Le Jubilé, dans la Bible, est un grand sabbat : un temps de repos, de libération, de retour à l’essentiel.[1]
C’est le temps où la terre se repose, où les esclaves sont libérés, où les dettes sont effacées.
Mais il y a un autre esclavage, plus subtil, dont nous devons être libérés : l’esclavage de la perfection.
Quand nous devenons notre propre pharaon
Le Jubilé nous apprend à reconnaître quand nous sommes devenus nos propres pharaons.
Quand nous exigeons de nous-mêmes toujours plus, quand nous voulons que tout soit parfait — notre vie, notre service, notre foi, nos œuvres.
Alors, sans nous en rendre compte, nous transformons notre vocation en prison.
Nous étions appelés à servir, et nous finissons par nous asservir.
Nous voulions construire le temple de Dieu, et nous bâtissons une pyramide pour notre propre gloire.
C’est ce qui est arrivé à Salomon.
Il avait reçu la sagesse, la plus grande des grâces.
Mais à force de vouloir tout achever, tout maîtriser, tout posséder,
il a perdu ce qu’il avait reçu au départ : un cœur simple et disponible.
Et son cœur, dit la Bible, « ne resta pas attaché au Seigneur » (1 Rois 11,4).
Le sabbat du Jubilé nous rappelle que Dieu ne nous demande pas d’être parfaits, mais d’être libres.
Et parfois, pour redevenir libres, il faut accepter d’être inachevés.
La beauté de l’inachevé
La Bible ne glorifie pas la perfection, mais la fidélité dans l’imperfection.
Moïse n’entre pas dans la Terre promise, David est un roi plein de failles,
les patriarches et les matriarches sont des êtres fragiles, parfois blessés.
Et pourtant, Dieu fait de leur vie imparfaite des lieux de bénédiction.
C’est cela, le grand secret de la sagesse biblique :
notre sainteté ne se trouve pas dans l’achèvement, mais dans la confiance.
L’inachevé n’est pas un échec, c’est un espace laissé à Dieu.
Là où nous cessons de tout contrôler, Dieu peut enfin respirer en nous.
Le sabbat du cœur
Il vient un jour où, après avoir beaucoup travaillé, beaucoup donné,
nous sentons que ce que nous avons bâti nous pèse.
Notre vocation, notre talent, notre réussite — tout cela devient lourd.
Et au fond du cœur, une voix murmure :
« Laisse reposer la terre. Laisse ton cœur respirer. Célèbre ton sabbat. »
C’est le sabbat du cœur, ce moment où l’on apprend à se détacher, à redevenir pauvre, simple, nu devant Dieu.
Non pas pour tout abandonner, mais pour retrouver la joie gratuite du commencement.
Le Jubilé n’est pas seulement un temps de repos : c’est un temps de gratuité.
C’est le moment où l’on découvre que la beauté de notre vie ne se mesure pas à ce que nous avons accompli, mais à ce que nous avons laissé à Dieu.
La chasteté du cœur
Il y a une chasteté que nous oublions souvent :
celle que nous devons vivre envers nous-mêmes.
Nous croyons que la chasteté, c’est ne pas dévorer la beauté des autres.
Mais elle commence par ne pas dévorer notre propre beauté, ne pas épuiser notre âme en cherchant à tout faire, à tout réussir, même pour Dieu.
Le sabbat nous dit :
« Arrête-toi. Ne t’épuise pas à être parfait. Laisse ton cœur en jachère. »
Car la terre à laisser reposer, c’est notre cœur.
Et l’esclave à libérer, c’est nous.
Le septième jour du cœur
Alors vient ce septième jour intérieur, ce temps du Jubilé où l’on peut enfin dire :
« Shabbat shalom »,
la paix du repos, la paix du cœur.
On comprend alors que notre plus belle symphonie est celle que nous n’avons pas achevée, notre plus beau livre celui que nous n’avons pas écrit, et notre véritable chef-d’œuvre… c’est nous-mêmes, tels que Dieu nous aime : inachevés, mais ouverts à Lui.
Conclusion
Le Jubilé, c’est l’appel à une sagesse nouvelle :
celle qui préfère la liberté à la perfection,
la grâce à la performance,
la confiance à la maîtrise.
Dieu ne nous a pas créés pour être utiles, pas même pour être « utiles à son Royaume ».
Il nous a créés par amour, pour l’amour.
Alors aujourd’hui, si vous sentez en vous la fatigue d’en faire trop,
si vous portez le poids d’une perfection impossible, écoutez la voix du Jubilé :
« Laisse ton cœur se reposer. Libère-toi. Célèbre ton sabbat. Car tu es plus grand que tout ce que tu peux faire. »
[1] Prédication inspirée de l’article de Luigino Bruni, « È l’ora di liberare il nostro cuore dalla schiavitù di volerci perfetti », publié dans Avvenire le 03/06/2025
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