Il y a quelques 25 années, on a commencé à se poser la question du but du mouvement oecuménique. Cela a conduit au document Vers une vision commune du Conseil oecuménique des Églises (COE). La présence des autres religions durant les assemblées générales du COE à Porto Allegre (2006) et à Busan (2013) a reposé avec acuité les divers buts de l’œcuménisme. Comment ces assemblées se sont-elles situées par rapport à ces buts ?
Atteindre l’unité visible de l’Eglise.
Dans cette approche centrée sur l’Eglise – qui est la conception des Eglises catholique, orthodoxe et anglicane – on souligne l’appel fervent à l’unité par Jésus dans l’Evangile de Jean « Que tous soient un » (17,20). Régulièrement ces Eglises redisent au COE que ce but doit rester le but principal du mouvement oecuménique et que le COE être l’instrument à son service. Tout en affirmant leur engagement irrévocable pour la recherche de l’unité chrétienne, les Eglises catholique et orthodoxe ont redit durant ces assemblées cette priorité. Toutefois l’approfondissement de ce but « principal » aurait pu être plus conséquent.
L’unité en vue de la mission.
Cette deuxième approche est centrée sur la mission et souligne la deuxième partie de cette même parole : « Que tous soient un, afin que le monde croie ». C’est l’approche du Conseil international des missions, des Sociétés bibliques, de l’Alliance évangélique mondiale, du Mouvement de Lausanne qui est souvent sous représentée dans les Assemblées du COE.
Chercher l’unité de l’humanité.
La chercher en répondant aux questions de justice sociale. Les personnes concernées par la justice économique et sociale valorisent cette approche, qui est dominante dans le COE, avec ses programmes pour la justice, la paix et le respect de la création. On souligne la parole de Jésus : « A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». (Jean 13,35). Elles ont été proéminentes à Porto Allegre et à Busan, en particulier à cause du contexte latino-américain de recherche de justice sociale et de la recherche de la paix en Corée (vu le conflit avec la Corée du Nord). La délégation suisse à Busan en a fait également sa priorité.
« Le Macro-oecuménisme ».
C’est l’approche la plus récente que certains appellent ainsi en élargissant le sens du mot « oecuménisme », ce qui ne va pas sans susciter des questionnements.
Comment définir l’identité chrétienne quand la foi chrétienne ne constitue plus la référence unique dans les sociétés occidentales ? L’oecuménisme se fait-il seulement entre chrétiens ou inclut-il aussi les personnes d’autres religions ? On privilégie alors cette parole de Jésus : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père ». (Jean 14,2). Certaines voix dans le COE disent alors que la « communauté oecuménique » doit inclure des personnes d’autres religions, avec lesquelles on doit rechercher une réponse aux grands problèmes sociaux et éthiques, promouvoir, la paix, le « vivre ensemble » et la justice. L’oecuménisme devrait donc être redéfini. Il est plus que la recherche de l’unité visible entre chrétiens, puisque oikoumènè signifie « toute la terre habitée ».
Cette dernière approche a été mise en valeur durant les assemblées du COE à Porto Allegre (2006) et Busan (2013). Elles ont ouvert largement la porte aux membres d’autres religions. Ce qui signifie un tournant important. Mais cette approche a posé toutes sortes de questions. En particulier celle de l’identité chrétienne, sur laquelle ces assemblées ont aussi voulu réfléchir. Remet-elle en cause le but missiologique de l’oecuménisme, qui a été dès le début un nerf essentiel de la recherche d’unité ? C’est en effet devant le scandale de la division des chrétiens dans leur témoignage face au monde, que l’urgence de l’unité s’est fait sentir. Mais faut-il encore témoigner de Jésus ?
Enfin, au moment où le COE cherche à élargir l’espace de sa tente, afin d’être au service de toutes les Églises, une ouverture trop grande aux autres religions risquerait de fermer la porte au christianisme pentecôtiste et évangélique, qui, dans quelques vingt années sera, selon les projections actuelles, la première famille chrétienne. On comprend alors la prudence de l’Assemblée de Busan face à des hardiesses de la part de certains.
De plus, la prochaine assemblée en 2022 à Karlsruhe a pris à nouveau un thème christologique. Sur la base de 2 Cor 5,14 : « L’amour du Christ nous presse », la motivation de l’engagement pour le dialogue interreligieux et la fraternité universelle s’enracine dans le Christ.
Pour une approche équilibrée.
On perdrait la richesse du mouvement oecuménique en se cantonnant dans un seul domaine. Parce que le Fils éternel de Dieu s’est incarné, il a assumé toutes les réalités de notre monde. Rejeter les réalités du monde serait rejeter l’incarnation. Il n’y a donc pas de facteurs qui seraient « non théologiques ». Il n’y a en principe pas de tensions entre Foi & Constitution et le « Christianisme pratique », même s’il n’est pas facile de tenir en équilibre ces deux domaines.
Deux exemples :
Le salut comme libération.
La conférence missionnaire de Bangkok, en 1973, a affirmé que le salut a un aspect de libération. Des orthodoxes et des évangéliques ont poussé des hauts cris, prétendant que le salut perd ainsi sa dimension eschatologique. Cependant l’Eglise a toujours affirmé l’aspect déjà / pas encore du salut. L’expérience du Royaume commence déjà maintenant, elle a une dimension historique. Dans l’Evangile le verbe sozô (sauver) est aussi utilisé dans les récits de guérison.
Le lien entre la mission et le dialogue interreligieux.
Comment réconcilier la vision que le Christ est le centre du salut et du cosmos avec celle qui affirme que l’Esprit Saint est présent dans les autres religions ? Peut-on affirmer une révélation en dehors du Christ ? En 1996, la Conférence de Salvador de Bahia affirma que la révélation appartient à Dieu et qu’il y a des semences de la Parole dans toute l’humanité. Faut-il alors inclure les personnes d’autres convictions dans nos discussions œcuméniques ? Est-ce que cela conduit à une religion mondiale où toutes les religions se valent et conduisent à Dieu ?
Soyons réalistes. Nous ne vivons plus dans une chrétienté compacte. Dialoguer avec les autres ne signifie pas brader notre identité chrétienne. La question est : comment définir l’identité chrétienne sans rien perdre de sa substance trinitaire, incarnationelle et missiologique (le salut par le Christ) non pas contre les autres mais dans une relation d’amitié avec eux… et rencontrer les membres des autres religions avec respect, en discernant ce que, dans sa « grâce commune », Dieu veut nous donner.[1]
[1] Voir ce que Louis Berkhof dit de ce thème de la théologie réformée classique. Systematic Theology, Banner of Truth Trust, Edinburgh, 1958, pp. 432-446
Pour une introduction à l’œcuménisme, consulter aussi : « Histoire et dimensions de l’oecuménisme »