholiques, nous avons changé la deuxième partie :

Réjouis-toi, Marie,

Comblée de grâce,

Le Seigneur est avec toi.

Tu es bénie entre toutes les femmes

Et Jésus, ton enfant, est béni.

Saint-Esprit,

Amour de Dieu,

Visite-nous et sanctifie-nous,

Maintenant et à l’heure de notre mort ! Amen.[1]


Chez Marie, cette réponse est exemplaire. Elle écoute et s’interroge. Elle dialogue et ne comprend pas tout, mais elle consent. Et c’est dans ce consentement que la Parole devient chair.

Cela nous apprend que l’efficacité de la Parole n’est pas magique. Elle est relationnelle. Elle devient pleinement agissante lorsqu’elle est accueillie et crue, méditée et vécue. Marie n’ajoute rien à la puissance de Dieu, mais elle lui offre un espace. Elle devient le lieu où la Parole peut accomplir ce qu’elle annonce.

Marie ne subit pas la grâce : elle y collabore. Comme l’a dit Frank Buchman : « Quand l’homme écoute, Dieu parle ; quand l’homme obéit, Dieu agit[2]. »


C’est pourquoi Marie devient le modèle de tout croyant. Elle nous montre que la foi n’est pas une passivité, mais une disponibilité active à l’œuvre de Dieu.

Nous aussi, comme Marie, nous avons à dire « oui », à collaborer, à dire à Dieu : « je suis la servante – le serviteur – du Seigneur ». Je veux vivre ta Parole, jour après jour, instant après instant. »

Ainsi, « rien n’est impossible à la Parole de Dieu » ne signifie pas que tout se réalisera immédiatement, mais que toute Parole accueillie ouvre un processus de transformation, dans la mesure où nous aussi, comme Marie, devenons serviteurs.

Oui, c’est dans la mesure où nous vivons dans un humble esprit de service que la Parole devient vivante et efficace en nous. 

Ma découverte que « rien n’est impossible à la Parole de Dieu« 

Permettez-moi d’évoquer brièvement une expérience personnelle. J’en parle dans un livre sur « La Parole qui transforme et unit » qui sera publié en janvier prochain. 
À l’automne 1975, je cherchais désespérément un sens à ma vie. Après une année d’études de théologie vécue dans la révolte, je pensais avoir perdu la foi. J’étais passé de l’agnosticisme à un athéisme revendiqué.

Pourtant, Dieu ne m’avait pas abandonné. Lors d’une retraite spirituelle à Aix-en-Provence, une parole de l’Évangile a transpercé mon cœur. Elle révélait une zone obscure de ma vie. Le soir, seul dans ma chambre, je me suis mis à genoux. Un seul mot est sorti de ma bouche : « Pardon ».

Le lendemain, dans le train du retour, j’ai fait une expérience bouleversante de l’amour de Dieu. Un feu s’est allumé en moi. En ouvrant ma Bible, je suis tombé sur cette parole :
« Dieu est amour ; celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (1 Jn 4.16).

À partir de ce jour, la Parole est devenue vivante. Ce que je lisais ne restait plus extérieur : cela brûlait mon cœur, transformait mes relations, éveillait en moi une joie profonde. La création elle-même semblait chanter.

Comme le cœur de Marie chantait, toute la nature chantait aussi autour d’elle quand elle se rendait en hâte chez sa cousine Elisabeth, comme le dit le prophète : « Que le désert et la terre aride manifestent leur joie ! Que le pays sec pousse des cris de joie et se couvre de fleurs aussi belles que les lys ! Oui, qu’il se couvre de fleurs, et qu’il pousse des grands cris de joie ! » (Esaïe 35.1-2)

Mon cœur chantait aussi après mon expérience vécue au retour d’Aix en Provence. Il me semblait que la nature qui m’entourait poussait des cris de joie ; Le Seigneur avait changé ma relation avec la nature et les personnes.

La première démarche que j’ai entrepris après avoir été visité ainsi par le ciel a été de redire ce petit mot de six lettres aux personnes que j’avais blessées: « Pardon ». Cette expérience est devenue l’axe spirituel de ma vie: j’ai compris aussi qu’il ne faut jamais dissocier la dimension verticale de la dimension horizontale de la réconciliation.

Comment vivre aujourd’hui cette Parole ?

Nous connaissons tous des situations où nous faisons l’expérience de notre impuissance : relations brisées, dépendances, conflits, maladies, découragements. C’est précisément là que Jésus nous rappelle : « Rien n’est impossible à la Parole de Dieu. »

Cette parole ne nie pas notre fragilité. Elle l’éclaire. Elle nous apprend que la toute-puissance de Dieu se manifeste souvent à travers nos pauvres forces, lorsque nous consentons à faire sa volonté et à aimer.

Le lieu privilégié pour vivre cette parole est la prière. Jésus nous invite à demander avec foi, seuls ou ensemble, dans l’unité de l’amour. Et même lorsque ce que nous demandons ne se réalise pas comme nous l’avions espéré, nous découvrons une paix plus profonde : celle de nous savoir entre les mains d’un Père.

La Parole de Dieu cherche aujourd’hui encore un cœur où demeurer. Elle n’est pas d’abord à expliquer et à comprendre, mais à accueillir. Comme Marie, osons dire « oui ». Alors, même dans la nuit, une vie nouvelle peut naître.

Prière

Jésus, Emmanuel,
tu es avec nous aujourd’hui.
Tu connais nos résistances, nos peurs, nos fatigues.
Apprends-nous à ouvrir notre cœur à ta Parole vivante.
Que ce temps soit pour nous un temps de conversion,
un temps où nous reconnaissons combien nous avons besoin de toi.
Dans le silence, nous déposons devant toi tout ce qui a été fait sans toi
et qui ne porte pas de fruit.

Père, en Jésus notre frère et notre Dieu, nous nous tournons vers toi avec un cœur sincère,
Ta promesse demeure vraie.
Par l’Esprit Saint, tu pardonnes nos fautes
et tu fais naître dès aujourd’hui ton Royaume dans nos cœurs.

[1]  Marie Bosco Berclaz & Martin Hoegger, Les Perles du cœur. Le Rosaire autrement pour catholiques et protestants. S. Maurice, S. Augustin, 2017, p. 65.

[2] Cf. Shafique Keshavjee, Dieu à l’usage de mes fils, Paris, Le Seuil, 2010, p. 210.


Publié

dans

par

Étiquettes :

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *