Sur le chemin d’Emmaüs entre Saxum et Neve Ilan
J’ai donné cette méditation lors du culte de l’Eglise presbytérienne de Lahore, le 23 novembre 2025. J’y ai fait le lien entre le récit des pèlerins d’Emmaüs et l’initiative JC2033.
Depuis le début de la vision de JC2033, la Terre sainte occupe une place importante, car tout a commencé à Jérusalem il y a presque 2000 ans. Mais la situation complexe et les récits divergents nous ont amenés à prier pour savoir comment rester reliés à Jérusalem. C’est ainsi que l’idée d’une marche annuelle sur le chemin d’Emmaüs, jusqu’en 2033, a émergé, pour préparer le jubilé des 2000 ans de la résurrection.
Emmaüs est un lieu géographique incertain, mais surtout un chemin spirituel : ne pas connaître son emplacement exact signifie qu’il peut être partout. Depuis la résurrection, tous nos chemins peuvent devenir des chemins d’Emmaüs où le Ressuscité nous rejoint. Par sa croix, il a réconcilié l’humanité avec Dieu : « c’est lui notre paix » (Ép 2,14). Le chemin vers 2033 est aussi important que la fête elle-même.
Nous avons déjà vécu plusieurs marches depuis Jérusalem, durant lesquelles nous visitons des communautés chrétiennes et juives et méditons le récit de Luc en cinq étapes : un chemin, une rencontre, une Parole, un repas et un envoi. Chaque jour, nous marchons d’abord en silence, puis nous partageons à deux, comme les disciples autrefois.
Emmaüs, un chemin
La vie chrétienne est une marche. Luc insiste sur le verbe « marcher » pour dire la détermination de Jésus allant vers Jérusalem, mais aussi pour décrire la condition croyante. L’Église est un peuple en chemin : c’est le sens du mot « synode ». Les deux disciples avancent dans la tristesse : « nous espérions… », disent-ils. Ils traversent une sombre vallée sans savoir que le Bon Berger les accompagne.
Ils sont dans la tristesse et la déception. Ils ont perdu la raison de vivre. Leur maître est mort, et pour eux, tout est fini. Ils marchent dans « la vallée de l’ombre de la mort », comme dans le Psaume 23. Ils sont abattus, sans espérance. Même entre eux, ils ne sont plus vraiment d’accord : ils discutent, ils ne comprennent plus ce qui s’est passé. C’est dans cette confusion que Jésus vient les rejoindre.
Emmaüs, une rencontre
Tout à coup, un homme s’approche d’eux et se met à marcher avec eux. Mais ils ne le reconnaissent pas : peut-être que leurs yeux sont pleins de larmes, peut-être sont-ils tellement préoccupés et abattus qu’ils ne peuvent plus le voir. Quand nous sommes dans la peur, l’angoisse, la confusion, il est souvent très difficile de voir Jésus près de nous.
Et Jésus ne commence pas par leur faire la leçon. Il commence par une question : « De quoi parlez-vous en marchant ? »
Il ne dit pas d’une manière triomphante : « Regardez-moi, je suis ressuscité et la réponse à toutes vos questions. » Il pose une question et les laisse parler. Il leur donne la possibilité de raconter ce qu’ils ont sur le cœur. Il écoute.
C’est très important pour nous aussi : nous avons besoin de quelqu’un qui nous écoute. Jésus écoute d’abord leurs peines, leur confusion, leurs espoirs déçus. Ce n’est qu’ensuite qu’il commence à leur parler.
Le récit montre aussi la difficulté de croire : les disciples sont sombres, agressifs, et incapables d’accueillir les témoignages du tombeau vide. Mais Jésus ne se lasse pas. Il prend au sérieux leurs peurs et leurs blessures, qui trouvent un écho dans son propre cri sur la croix. Il construit patiemment une relation vraie, comme nous sommes appelés à le faire pour écouter, servir et témoigner.
Emmaüs, une Parole
Après avoir éveillé leur confiance, Jésus ouvre les Écritures et leur montre ce qui le concerne dans « toutes les Écritures ». Le récit montre l’articulation nécessaire entre dialogue et évangélisation : l’un prépare l’autre. La critique de Jésus porte non sur leur incrédulité face à l’annonce de sa résurrection par des femmes, mais sur leur manière de lire la Bible : ils n’ont pas compris le sens profond de l’Écriture. Celle-ci requiert l’intelligence et le cœur. Il ne faut pas opposer lecture spirituelle et étude, prière et réflexion : les deux se complètent. Toute l’Écriture parle du Christ, et chaque parole reçue comme un don peut enflammer le cœur.
Emmaüs, un repas
Le repas d’Emmaüs est le premier repas de Jésus après sa résurrection, et il se déroule dans le cadre du geste fondateur de la Cène. Au moment où Jésus rompt le pain, leurs yeux s’ouvrent. Cette expression renvoie au récit de la Genèse : Adam et Ève ouvrent les yeux et se cachent dans la honte. À Emmaüs, une lecture possible voit dans le compagnon de Cléopas sa femme Marie, « Marie de Cléopas », présente au pied de la croix. Si tel est le cas, alors un homme et une femme ouvrent ensemble les yeux non sur leur nudité et leur peur, comme Adam et Eve (Cf. Gn 3.7) mais sur le Ressuscité.
Ils deviennent ensemble témoins du Christ vivant. La révélation du Ressuscité restaure ainsi la vocation commune de l’homme et de la femme. Dans la Cène, nos yeux s’ouvrent les uns sur les autres : nous sommes appelés à nous accueillir mutuellement, entre hommes et femmes, Juifs et non-Juifs, riches et pauvres. La table du Seigneur est un appel à l’unité.
Je voudrais maintenant partager quelque chose de très personnel – c’est la première fois que j’en parle dans un culte.
Il y a un moment de ma vie où j’étais très abattu, sans savoir comment continuer, très critiqué, très seul. Dans cette période, j’ai fait un songe qui a marqué ma vie. C’était un « grand rêve. »
Dans ce rêve, je me trouvais dans un grand palais rempli de gens qui me critiquaient et étaient contre moi. J’étais extrêmement mal à l’aise. Puis quelqu’un est venu derrière moi. Je ne voyais pas son visage, seulement ses pieds. Il m’a demandé d’ôter mes souliers et de le suivre. Nous sommes arrivés dans une petite pièce. Là, pendant quelques secondes seulement, j’ai vu son visage : un visage plein de douceur, de sourire, de bonté. J’ai compris que c’était mon Seigneur Jésus.
Ces quelques instants ont rempli mon cœur d’une paix et d’une consolation durables. Ce rêve m’a porté dans ces temps difficiles. Le symbole des pieds nus m’a aussi fait comprendre que la vie avec Jésus c’est de « pratiquer la justice, aimer la miséricorde et marcher humblement » avec Lui. (Michée 6.8)
Je pense que quelque chose de semblable est arrivé aux disciples d’Emmaüs : au moment où Jésus rompt le pain, ils voient son visage, peut-être seulement pour quelques secondes, mais ces secondes transforment leur vie.
Emmaüs, un envoi
Après la reconnaissance du Christ, Jésus disparaît pour retourner vers le Père. Ce paradoxe exprime ce que nous vivons à chaque Sainte Cène : le Ressuscité se rend présent pour nous conduire vers le Père et nous envoyer vers le monde. Sa présence n’est pas donnée pour elle-même, mais pour que nous entrions dans la mission. Tous ceux qui rencontrent le Ressuscité sont envoyés : Marie de Magdala reçoit cette mission, puis les deux disciples qui retournent aussitôt à Jérusalem partager leur joie.
Si le compagnon de Cléopas est bien sa femme, alors un homme et une femme deviennent ensemble témoins du Christ vivant. Leur retour à Jérusalem annonce que la mission et le ministère sont appelés à être portés conjointement par les hommes et les femmes. Comme le dit Paul : « Dans le Seigneur, l’homme ne va pas sans la femme et la femme ne va pas sans l’homme » (I Co 11.11). La mission est commune, et elle est le fruit de la rencontre avec le Ressuscité.
Emmaüs et les trois valeurs de JC2033 : unité, témoignage et célébration
Le chemin d’Emmaüs illustre de manière exemplaire les trois valeurs de JC2033 : l’unité, le témoignage et la célébration. Au début du récit, les deux disciples marchent ensemble mais sans véritable communion : ils sont divisés dans leur compréhension des événements, discutent vivement et leur espérance s’est effondrée. Leur unité est brisée parce qu’ils n’ont pas encore reconnu le Christ vivant au milieu d’eux. C’est lorsque Jésus s’approche, les écoute, ouvre les Écritures et se révèle dans la fraction du pain que leur cœur s’unit à nouveau, l’intelligence s’éclaire et l’amitié se rétablit. L’unité ne vient pas d’eux-mêmes : elle est un don du Ressuscité.
Une fois unifiés en lui, les deux disciples deviennent spontanément des témoins. Ils se lèvent aussitôt, retournent à Jérusalem et proclament la rencontre qui a changé leur vie : « Le Seigneur est vraiment ressuscité ! » Leur témoignage rejoint celui des autres disciples et, ensemble, ils se réjouissent. La joie de la rencontre devient célébration commune. Ainsi, pour pouvoir témoigner ensemble du Ressuscité et le célébrer aujourd’hui comme en 2033, il est indispensable de nous laisser unir par lui. L’unité en Christ rend le témoignage crédible et la célébration authentique. Emmaüs nous rappelle que c’est le Ressuscité lui-même qui nous rassemble, nous envoie et nous fait entrer dans la joie pascale.
Rendez-vous sur le chemin d’Emmaüs en 2026?
Chaque année jusqu’en 2033, JC2033 organise une marche d’une semaine sur le chemin d’Emmaüs. Malgré les annulations dues à la guerre, cette expérience demeure un signe fort : être reliés à Jérusalem, marcher sur les chemins d’Emmaüs, partager nos Emmaüs personnels, visiter les communautés sur le parcours et rencontrer des responsables d’Églises. Cette démarche est une manière concrète de vivre le chemin d’Emmaüs aujourd’hui.
Vous trouvez sur ce lien les informations sur la prochaine marche, du 10 au 16 avril 2026, sur le chemin d’Emmaüs


