Cette année 2025 a marqué le 1700e anniversaire du Concile de Nicée qui fut un moment décisif dans la vie de l’Église. Ce concile a affirmé avec force la pleine humanité et la pleine divinité de Jésus Christ. C’était une proclamation essentielle du mystère du Christ à une époque où sa divinité était rejetée par une grande partie de l’Eglise.
Mais derrière cette lumière s’est profilé une ombre douloureuse. Le décret de Constantin, déclarant que les chrétiens ne devaient « rien avoir en commun avec la foule juive détestable », révèle une mutation profonde de la conscience ecclésiale : l’Église s’est comprise désormais en opposition au peuple juif, et non plus en prolongement de l’alliance avec lui.
Et c’est ainsi que l’Église s’est détachée de ses racines juives, s’éloignant du peuple à travers lequel Dieu s’était révélé au monde.
Là où il y avait continuité et promesse partagée, il y eut séparation. Ce jour-là, une fracture s’est ouverte dans le cœur de l’Église. Elle s’accentuera au cours des siècles avant que cette « culture du mépris » fasse place au renouveau des relations entre juifs et chrétiens par les nombreux dialogues au XXe siècle.
De plus le concile de Nicée a aussi conduit à l’éloignement des communautés judéo-chrétiennes composées de disciples juifs de Jésus, qui existaient encore à l’époque. La polémique antijuive, en particulier dans le contexte de la séparation de la date de Pâques juive, s’adressait, en effet, aussi à cette « Église issue de la circoncision. »
L’oubli de la racine
Au nom d’une foi universelle, on a voulu effacer ce qui paraissait trop particulier : le lien de l’Église avec Israël.
Mais en coupant cette racine, l’arbre tout entier a souffert.
Car, comme le rappelle Paul, les croyants venus des nations sont greffés sur « l’olivier franc » représentant le peuple juif fidèle (Romains 11.17).
C’est dans cet olivier qu’est communiqué la sève, la vie spirituelle qui vient des patriarches, des prophètes, des psaumes, de la foi d’un peuple choisi par Dieu pour « pratiquer la justice, aimer la miséricorde et marcher humblement avec Dieu. » (Michée 6.8)
Lorsque l’Église a oublié cela, elle a blessé non seulement Israël, mais aussi sa propre identité. Elle a perdu la mémoire de sa source, la chair même de l’incarnation.
Et quand on oublie que Jésus est juif on finit par ne plus comprendre ce que signifie l’incarnation : Dieu qui s’enracine dans une histoire, une langue, un peuple. Non pour limiter sa grâce à ce peuple, mais pour l’ouvrir à tous les peuples.
Une identité façonnée par la séparation
L’Église s’est alors construite peu à peu par différenciation : elle s’est définie en se distinguant du peuple juif, au lieu de reconnaître qu’elle partage avec lui une même alliance.
La théologie de la substitution a alors pris racine : on a cru que l’Église avait remplacé le peuple juif et que toutes les promesses de Dieu étaient maintenant destinées à l’Église.
Mais Dieu ne remplace pas, mais accomplit et il élargit.
Son dessein n’était pas d’écarter le peuple juif, mais d’ouvrir son alliance à toutes les nations, sans jamais renier son premier amour.
Le grand mystère que Paul appelait « le plan caché en Dieu » (Éphésiens 3.9) est celui-ci : Juifs et non-Juifs, réconciliés et unis dans le Messie.
Une blessure toujours vivante
La séparation née à Nicée n’a jamais été totalement guérie. Elle a marqué les siècles, façonné les mentalités et même la manière dont beaucoup de chrétiens comprennent leur foi.
Encore aujourd’hui, certains vivent leur foi en Jésus, le Messie, sans conscience de la racine qui les porte.
D’autres, craignent toute référence au peuple juif, comme si cela risquait de diviser. Alors on évite de prononcer le nom même d’Israël.
Mais on ne peut pas être greffé sans reconnaître l’arbre qui nous soutient.
On ne peut pas dire aimer Jésus-Christ sans estimer le peuple dans lequel Dieu a choisi de se faire chair.
Cette fracture ancienne n’est pas seulement une erreur du passé : elle demeure une blessure vivante dans le corps du Christ aujourd’hui. Elle est même accentuée, comme jamais, par le douloureux conflit israélo-palestinien.
Retrouver la source : un appel du cœur
Guérir cette blessure n’est pas une affaire d’érudition, mais une illumination et une conversion intérieures. C’est un appel à revenir à la source de la foi, à l’alliance vivante de Dieu.
Cela commence par la repentance : reconnaître que l’Église s’est enorgueillie, croyant pouvoir vivre séparée du peuple juif.
Puis vient la redécouverte : comprendre que l’alliance avec Abraham n’a jamais été révoquée, mais accomplie et élargie dans le Messie.
Et enfin, vient la réconciliation : Juifs et non-Juifs appelés à se tenir ensemble, dans le respect de l’identité de chacun et dans la complémentarité.
Une espérance pour les temps à venir
Cette réconciliation n’est pas un rêve naïf. C’est une promesse biblique attestée par l’apôtre Paul qui l’annonce pour la fin des temps : elle sera comme « une vie d’entre les morts » (Romains 11.15).
Quand Juifs et nations se retrouvent dans le même Messie, quelque chose de nouveau se lève : la lumière du Royaume à venir.
Cette unité retrouvée est un signe du monde réconcilié que Dieu prépare, une anticipation de la gloire promise. Aujourd’hui, il y a déjà des signes de cette lumière à travers tant de rencontres et de dialogues. Également à travers le témoignage de ces juifs, qui tout en restant fidèles au judaïsme, reconnaissent Yeshua comme leur Messie.
Retrouver cette communion avec cette « Église née de la circoncision » permet de guérir toutes les autres divisions qui ont déchiré l’Église au cours des siècles et qui la déchirent encore.
Un appel pour notre temps
Revenir à la racine, ce n’est pas revenir en arrière, mais revenir à l’essentiel.
C’est reconnaître que la fidélité de Dieu au peuple juif est un signe de sa fidélité envers nous.
C’est redécouvrir que Dieu n’a jamais rejeté son peuple, mais l’embrasse toujours à nouveau, en appelant tous les peuples à accueillir l’immense étreinte de son amour.
L’unité véritable de l’Église ne se construit pas en effaçant les différences, mais en laissant chaque peuple, chaque culture, chaque vocation trouver sa place.
Alors la confession de foi de Nicée prendra tout son sens : « Jésus-Christ, vrai Dieu de vrai Dieu, Lumière de Lumière », mais aussi vrai homme né d’une vraie femme d’Israël, peuple porteur de la promesse faite à Abraham pour bénir toutes les nations de la terre.
Conclusion
Le concile de Nicée a donné à l’Église un fondement doctrinal solide, mais il a laissé une blessure qu’il nous appartient aujourd’hui de guérir.
Dieu appelle son Église à revenir à la gratitude envers le peuple juif et à la joie d’être greffée sur l’olivier franc.
C’est en redécouvrant son lien avec le peuple juif que l’Église retrouvera son visage véritable. L’une et l’autre sont appelés à vivre l’accueil réciproque : « accueillez-vous les uns les autres, comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu. » (Romains 15.7)
Que l’Église redécouvre que « le salut vient des Juifs » (Jean 4.22), non pour les exclure, mais pour inclure les nations et les bénir !
Car toutes les familles de la terre sont appelées à devenir un seul peuple, un seul cœur, devant le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Le Dieu qui s’est incarné en Yeshua de Nazareth, vrai Dieu et vrai juif.
Pour un développement plus académique, lire mon article: Comment commémorer les 1700 ans du Concile de Nicée dans le contexte des relations judéo-chrétiennes actuelles ?


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