Je me réjouis que l’Association des pasteurs de l’Église réformée du canton de Zurich ait publié en octobre 2025 un document substantiel intitulé « Responsabilité théologique dans la paroisse » (Theologische Verantwortung in der Kirchgemeinde). Ce texte, que l’on peut consulter en ligne, constitue un apport important pour la réflexion ecclésiologique contemporaine. La page de conclusion, en particulier, souligne avec justesse que, selon la compréhension réformée, le Christ est le Chef de l’Église et la conduit par sa Parole et par son Esprit. Elle rappelle également que la responsabilité théologique s’exerce dans l’écoute mutuelle, le dialogue et le discernement communautaire, et qu’il appartient au ministère pastoral de veiller à ce que l’Église se laisse édifier par le Dieu trinitaire.
Ces affirmations sont précieuses et rejoignent le cœur de la tradition réformée. Toutefois, à la lecture de l’ensemble du document, il apparaît que les fondements doctrinaux reconnus par l’Église zurichoise demeurent essentiellement « consultatifs » (p. 24). Le Credo de Nicée-Constantinople, en particulier, n’est mentionné que comme une référence parmi d’autres, sans valeur normative. Cette approche reflète une situation devenue commune dans les Églises réformées cantonales de Suisse, où la tradition libérale est pleinement intégrée, et où le pluralisme théologique est souvent tenu pour principe fondateur.
C’est dans ce contexte que je souhaite proposer une réflexion, enracinée dans le courant réformé confessant (illustré par exemple par le Manifeste Bleu du Rassemblement pour un Renouveau Réformé) et dans le mouvement œcuménique, sur la nécessité de redonner au Credo de Nicée-Constantinople une place normative au sein de la vie de l’Église. Car l’unité véritable ne peut se construire sur la coexistence de propositions contradictoires, mais sur la confession commune du Christ, vrai Dieu et vrai homme, confessé dans la foi trinitaire depuis les origines.
Les limites d’un pluralisme sans repères
Le pluralisme théologique, lorsqu’il n’est plus accompagné d’un cadre confessionnel partagé, conduit à une relativisation de la vérité chrétienne. Si toutes les positions deviennent recevables, y compris celles qui remettent en cause la divinité du Christ ou la réalité trinitaire de Dieu, l’Église perd la capacité de dire ce qui appartient encore à l’Évangile. Elle ne témoigne plus d’une foi reçue, mais d’un ensemble d’opinions humaines, sans hiérarchie ni discernement.
Cette situation entraîne également un appauvrissement du langage commun. Comment une communauté peut-elle témoigner d’une seule voix lorsqu’elle ne partage plus les mêmes convictions fondamentales ? Une Église où certains pasteurs confessent la foi trinitaire, tandis que d’autres la rejettent explicitement, n’est plus un corps organique porté par une confession partagée, mais une fédération d’individualités. Son unité devient alors purement organisationnelle, et son témoignage se trouve affaibli.
Le Credo de Nicée-Constantinople comme fondement de la catholicité des Eglises
Ce relativisme contraste fortement avec les avancées œcuméniques majeures survenues récemment. Le 29 novembre dernier, à Nicée même, des représentants de toutes les familles ecclésiales – orthodoxes, catholiques, protestantes, évangéliques, anglicanes et pentecôtistes – ont récité ensemble le symbole de Nicée-Constantinople à l’occasion du 1700e anniversaire du Concile de Nicée. Ce geste atteste que ce Credo demeure aujourd’hui la confession normative de toute la chrétienté. Normative au sens de Norma normata (la norme dérivée); la norme de toutes normes (la Norma normans) étant l’Ecriture sainte. Il s’agit du fondement commun, reçu, reconnu et confessé par l’ensemble des Églises, et non d’un texte facultatif relevant du seul héritage culturel.
Dans la continuité de cette célébration, une déclaration conjointe a été signée à Istanbul entre le pape Léon XIV et le patriarche œcuménique Bartholomée. Elle affirme avec force le caractère normatif du Credo de Nicée et exprime un désir profond d’avancer vers une célébration commune de Pâques, « la Fête des fêtes ». Ce signe puissant marque une étape significative vers une unité plus visible.
Les paroles du pape Léon XIV, au terme de son séjour, ont également résonné avec intensité. Il a invité les responsables de toutes les Eglises à un chemin vers Jérusalem en 2033, année du bimillénaire de la mort et de la résurrection du Seigneur. Et sur ce chemin, le Credo reste une borne milliaire.
J’en suis personnellement encouragé et reconnaissant, car cette vision rejoint précisément celle que nous portons avec l’initiative JC2033 à laquelle je collabore depuis bientôt dix ans : inviter les chrétiens à parcourir ensemble un chemin spirituel, notamment à travers une marche annuelle sur le chemin d’Emmaüs, afin de manifester notre lien vivant avec la ville où Jésus est ressuscité.
L’apport décisif de la Conférence mondiale de Foi et Constitution
Ces avancées rejoignent la réflexion menée lors de la 6e Conférence mondiale Foi et Constitution, qui s’est tenue en Égypte en 2025. Cette conférence a réaffirmé que le Credo de Nicée-Constantinople est un fondement essentiel de la foi chrétienne. Elle a précisé que son contenu doctrinal – notamment la Trinité et la divinité du Christ – est normative pour toutes les Églises, même si sa formulation peut être adaptée aux contextes linguistiques et culturels. Il est « le socle sur lequel ériger l’unité visible. » Il n’est donc pas facultatif sur le fond, mais ouvert à des traductions et à des usages liturgiques divers.
Cette approche distingue clairement l’essentiel de l’accidentel : la doctrine confessée est immuable, mais la manière de l’exprimer peut varier. Elle offre un cadre solide permettant d’unir les chrétiens autour d’une confession commune, tout en respectant la diversité des traditions.
Un appel à retrouver une confession partagée
Face à ces convergences œcuméniques majeures, la position consultative attribuée au Credo dans les Églises réformées de Suisse apparaît en décalage. La tradition réformée, pourtant, s’est toujours comprise comme une réforme de l’Église universelle, et non comme une rupture. Redonner au Credo de Nicée-Constantinople une place normative ne reviendrait pas à renoncer à la diversité théologique, mais à renouer avec la catholicité de la foi chrétienne, telle qu’elle est confessée par l’ensemble des Églises.
L’unité de l’Église ne peut reposer sur un pluralisme indifférencié, mais sur une confession partagée. Rejoindre ce mouvement ne signifierait pas renoncer à la spécificité réformée, mais au contraire retrouver la force d’un témoignage commun, enraciné dans l’Évangile.


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