Et les neuf autres, où sont-ils ?

Qui se souvient du général Naaman, un général syrien guéri de la lèpre, qui se tourne avec reconnaissance vers le Dieu d’Israël (2 Rois 5,14-17) ? De même, quelques siècles plus tard, un lépreux samaritain anonyme guéri par le Christ se tourne vers lui et crie son bonheur en le remerciant. Alors que les neuf autres, sans doute juifs – mais le texte ne le dit pas – également guéris continuent leur chemin sans le remercier (Luc 17,11-19).

Quel paradoxe, la maladie a réuni ces lépreux exclus de la société !  Mais leur guérison les sépare, puisque l’un des dix se désolidarise de ce groupe.

Certes ces deux textes signalent l’ouverture du salut aux non-juifs. L’Alliance irrévocable de Dieu avec Israël s’ouvre à toute l’humanité, en qui Naaman et le samaritain sont préfigurés. Mais non sans relents d’un détestable antisémitisme, certains commentateurs ont voulu voir dans les neuf ingrats, la réaction des juifs à la prédication de l’Évangile au cours des siècles.

Ce texte ne permet pas une telle extrapolation. Qui peut prétendre que dire « merci » est plus facile pour telle catégorie de personnes ? Sur dix personnes qui guérissent aujourd’hui en sortant de l’hôpital, combien remercient Dieu et le louent avec une communauté ? Combien peuvent-elles dire du fond du cœur « c’est du Dieu très-haut que le médecin tient son art de guérir, comme un cadeau qu’on reçoit de la part du roi » (Siracide 38,1-2).

Les proportions sont-elles aujourd’hui les mêmes que dans ce récit ? Selon une enquête de l’Office fédéral de la statistique réalisée en 2017, environ 13% de catholiques participeraient à un office religieux une fois par semaine ; 7% de réformés et…72% d’évangéliques ! Cela me semble d’ailleurs beaucoup : avec de tels chiffres, nos Églises, me semble-t-il, seraient pleines chaque dimanche !

Mais je m’égare : ce récit ne recense pas, mais invite à un parcours de foi. Les dix sont certes habités par une foi sincère qui implore le Christ avec les mots de la prière. « Aie pitié de nous » est en effet la complainte de nombreux psaumes (41,5 ; 51,3). Ils s’adressent à Jésus, mais savent-ils que ce nom signifie « le Seigneur sauve » ?    

Jésus s’arrête, les regarde et répond à leur foi par une guérison immédiate. Et du même coup, révèle sa divino-humanité. Ai-je expérimenté cette force qui sort du Christ ressuscité, parmi nous tous les jours ?  

Dans mon activité pastorale, j’ai prié pour la guérison de beaucoup de personnes. A la communauté des diaconesses de Saint Loup, où j’ai exercé un ministère pendant une quinzaine d’années, un temps de prière avec onction d’huile est proposé une fois par mois, après l’eucharistie. De nombreuses personnes s’approchaient, mais je dois reconnaître que, en ce qui me concerne, peu de personnes ont été guéries.

Cependant, en discutant avec elles, presque toutes m’ont dit que cette prière les avait encouragés et fortifiés. Ah oui, je me souviens qu’une fois un ami m’a dit qu’avant même que je prie pour lui, il sentait que le Seigneur le guérissait. Cela m’a fait penser à ce récit où Jésus a guéri à distance ces lépreux. Et, du coup, cela relativise mon action : c’est avant tout le Seigneur qui agit, avec ou sans mon intermédiaire.

Ce récit nous invite surtout à ne pas nous arrêter en route. L’exemple du lépreux samaritain nous appelle à la persévérance. La foi doit s’accompagner de gratitude, sinon elle reste embryonnaire et ne s’élève pas jusqu’au salut.

Ce récit nous dit aussi qu’on peut être guéri sans être sauvé…et réciproquement qu’on peut être sauvé sans être guéri physiquement. Se pose alors le sens du salut. On comprend bien qu’il s’agit ici d’une relation avec Jésus : est sauvé celui ou celle qui se tourne avec confiance vers lui. Non seulement une fois, mais dans une persévérance de chaque jour.

A nous aussi, Jésus demande : « Et les neuf autres, où sont-ils ? » et nous appelle à nous relever et à passer d’une foi tranquille à une confiance active. Puis à marcher avec lui en partageant son style de vie.   


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