mains ensemble

Quatre mots dangereux pour dire l’Eglise!

« Vous êtes la race élue, la communauté sacerdotale du roi, la nation sainte, le peuple que Dieu s’est acquis, pour que vous proclamiez les hauts faits de celui qui vous a appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière »

(1 Pierre 2,9)

Semaine prière pour l’unité des chrétiens 2016

 

 

Dans ce verset si dense choisi pour la semaine de prière pour l’unité des chrétiens de cette année, la lettre de Pierre, au moyen de deux citations, applique à l’Eglise ce que l’Ancien Testament dit du peuple d’Israël. Quelle audace !

Race, communauté, nation, peuple. Voici des mots à la fois dangereux s’ils sont absolutisés, mais aussi pleins de sens si on les met en lien avec le Christ et l’Eglise.

En effet l’exaltation de la race conduit au racisme ; la vie communautaire peut se transformer en communautarisme quand on ne s’ouvre pas aux autres ; la défense de la nation peut mener au nationalisme et le recours au peuple peut provoquer le populisme.

Comment donc comprendre ces termes dans la lettre de Pierre ? Comment les relire aujourd’hui en lien avec l’Eglise et l’appel à son unité ? Prenons ces mots les uns après les autres, en les éclairant par le contexte de ce passage. A chaque fois je me demanderai quel est l’enjeu pour l’unité des chrétiens et je partagerai quelques expériences œcuméniques concrètes.

 

1. Vous êtes la race élue.

Elu signifie être choisi et aimé, comme la fiancée est l’élue du cœur de son bien-aimé. Faire partie de l’Eglise, c’est d’abord avoir confiance que Dieu m’aime, qu’il m’a « fait miséricorde » (v. 10). A moi comme à tous.

En Christ, toutes les races sont aimées. Tout racisme est donc exclu. Je suis choisi et précieux aux yeux de Dieu, comme Jésus est une « pierre choisie et précieuse devant Dieu » (v. 4). Ce que Dieu a dit à Jésus lors de son baptême, il me le redit lors du mien et chaque jour à nouveau : « Tu es mon enfant bien-aimé, en toi j’ai mis toute mon affection » (Mat 3,17). Ce à quoi Pierre nous appelle c’est donc avant tout à la foi en Jésus-Christ mort et ressuscité, le visage de la miséricorde divine.

 

  • Enjeu pour l’unité chrétienne : témoigner de la miséricorde

La vocation première de l’Eglise est d’être témoin, en paroles et en actes, de cette miséricorde divine. Envers tous, en particulier envers les plus fragiles et démunis. Pour cela nous avons à commencer à nous revêtir de miséricorde les uns envers les autres. « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que tous connaîtront que vous êtes mes disciples » (Jean 13,35) Cette « année de la Miséricorde » nous le rappelle et nous y appelle ! Voulue par le pape Françoie, cette année est l’affaire de tous. Aussi des protestants! Susciter un grand courant de bienveillance entre Eglises, communautés et mouvements, voilà une belle vocation pour cette année !

Ainsi notre diaconie et notre témoignage gagneront en pertinence et rayonneront. Si nous sommes bienveillants les uns envers les autres, nous pourrons d’autant mieux servir et témoigner de l’Evangile aux plus pauvres. Et nous pourrons aussi le faire ensemble !

 

  • Un exemple : des missions diaconales communes

Permettez-moi que je vous donne, çà et là, quelques exemples tirés de mon expérience en Suisse romande. Concernant la diaconie œcuménique, le premier exemple qui me vient à l’esprit est celui des «Missions communes » entre l’Eglise réformée et l’Eglise catholique dans le canton de Vaud. En effet ces deux Eglises ont décidé de travailler ensemble dans les domaines des aumôneries d’hôpitaux, de prisons, dans la rue, auprès des migrants, dans les établissements pour personnes âgées, dans les écoles et à l’université. Pour chaque activité un conseil œcuménique accompagne le travail des aumôniers, l’un catholique, l’autre protestant.

 

2. La communauté sacerdotale du roi.

Nous sommes des prêtres qui servent Dieu et le Christ, notre « roi couvert de blessures », comme le dit un vieux cantique protestant. Le Christ est aussi notre grand Prêtre qui, par sa croix, nous réconcilie les uns les autres en Dieu. Le message de l’Eglise est, à la suite de l’apôtre Paul, de « ne rien savoir d’autre que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » (2 Cor 2,2). C’est pourquoi toutes les lettres de Paul et de Pierre appellent à l’unité dans la communauté, entre juifs et grecs d’abord, entre riches et pauvres, hommes et femmes, etc. En lui, chacun devient un prêtre, un artisan de dialogue et de réconciliation afin de susciter dans notre monde une vraie communauté de partage, de soutien, de fraternité.

 

  • Enjeu pour l’unité chrétienne : renouveler la vie communautaire dans chaque Eglise

Le défi de chaque Eglise, paroisse, assemblée est de créer une communauté fraternelle, où les personnes se rencontrent en discernant le visage du Christ en chacun. Ce défi, les nouvelles Eglises évangéliques et pentecôtistes le relèvent. Elles ont le charisme de susciter ces relations, tout comme les Eglises issues de la migration. Mais ce défi est particulièrement important pour les Eglises historiques, qu’elles soient catholiques, protestantes ou orthodoxes. Ce défi, je le résume en quelques mots : créer la vie communautaire dans la paroisse.

 

  • Un exemple : une paroisse renouvelée

Dans ma paroisse du Mont sur Lausanne, nous avons mis l’accent sur le renouveau de la vie communautaire. Nous avons choisi comme maxime : « Tous ensemble pour vivre l’Evangile. Annoncer et célébrer Jésus-Christ. Edifier son corps pour servir notre prochain ». Pour cela nous encourageons la formation de groupes de partage, prière, lectio divina. Actuellement il y en a une trentaine entre 5 et 20 personnes. Certains groupes ont été formés suite à un parcours Alpha, ou suite à d’autres actions semblables mises en place par le conseil paroissial. Quelques uns sont œcuméniques. Au coeur de la vie de ces groupes, le partage de la Parole de Dieu, dont nous expérimentons le dynamisme de communion et de rayonnement! Un des fruits est que la participation au culte dominical a augmenté. Il est beau de louer le Seigneur avec une assemblée où enfants, jeunes et familles sont bien présents. Et à l’issue de la célébration de rencontrer de nouvelles personnes, d’élargir le cercle de ses amis ! Tout cela ne naît pas en un seul jour, bien sûr. C’est un travail sur 20 ans ! Mais il vaut la peine de commencer. En regardant surtout à notre « roi couronné d’épines » ! Par lui nous sommes réconciliés puisqu’il a pris sur lui tout ce qui divise. Sans lui, impossible de construire une communauté fraternelle!

 

3. La nation sainte.

Elle est sainte, car le seul Saint, le Christ ressuscité est au milieu d’elle. La sainteté exprime l’appartenance. « Mon unique consolation, dans la vie et dans la mort, c’est que j’appartiens à Jésus-Christ », dit la célèbre réponse du catéchisme de Heidelberg, un des textes les plus populaires de la Réforme. Rien ne pourra nous séparer de lui et en lui nous nous appartenons les uns aux autres. On lui appartient comme nation sainte en « écoutant sa voix » ( Ex 19,5). C’est à dire en faisant sa volonté et en vivant sa Parole. L’Eglise est une nation qui commence lorsque « deux ou trois sont réunis en son nom » et qui font alors l’expérience de la présence spirituelle et réelle du Christ, de l’action de l’Esprit saint (Mat 18,20). Il suffit de vivre « en son nom », c’est à dire d’écouter et de vivre sa Parole en pratiquant son style de vie qu’il résume dans les Béatitudes : joie, simplicité et miséricorde. Béatitudes qu’il a toutes vécues sur la croix, où il était tourné radicalement vers son Père dans la confiance et vers les hommes dans la miséricorde.

 

  • Enjeu pour l’unité chrétienne : sans l’Esprit saint, pas d’œcuménisme !

L’œcuménisme a besoin de cet élan spirituel suscité par le Christ vivant, par le Saint Esprit qu’il répand dans nos cœurs. Sans l’Esprit saint, l’œcuménisme tombe dans le formalisme. Sans l’Esprit saint, nos déclarations deviennent des slogans. Sans l’Esprit saint, nos célébrations deviennent des cérémonies officielles. Sans l’Esprit saint, nos décisions deviennent de la politique ecclésiastique. Sans l’Esprit saint, notre service devient une stratégie de communication.

Nous avons besoin de l’Esprit saint plus que tout. Nous avons besoin de sentir la présence réelle de Jésus parmi nous, qui nous unit au delà de toute formulation, de toute théologie, de toute structure. Nous avons besoin de l’Esprit saint pour progresser dans le dialogue de la vie et de la charité, comme dans le dialogue théologique.

Mais comment l’Esprit vient-il à nous ? Comment devenir cette « maison habitée par l’Esprit », comme le dit Pierre dans notre passage ? (v. 5) Jésus nous le dit à plusieurs reprises, en particulier dans l’Evangile de Jean. « A celui qui m’aime je me manifesterai » (Jean 14,21). Et comment l’aimer ? Il nous fait comprendre que l’aimer c’est écouter et vivre ses Paroles, en particulier celle de son « commandement nouveau », qui les synthétise toutes : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean 13,34)

 

  • Un exemple : la promesse de la lectio divina

Pour renouveler l’œcuménisme, une écoute renouvelée de la Parole, dans l’esprit du « commandement nouveau » est nécessaire Je désire vous partager maintenant mon expérience de la lectio divina. Depuis plus de 25 ans je la pratique, soit seul, soit en groupe. A travers l’Ecriture, Jésus me parle chaque jour, me communique son Esprit, car ses Paroles sont Esprit et Vie. Je la lis aussi avec des amis de toutes les Eglises, en particulier dans l’Ecole de la Parole en Suisse romande, un lieu de communion entre catholiques, orthodoxes, évangéliques et protestants. En 2008, le comité de l’Ecole de la Parole a visité le Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens au Vatican. Nous y avons vécu ensemble avec ce Conseil une lectio divina mémorable. Voici ce que nous disait un secrétaire de ce Conseil, Gosbert Byamungu : « En priant et en écoutant ensemble la Parole de Dieu, en échangeant nos impressions personnelles sur les cordes que la Parole de Dieu fait vibrer en nos âmes lorsque nous la lisons, nous ne nous enrichissons pas seulement de la spiritualité de l’autre mais nous améliorons notre compréhension réciproque et cela est porteur de bienfaits œcuméniques incalculables ».(voir ici)

 

4. Le peuple que Dieu s’est acquis pour que vous proclamiez les hauts faits de celui qui vous a appelés à sa merveilleuse lumière

Par la foi et le baptême, chaque croyant devient membre d’un seul peuple. Bien qu’il soit composé de gens de milliers de peuples différents – et du peuple que Dieu a élu, Israël – ce peuple est unique ! Parce que ce peuple habite dans la « maison habitée par l’Esprit » (v. 5), il est un lieu de communion et de célébration.

Si l’Esprit saint remplit tout et est partout présent, c’est dans l’Eglise qu’il manifeste surtout la force de son action guérissante et réconciliatrice. C’est lui qui permet que la diversité extraordinaire de ce peuple ne soit ni juxtaposée, ni niée, mais réconciliée.

Or Dieu s’est acquis ce peuple pour qu’il proclame ses hauts faits. Quels sont ces hauts faits ? C’est la révélation de Dieu en actes et en paroles pour notre rédemption, à travers l’histoire de son peuple d’Israël et au plus haut point dans la Pâque de son Fils. Dieu verse en nous son Esprit pour que nous proclamions l’œuvre du Père à travers le Fils, dans la puissance du Saint Esprit. En particulier durant le culte, où nous annonçons Sa Parole et célébrons le baptême et l’eucharistie.

 

  • Enjeu pour l’unité chrétienne : la pleine communion eucharistique

L’eucharistie est justement ce temps où l’Eglise proclame les hauts faits de Dieu dans la création et dans le salut, fait mémoire de la mort de Jésus, célèbre sa résurrection et sa prière continuelle en notre faveur, prie pour son retour et invoque avec ferveur l’Esprit saint. S’il y a un moment dans la vie de l’Eglise auquel Jésus a pensé dans sa prière pour l’unité (« Que tous soient un », Jean 17,20), c’est bien à l’eucharistie. Aujourd’hui l’Esprit saint souligne cet appel à une pleine communion, sans restriction, à une eucharistie célébrée ensemble par toutes les Eglises, autour d’une même table, par des ministres qui se reconnaissent mutuellement. Mais déjà maintenant, par sa grâce, le Père nous introduit dans sa merveilleuse lumière à travers l’eucharistie. Qu’il nous fasse le don d’y entrer ensemble le plus rapidement possible !

 

  • Un exemple : prier ensemble dans une cathédrale

Mais comment avancer sur ce chemin ? Permettez que je vous partage une belle expérience. Dans la cathédrale de Lausanne, nous vivons depuis 12 ans chaque premier dimanche du mois une célébration de la Parole. Toutes les Eglises, communautés et mouvements sont invités à y participer ou y assister. A ce jour plus de 100 célébrations nous ont réunis. Tantôt pour une célébration confessionnelle, tantôt pour une célébration œcuménique. Prier ensemble ou découvrir comment une Eglise sœur « proclame les hauts faits de Dieu » est si important. On découvre qu’on a en commun tant de choses et que l’Eglise est un jardin avec des fleurs de centaines de couleurs différentes. La prière est l’âme de l’œcuménisme, car en se tournant ensemble vers le Christ, c’est en fait lui qui se tourne vers nous, vient vivre parmi nous et nous entraîne là où il le désire, bien au delà de ce que nous pourrions imaginer ou même rêver.

 

Un peuple de pèlerins

Nous faisons partie d’un peuple en marche vers Celui qui vient. Aujourd’hui toutes les Eglises sont appelées à réaliser qu’elles sont en route, en pèlerinage, ensemble. Un « Pèlerinage de justice et de paix », comme nous y invite actuellement le Conseil œcuménique des Eglises. Comme Marie, mère du Seigneur et modèle de l’Eglise, le peuple de Dieu en marche chante son Magnificat pour « proclamer les hauts faits de Dieu », sa miséricorde, sa justice et sa fidélité.


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