Chapelle de la communauté de Pomeyrol, près de Tarascon.
Je m’apprêtais à partir en Provence pour animer une retraite dans la communauté de Pomeyrol, quand une attaque cérébrale m’a cloué sur place. C’était jeudi le 18 août 2011. Comme le thème de la retraite était intitulé «Que ta volonté soit faite ! Discernement de la volonté de Dieu et combat spirituel », j’ai essayé de le mettre en lien avec ces événements récents de ma vie. Pomeyrol est une communauté de sœurs protestantes, fondée en même temps que Taizé, avec une même vocation à l’unité. Voici quelques réflexions.
Accueillir les signes de bienveillance
« Le visage de mon prochain est une altérité qui ouvre l’au-delà. Le Dieu du ciel est accessible sans rien perdre de sa transcendance, mais sans nier la liberté du croyant », écrivait le philosophe Emanuel Levinas. Durant ces jours à l’hôpital, j’ai rencontré tant de visages et ai été émerveillé par tant de gestes de bienveillance à mon égard. Les médecins, les infirmières et d’autres personnes travaillant au CHUV de Lausanne : tous me voulaient du bien. Chaque rencontre, chaque geste, chaque soin ont été pour moi autant de visages de l’amour de Dieu envers moi. J’en ai été très touché.
Tout cela a rendu très concrète la phrase du médecin Ambroise Paré, qui se trouve à l’entrée de l’hôpital : « Je le pansay, Dieu le garit » (dans le français du 16e siècle, « Je le soignai, Dieu le guérit »). Dieu, ami des hommes, nous donne des bons médecins et des bons médicaments, pour nous guérir. Un passage du livre du Siracide le dit aussi de belle manière: « Le médecin rend service, honore-le, car lui aussi est créature du Seigneur. C’est du Dieu très-haut qu’il tient son art de guérir, comme un cadeau qu’on reçoit de la part du roi. »
J’ai aussi reçu plusieurs visites d’amis et l’assurance du soutien de la prière de beaucoup de personnes et de communautés. Me savoir entouré par cette « couronne de prières », comme me l’a dit Sœur Danielle, prieure de Pomeyrol, a été un grand encouragement.
Dimanche, j’ai participé au culte de l’hôpital où j’ai reçu la communion, « sacrement de guérison », comme le considère la plus antique tradition chrétienne. Puis j’ai demandé l’onction des malades à un pasteur de ma paroisse, qui est venu avec trois autres personnes. C’était la première fois que je la recevais en tant que malade.
Deux heures plus tard, deux amis, prêtres de l’Eglise orthodoxe, sont venus me visiter. Ils m’ont offert deux petites icônes et ont prononcé une prière pour les malades, tirée de la liturgie de Saint Jean Chrysostome. Puis ils m’ont oint d’une huile venant de l’île grecque d’Egine, où se trouve le tombeau de Saint Nectaire, le saint le plus populaire dans l’Eglise orthodoxe grecque. Ils l’on fait l’un après l’autre à la manière orthodoxe : un signe de croix sur le front, sur les mains (sur la paume, et sur la main), sur le flanc, et sur les pieds. A chaque fois, ils disaient « pour la guérison du corps et de l’âme ». J’ai compris que cette onction nous identifie au Christ crucifié, mort pour nous guérir de nos maladies. « Il supportait les maladies qui auraient dû nous atteindre », annonçait le prophète Esaïe.
Vraiment, Seigneur, tu as été très généreux pour moi durant ces quelques jours et tu m’as donné de nombreux signes de ta bienveillance !
Combat spirituel
La nuit du vendredi au samedi fut très difficile. Une nuit de combat contre la souffrance et l’inquiétude. Des troubles neurologiques se sont à nouveau manifestés, j’avais le sentiment que la force sortait de mes membres. J’avais aussi un sentiment d’instabilité et une forte nausée. Les médecins venaient de me dire que j’avais une « épée de Damoclès » sur la tête et que mon état pouvait se péjorer. Dans ce cas, il faudrait m’opérer en enfilant une sonde dans l’artère basilaire malade (la principale artère du cerveau) pour y poser un « stand » afin de l’élargir, puisqu’elle était rétrécie à 50% (c’est ce qui avait provoqué l’attaque). Mais cette opération, très délicate, comporte des risques et n’a pas la garantie du succès.
Évidemment, je pensais à tout cela quand les troubles ont recommencé durant cette nuit. L’angoisse rampait à la porte. Je me suis mis alors à prier sans cesse, afin de lutter contre l’anxiété, avec la prière de Jésus, qui invoque son nom.
J’ai prié sans interruption de 22h à 5h du matin, où j’ai pu enfin dormir quelque peu. Et par la grâce de cette prière, certainement portée par tant d’autres, j’ai pu rester dans la paix. Durant ce temps, le médecin de garde est venu à trois reprises à mon chevet. De plus, ma fille Francesca, pédiatre au CHUV et de garde durant ces jours, est également venue, comme un ange, me visiter à trois reprises durant cette nuit particulièrement difficile. Cela a été aussi pour moi un grand encouragement et un signe de la sollicitude d’en haut.
Cette nuit a comme été un « exercice pratique » d’un chapitre de la retraite de Pomeyrol consacré au combat spirituel contre l’inquiétude et la souffrance.
Dire oui
Nous savons que la volonté de Dieu est bonne, parfaite et la meilleure chose pour nous. Mais elle est aussi parfois inattendue, surprenante et dé-routante (au sens étymologique : elle fait changer de route). Un « Accident vasculaire-cérébral » (AVC), dit une petite brochure qu’on m’a donné à l’hôpital, est « comme un coup de tonnerre dans un ciel serein ». Est-ce que l’appel d’Abraham, que j’ai approfondi pour cette retraite, a été une lente prise de conscience ou plutôt un coup de tonnerre déroutant ? « Quitte ton pays et va vers… » Comment a-t-il dit « Oui » à cet appel ? Après un long cheminement ou tout de suite ?
S’abandonner à cette volonté d’amour nous déracine pour nous enraciner dans une relation plus profonde avec Lui. C’est certainement, pour moi, un des fruits que je perçois dans ma vie, ces jours : un approfondissement de la relation de confiance avec Lui. Mais pour cela, il m’a fallu dire oui à ces événements, les accueillir comme un appel, comme signifiants. Que Dieu veut-il me dire à travers eux ? Je ne sais pas encore où il veut me conduire. Je perçois quelques notes…mais pas encore la musique. Mais j’ai cette confiance que le Seigneur connaît la partition. Et que ce que je suis en train de vivre portera du fruit, dans la mesure où je lui redonne ma confiance et un nouveau « Oui ».
« Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu »
Depuis la semaine dernière, Chantal et moi lisons chaque matin une page de « La volonté de Dieu, mode d’emploi », de Chiara Lubich. Jeudi matin, le jour où tout allait basculer, nous faisions une méditation sur ce passage de Paul aux Romains : « Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu» (8, 28), dont voici le commentaire : « Tout ! Car rien – nous devons le croire – n’est dû au hasard. Aucun événement joyeux, indifférent ou douloureux, aucune rencontre, aucune situation en famille, au travail, à l’école, aucun état de santé physique ou moral, rien n’est dépourvu de signification. Au contraire, personnes, situations, événements, tout est porteur d’un message qui vient de Dieu. Sachons le lire et l’accueillir de tout notre cœur. Dieu a un dessein d’amour sur chacun de nous. Il nous aime d’un amour personnel. Si nous croyons à cet amour et y répondons par notre amour – c’est la condition !- il fait concourir toute chose au plein accomplissement de son dessein sur nous… Gardons courage : nous sommes encore en vie, nous sommes encore en voyage. La vie peut encore devenir une aventure divine. Le dessein de Dieu sur nous peut encore s’accomplir. Il suffit d’aimer, de garder les yeux ouverts sur sa volonté, toujours splendide ».
Ces paroles m’ont particulièrement habité durant ces jours. Il m’a semblé qu’elles collaient bien à ce que je vivais. Oui, Dieu veut me donner un message à travers ce que j’ai vécu, il me redit son amour de manière si personnelle. Je suis toujours en vie, il m’a gardé dans cet accident qui aurait pu être très grave. Je me sens porté à lui dire ma reconnaissance, à lui dire merci par toute ma vie. En particulier en vivant à un niveau plus profond sa volonté.
Et pour moi cette volonté prend, aujourd’hui, des formes nouvelles et très concrètes. Je dois changer de style de vie : m’alimenter autrement, faire davantage d’exercices physiques, prendre des médicaments. Bref, consacrer davantage de temps et d’attention pour le « vert », la santé. Je le perçois comme un clair appel de Dieu, qui m’a protégé et désire, sans doute, encore utiliser ce « vase de terre », que je ne peux être sans mon corps.
Mais la condition est de croire à son amour et d’y répondre… Que le Seigneur m’en donne la force!


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