Premier janvier : fête de la circoncision de Jésus-Christ.

La Circoncision, tableau de Bartolomeo Veneto (1506), Musée du Louvre.  

Entre Noël et l’Épiphanie, la liturgie chrétienne place une fête souvent méconnue : la circoncision de Jésus, célébrée le huitième jour après sa naissance, le premier janvier. À première vue, ce thème semble austère après la joie de Noël. Et pourtant, il touche au cœur de la révélation biblique : l’alliance de Dieu avec Abraham et avec le peuple issu de lui, la fidélité de Dieu à ses promesses, et la manière dont ces promesses trouvent leur accomplissement en Jésus-Christ.

La circoncision traverse toute l’Écriture comme un fil discret mais essentiel. Elle est d’abord le signe de l’alliance donnée à Abraham, ensuite une pratique fondatrice du peuple juif, puis un enjeu théologique majeur dans la première Église, avant de devenir, dans le Nouveau Testament, le symbole d’une transformation intérieure que la Bible appelle la « circoncision du cœur. » En Jésus, circoncis selon la Loi, le signe de la circoncision est à la fois confirmé et renouvellé.

À partir de ces différentes dimensions, je propose de parcourir le sens de la circoncision comme une clé spirituelle pour comprendre le sens de l’incarnation de Dieu en Jésus-Christ. Également de réfléchir sur le lien entre la circoncision et le passage symbolique que représente le premier jour de l’année.

1. Le sens de la circoncision dans l’alliance avec Abraham

La première grande parole biblique sur la circoncision se trouve dans le livre de la Genèse, au chapitre 17. Dieu y renouvelle son alliance avec Abraham et lui donne un signe concret et inscrit dans la chair : la circoncision. Elle doit être pratiquée sur tous les garçons, au huitième jour, de génération en génération. Elle concerne non seulement les fils nés dans la famille, mais aussi les esclaves et les étrangers intégrés à la maison. Ainsi, la circoncision devient le signe corporel d’une appartenance à l’alliance que Dieu instaure avec Abraham et sa descendance.

Ce qui frappe dans ce texte, c’est l’insistance sur le caractère durable, même éternel, de cette alliance. Dieu la donne « afin que mon alliance soit inscrite dans votre chair comme une alliance éternelle » (v. 17). Le signe n’est pas facultatif ni symbolique au sens faible : il est exigé et irréversible. Il marque le corps et rappelle sans cesse que l’existence du peuple de Dieu est placée sous la promesse et l’appel de Dieu.

Pour le peuple juif, la circoncision n’est pas un simple rite ancien. Elle est la mémoire vivante de son élection par Dieu, le rappel qu’il appartient à Dieu avant de s’appartenir à soi-même. Elle inscrit dans la chair même la relation avec le Dieu de l’alliance. 

2. Circoncision et théologie de l’élargissement de l’alliance

Avec l’avènement de Jésus et la naissance de l’Église, la question de la circoncision devient rapidement brûlante. Les premiers disciples sont juifs, circoncis, fidèles à la Loi de Moïse. Mais très vite, des hommes et des femmes issus des nations viennent à la foi. Faut-il alors leur imposer la circoncision pour entrer dans l’alliance abrahamique ?

C’est ici qu’apparaît une tension théologique majeure, parfois interprétée comme une opposition entre judaïsme et christianisme. Certains ont parlé de « théologie du remplacement », affirmant que l’Église aurait remplacé Israël et que les signes anciens, comme la circoncision, seraient devenus caducs, remplacés par le baptême. Mais cette lecture pose de graves problèmes, car elle contredit la fidélité de Dieu à ses promesses, quand il affirme que la circoncision est une « alliance éternelle ». De plus, elle a nourri, au fil des siècles, des attitudes de mépris envers le peuple juif.

Une autre approche, plus fidèle à l’ensemble du témoignage biblique, est celle que l’on peut appeler une « théologie de l’élargissement. » Selon cette compréhension, l’alliance de Dieu avec le peuple juif demeure vivante et irrévocable. Mais cette alliance n’est pas fermée sur elle-même. Elle est appelée à s’élargir, à accueillir les nations, non par remplacement, mais par extension[1].

Jésus, Juif fidèle à la Loi, n’abolit pas l’alliance abrahamique, il l’accomplit et l’ouvre. Les nations sont intégrées à la promesse faite à Abraham, qui était déjà universelle en germe quand il dit à Abraham : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12.3). Ainsi, les croyants issus des nations n’ont pas à devenir juifs pour entrer dans l’alliance. Ils sont pleinement accueillis par la foi et le baptême en Jésus-Christ, sans obligation de circoncision.

Cela n’enlève rien à la vocation particulière du peuple juif, ni à la valeur de la circoncision pour lui. Mais cela signifie que l’appartenance au peuple de Dieu ne passe plus seulement par un signe charnel, mais par une réalité spirituelle accessible à tous.

Cependant, il faut bien voir aussi que le Nouveau Testament n’interdit jamais aux Juifs croyants en Jésus de continuer à observer la circoncision.

Il interdit seulement de l’imposer aux nations comme condition du salut (Actes 15). Aujourd’hui les « juifs messianiques » continuent à pratiquer la circoncision tout en confessant Jésus comme Messie.

Pour eux la circoncision demeure une obligation liée à l’identité juive et à l’alliance abrahamique. De même, pour eux, le baptême ne remplace pas la circoncision, mais exprime leur foi personnelle en Jésus.

3. La circoncision du cœur.

La promesse d’une « circoncision du cœur » est préparée de longue date par les prophètes et par la Torah elle-même. Déjà dans le livre du Deutéronome, Dieu appelle son peuple à circoncire son cœur : « Le Seigneur ton Dieu, circoncira ton coeur et le coeur de ta postérité, et tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur et de toute ton âme, afin que tu vives » (Dt 30.6).

Il ne s’agit plus seulement d’un geste rituel, mais d’une transformation intérieure et d’une ouverture à la volonté de Dieu.

Les prophètes reprendront cette image avec force. Ils dénoncent une circoncision purement extérieure, vidée de son sens, lorsque le cœur demeure dur et infidèle. Ézéchiel, en particulier, annonce une promesse extraordinaire : Dieu donnera un cœur nouveau, enlèvera le cœur de pierre et donnera un cœur de chair : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’enlèverai votre cœur insensible comme une pierre et je le remplacerai par un cœur réceptif » (36.26).

L’alliance ne sera plus seulement inscrite dans la chair, mais gravée au plus profond de l’être. Ainsi, la circoncision du cœur n’abolit pas le signe extérieur, mais en révèle la finalité. Le signe corporel pointait vers une réalité plus profonde : une relation vivante avec Dieu et une obéissance née de l’amour.

Cette perspective prépare le message de l’apôtre Paul, lorsqu’il affirme que la vraie circoncision est celle du cœur, opérée par l’Esprit. Elle ne se voit pas, mais elle transforme la vie. Elle libère de l’être pécheur et fait entrer dans une vie nouvelle : « Dans l’union avec lui, vous avez été circoncis, non pas de la circoncision faite par des mains humaines, mais de la circoncision qui vient du Christ et qui nous délivre de notre être pécheur » (Col 2.11-13).

4. La circoncision de Jésus dans le récit de Noël

C’est dans ce cadre biblique qu’il faut comprendre la circoncision de Jésus, racontée sobrement par l’évangéliste Luc : « Le huitième jour après la naissance, le moment vint de circoncire l’enfant ; on lui donna le nom de Jésus, comme l’avait indiqué l’ange avant que sa mère devienne enceinte » (2.21). Ce verset, bref et discret, est pourtant d’une densité théologique remarquable.

En étant circoncis, Jésus s’inscrit pleinement dans l’histoire et la chair d’Israël. Il n’est pas un enfant tombé du ciel, extérieur à la Loi ou aux traditions de son peuple. Il entre dans l’alliance d’Abraham, il en assume les exigences, il s’identifie au peuple auquel Dieu a fait des promesses éternelles.

La circoncision de Jésus est aussi la première effusion de son sang. Dès son enfance, son corps est marqué par une blessure, par une souffrance, par un signe de don. Cela annonce déjà la croix, où son corps sera à nouveau blessé, non plus selon la Loi, mais pour le salut du monde.

Dans le récit de Noël, la circoncision nous rappelle que l’incarnation n’est pas une idée abstraite. Dieu devient véritablement homme, avec un corps soumis aux lois du temps, de la culture, de la religion. Le Verbe se fait chair, et cette chair est circoncise. C’est une manière de dire que Dieu entre jusqu’au bout dans notre condition humaine et historique.

5. La fête de la circoncision de Jésus et le premier janvier

Le rabbin de la communauté juive Lausanne et du canton de Vaud, Eliezer Shai du Martino, dans ses vœux en 2024, attirait l’attention sur l’occultation de cette fête de la circoncision de Jésus, au 1er janvier qui a une forte tonalité juive. Un paradoxe interpelle : combien se rappellent que le Nouvel An célébré le 1ᵉʳjanvier, marque aussi une étape essentielle dans la vie d’un enfant juif ?

 Selon le théologien autrichien Jan-Heiner Tück, la réintroduction de cette fête de la circoncision de Jésus serait « un acte démonstratif de solidarité avec les juifs d’aujourd’hui qui doivent être soutenus surtout par les chrétiens, à une époque où l’antisémitisme est croissant. Dans ce sens, la fête rappelle aussi que Jésus n’était pas chrétien, mais juif. »

Le fait que la fête de la circoncision de Jésus coïncide avec le premier jour de l’année n’est pas anodin. Alors que le monde célèbre le passage du temps, les résolutions, les espoirs et les craintes d’une année nouvelle, l’Église contemple un enfant marqué par le signe de l’alliance avec Abraham.

Le premier janvier devient ainsi plus qu’un simple changement d’année dans le calendrier. Il est placé sous le signe de la fidélité de Dieu. La fête de la circoncision de Jésus rappelle que le temps appartient à Dieu et que l’histoire humaine est traversée par son alliance.

Spirituellement, ce jour invite chacun à une forme de circoncision du cœur. Il ne s’agit pas de faire des résolutions superficielles, vite oubliées, mais d’un appel à laisser Dieu retrancher ce qui ferme le cœur, ce qui empêche d’aimer, de croire et d’espérer. Commencer une année nouvelle, c’est consentir à être transformé intérieurement, à recevoir un cœur nouveau.

Conclusion

La circoncision, souvent perçue comme un détail de l’Ancien Testament, se révèle ainsi comme un fil conducteur essentiel de la révélation biblique. Elle parle d’appartenance et de transformation. 

Elle m’aide à répondre à réfléchir à cette question : « Quelle est ton unique assurance dans la vie comme dans la mort ? » et à répondre avec le Catéchisme de Heidelberg : « C’est que, dans la vie comme dans la mort, j’appartiens, corps et âme, non pas à moi-même, mais à Jésus-Christ, mon fidèle Sauveur. » (Première question)

La circoncision de Jésus relie Abraham à Jésus, Israël aux nations, la chair au cœur, Noël au premier jour de l’année.

En Jésus circoncis, Dieu affirme qu’il ne renie pas ses promesses, mais qu’il élargit l’alliance avec Abraham à toutes les nations, sans l’abolir. Il transforme le signe extérieur en réalité intérieure et il inscrit sa grâce non seulement dans la chair, mais dans le cœur.

En ce début d’année, la fête de la circoncision de Jésus nous invite à entrer à nouveau dans cette dynamique. Laissons Dieu agir en nous, retrancher ce qui nous éloigne de lui, et recevoir ce cœur nouveau qu’il promet ! Ainsi, l’année 2026 sera un temps de grâce à vivre dans la foi, l’espérance et l’amour.


[1] Cf. Alex Jacob, The Case for Enlargment Theology, Saffron Walden, Glory to Glory Publications, 2010


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