Les petits pas d’une grande espérance

Pas encore unis, catholiques et protestants ne sont plus ennemis les uns des autres: des avancées importantes ont eu lieu récemment. D’autres petits pas, mais des pas décisifs, sont à notre portée dès maintenant, sans attendre que tous les grands problèmes soient résolus. Lors de la journée « Livre à Vivre », à Crêt Bérard (7 mars 2015) un prêtre – Michel Salamolard et un pasteur – Martin Hoegger – s’interrogent et se répondent.

Ce dialogue est dans le prolongement du livre qu’ils ont écrit : Le Pari fou des chrétiens (Ed. Saint-Augustin, Saint Maurice 2013)

Pour lire les deux conférences, pdf cliquez ici.

 

La contribution de Martin Hoegger a trois parties. Il commence par évoquer quelques avancées, puis quelques obstacles et conclue en proposant quelques petits pas pour donner chair à cette grande espérance.

1. Quelques avancées entre catholiques et réformés

  • La reconnaissance mutuelle du baptême

En Suisse, cet événement décisif eut lieu en 1976 entre les trois Eglises reconnues sur le plan national (FEPS, Conférence des évêques et Eglise catholique chrétienne). La reconnaissance se base sur la conscience de « leur commune responsabilité et dans la conviction d’avoir la même espérance et la même mission en vue de la célébration pleinement authentique du seul baptême chrétien ». Cette reconnaissance a été élargie à 4 autres Eglises, le lundi de Pâques 2014.

Notons que la recherche œcuménique actuelle souligne l’importance du baptême pour avancer sur un chemin de communion.

  • Les dialogues internationaux entre la Communion mondiale des Eglises réformées et le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens et les commissions de dialogue nationales. Le groupe des Dombes. Foi et Constitution : le BEM

Parmi les nombreux dialogues que ces deux organismes ont entrepris, celui qui fait se rencontrer la CMER (anciennement Alliance Réformée Mondiale) et le CPPUC en est à sa troisième phase. C’est le premier dialogue entre réformés et catholiques à un niveau mondial, depuis le temps de la Réformation.  

Dans beaucoup de pays, il existe des commissions de dialogue bilatéral entre l’Eglise réformée et l’Eglise catholique. En Suisse, la Commission de dialogue protestants/catholiques est à l’œuvre depuis bientôt 40 ans.

Le Groupe des Dombes est un signe d’espérance. Egalement Foi et Constitution : son document principal, le BEM (Baptême-Eucharistie-Ministère), a signalé beaucoup de convergences sur le baptême et l’eucharistie, moins sur le ministère. Les questions du ministre de l’eucharistie et de la succession épiscopale restent cruciales.

  • La Charte œcuménique européenne et d’autres engagements locaux

Officiellement ratifiée en 2001 par la Conférence des Eglises européennes et le Conseil des conférences épiscopales européennes, ainsi que par la Communauté de travail des Eglises de Suisse, en 2005, la Charte œcuménique concerne nos relations entre catholiques et réformés, mais aussi avec l’Eglise orthodoxe et les autres Eglises de la famille protestante. Ce texte invite à créer une « culture œcuménique de dialogue et de collaboration ». Devant les difficultés, les Eglises reconnaissent qu’il « n’y a pas d’alternative au dialogue ».

Sur le plan local, la charte du Conseil des Eglises chrétiennes dans le Canton de Vaud (CECCV) s’est grandement inspirée de la Carta oecumenica et a été signée en janvier 2003 par 20 Eglises.

  • La déclaration commune concernant la justification

En 1999, l’Eglise catholique a fait un énorme pas en avant en reconnaissant que la foi qui est la sienne est la même que celle des Eglises luthériennes, en signant un document intitulé « Déclaration commune concernant la doctrine de la justification ». Ce texte reconnaît qu’il y a un consensus sur cette doctrine, lequel permet de dépasser les condamnations doctrinales  du 16e siècle. Cet accord signé entre luthériens et catholiques peut tout-à-fait s’élargir aux Eglises réformées. Des efforts sont d’ailleurs entrepris dans ce sens.  

 

2. Quelques points à approfondir

Je pourrais mentionner plusieurs points : la question de la conception de l’apostolicité, celle de la compréhension de la présence réelle dans l’eucharistie, la question délicate de sa présidence. Et récemment des questions éthiques sont apparues comme de nouveaux obstacles pour l’œcuménisme.

Je voudrais me concentrer juste sur un point : celui de la communion ecclésiale. Comment la comprend-on ? Les Eglises ont des conceptions diverses de ce qu’implique la communion ecclésiale et ces conceptions sont à l’arrière plan de la possibilité ou non de pratiquer ou non l’hospitalité eucharistique et l’intercommunion 

  • Pour les Eglises réformées et luthériennes : communion dans la Parole et les sacrements

Dans un texte fondamental de la Réforme, la confession d’Augsbourg (1531) affirme : « pour qu’il y ait une vraie unité de l’Eglise chrétienne, il suffit que l’Evangile, bien compris, y soit prêché en un complet accord et que les sacrements y soient conférés conformément à la Parole divine »  (Art. 7). Dès lors les protestants luthéro-réformés font de la communion dans la Parole et les deux sacrements du baptême et de la cène la condition nécessaire et suffisante pour l’unité de l’Eglise. Il peut y avoir des formes très différentes d’organisation de l’Eglise (épiscopale ou non) : une unification de son organisation n’est pas nécessaire. Les églises qui s’accordent sur la compréhension de l’Evangile,  se déclarent en communion. C’est ce qui est arrivé en 1973 avec la Concorde de Leuenberg, où les protestants ont retrouvé la communion eucharistique et ont reconnu leurs ministères et leur interchangeabilité.

  • Pour l’Eglise anglicane : communion dans la Parole, les sacrements, les deux confessions de foi et la succession épiscopale

Pour l’Eglise anglicane, l’épiscopat fait partie de la foi à confesser, comme d’ailleurs pour les églises orthodoxe et catholique. Mais l’Eglise anglicane accepte l’intercommunion avec les protestants, ce que n’acceptent ni l’Eglise orthodoxe, ni l’Eglise catholique.

  • Pour l’Eglise orthodoxe : communion dans la Parole, les sacrements, les 7 conciles et la succession épiscopale.

L’Eglise anglicane est proche de l’Eglise orthodoxe, laquelle ajoute encore les 7 conciles dits « œcuméniques » (les églises protestantes reconnaissent les six premiers, mais pas le 7e sur la légitimité des icônes). Pour pouvoir communier dans cette Eglise, il faut accepter ces différents points de la foi. Pour les orthodoxes, la communion eucharistique exige au préalable la pleine communion dans la foi.

  • Pour l’Eglise catholique : communion dans la Parole, les sacrements, les conciles, la succession épiscopale en lien avec le successeur de Pierre.

L’Eglise catholique est doctrinalement proche de l’église orthodoxe, mais elle ajoute encore d’autres conciles et la communion avec le successeur de Pierre, le pape, pour être en pleine communion avec elle. Communier pleinement à l’eucharistie dans l’église catholique, c’est en définitive accepter ces divers principes de communion. La pleine communion ne pourra être réalisée que dans la mesure où le lien avec l’évêque de Rome sera rétabli. Cela constitue un grand obstacle, mais la nature de son ministère est en train d’être discutée (en particulier dans le dialogue entre les églises catholique et orthodoxe). Le pape François, même s’il ne s’est pas prononcé, pour le moment, sur cette question, donne un exemple d’une nouvelle manière d’habiter de ministère, qui plaît aux protestants.

 

3. Quelques petits pas pour avancer sur le chemin

Nous faisons déjà beaucoup ensemble, mais nous pouvons faire beaucoup plus. Nous devrions appliquer de manière plus radicale le « principe de Lund » édicté en 1952 lors d’une conférence de Foi et Constitution : « Agir ensemble dans tous les domaines sauf dans ceux où de profondes différences de conviction nous obligent à agir séparément ». Il y a tant de domaines où nous pouvons nous rapprocher. Je voudrais proposer sept petits pas, qui n’ont rien d’original, mais que nous pouvons habiter avec une conviction renouvelée :  

  • Prier ensemble. Comme on le pratique déjà à la cathédrale de Lausanne une fois par mois ou encore à Romainmôtier, chaque jour. Intensifier et multiplier cette prière qui est « l’âme de l’œcuménisme ». Mon expérience est qu’une prière commune régulière suscite des nouvelles initiatives.
  • La lectio divina dans les groupes œcuméniques. Mettre au centre la Parole de Dieu. Si nous la recevons ensemble dans un esprit d’accueil, de silence et de partage, elle permet au Christ de s’infiltrer parmi nous et de nous tirer en avant bien plus que ce que nous pourrions imaginer.
  • Jeûner ensemble durant le carême, comme le font déjà tant de groupes en Suisse romande. Le jeûne permet un dépouillement pour aller à l’essentiel. D’ailleurs les jeûnes eucharistiques que nous devons vivre parce qu’il ne nous est pas possible de participer ou que nous ne sommes pas invités nous centrent sur l’essentiel. Quand je vis cela, me concentre sur la Parole de Dieu et souvent une lumière m’est donnée.
  • Ouvrir les yeux sur les nouvelles pauvretés et les servir ensemble. Selon la prophétie d’Esaïe une lumière viendra immanquablement, à celui qui se soucie du pauvre : « Alors ta lumière poindra comme l’aurore, et ton rétablissement s’opérera très vite ». (Es. 58,8) Les « missions communes », à caractère diaconal, entre l’EERV et l’Eglise catholique sont une belle réalisation. Elles peuvent être élargies à tous les chrétiens.
  • Vivre en fraternité, faire des camps, des voyages œcuméniques, etc… Le patriarche Athénagoras avait cette boutade : « mettez ensemble les théologiens de diverses églises sur une île et demandez leur de vivre ensemble pendant 10 jours en travaillant ensemble. Vous verrez que l’unité de l’Eglise sera faite ».

Pas besoin d’être théologien pour faire la cuisine et laver la vaisselle ensemble, mais quand des théologiens et des responsables d’Eglise se rencontrent de manière fraternelle et prennent le temps de vivre ensemble, des choses changent.

Avant d’appeler à changer la structure d’une Eglise en réintroduisant l’épiscopat (comme nous y invite le BEM) – mais les Eglises réformées résistent fortement – c’est un petit pas possible. J’en ai fait l’expérience l’année dernière en contribuant à l’organisation d’une rencontre fraternelle entre responsables de plusieurs Eglises de Suisse.

  • Se laver les pieds les uns aux autres, comme l’a proposé Mgr J. Zerey, archevêque grec-catholique de Jérusalem, dans le cadre de la semaine de l’unité à Jérusalem. « Ce signe modeste sera le premier pas pour réaliser l’unité entre tous les chrétiens. Dans cette humilité, nous participons à la victoire du Christ ». Et si lors de la prochaine semaine de l’unité, nous vivions un lavement des pieds entre membres de diverses églises ? En particulier les responsables des différentes Eglises.
  • S’inspirer d’expériences concrètes. Voici quelques autres petits pas, qui sont autant d’expériences vécues qui permettent d’approfondir notre recherche de communion entre catholiques et protestants :
  • Dans certaines paroisses, entre réformés et catholiques, on s’offre mutuellement le cierge pascal. Une pratique qui pourrait facilement être plus répandue
  • Dans le canton de Neuchâtel, les préparations au baptême et au mariage se font de manière œcuménique.
  • Dans des « Eglises ouvertes », il y a une pastorale œcuménique des touristes, avec une relecture œcuménique de la culture et de l’art.
  • A Payerne, les prêtres et pasteurs se sont engagés à prêcher le même texte d’Evangile au moins une fois par mois.
  • Ailleurs des ministres des deux Eglises se rencontrent régulièrement pour préparer ensemble leurs homélies.
  • Plusieurs communautés tentent des expériences de catéchisme commun, au moins pour une des années.
  • Pour affirmer la communion baptismale existant entre nos Eglises, des signes peuvent être donnés. Par exemple un certificat de baptême commun aux différentes Eglises qui ont signé la reconnaissance mutuelle. Dans l’EERV, les nouveaux certificats indiquent Lorsqu’un baptême est célébré dans une paroisse réformée, que la paroisse catholique prie pour la personne baptisée et réciproquement.
  • Et n’oublions pas que de petits signes, une visite à la vente paroissiale ou la kermesse  de l’autre, une délégation d’un conseil paroissial pour souhaiter la bienvenue au nouveau ministre des voisins, un cadeau pour un départ etc… tous ces petits signes sont d’une très grande importance. Mais pour cela il faut développer un réflexe œcuménique…

Ces « petits pas » sont possibles et déjà réalisés dans beaucoup d’endroits. Qu’est-ce qui empêchent de les élargir à d’autres lieux ?

Tout commence par le désir que j’exprime devant Dieu. Je terminerai en posant cette question : quel est mon désir d’unité ?

Martin Hoegger. Crêt Bérard 15 mars 2015


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