Thessalonique, lieu du Congrès sur le concile de Nicée
Dans le cadre du Seizième congrès international du Réseau international de recherche en ecclésiologie,Thessalonique, 17-20 septembre 2025, auquel j’ai participé, plusieurs théologiens protestants ont exploré la question de l’actualité du Concile de Nicée avenir des crédos et des conciles.
Le Concile de Nicée : une source d’inspiration pour l’unité
La théologienne réformée anglaise Susan Durber, présidente pour l’Europe du Conseil œcuménique des Églises, a rappelé le but fondamental du COE : « que les Églises s’appellent à l’unité visible ». Peut-on, dans cette perspective, redécouvrir l’importance du Concile de Nicée et en particulier de son credo, comme signe tangible de l’unité ?
Aujourd’hui, l’unité inspire souvent de la crainte. Beaucoup redoutent qu’elle soit synonyme d’uniformité, donc d’oppression. Pourtant, l’unité chrétienne est au cœur de notre foi : elle est une communion réelle, enracinée dans la Trinité, qui ne réduit pas les différences mais les assume dans l’amour.
Durber a souligné que, dès le début, le christianisme a été marqué par une pluralité de voix sur Jésus – les quatre évangiles en témoignent. Mais cette diversité s’inscrit dans une unité plus profonde : l’unité de Dieu, l’unité trinitaire, et l’unité du Christ, vrai Dieu et vrai homme, plein de compassion.
Ainsi, le concile de Nicée témoigne d’une recherche du cœur de Dieu. Il rappelle que la division des Églises est un scandale et que l’unité chrétienne ne peut rester théorique : elle doit être visible et incarnée. Le crédo lui-même n’est pas un texte légal, mais une confession doxologique et poétique qui exprime la foi de l’Église.
Un credo nécessaire pour l’unité
Le pasteur Sotiris Boukis (Église évangélique réformée de Grèce, membre de la commission Foi et Constitution) a souligné le rôle indispensable du credo pour la communion ecclésiale. Dans le contexte modeste de son Église – quelques communautés seulement à Thessalonique – il a rappelé que Nicée nous stimule à l’unité sans attendre : « le monde a besoin d’exemples de communautés vivant en paix et unies ».
La diversité n’est pas un obstacle dès lors qu’elle est assumée dans l’amour. Comme dans une famille, ce qui tient ensemble n’est pas l’accord sur tout, mais ce qui unit en profondeur. Le credo, avec ses 144 mots, constitue une base commune simple et communicable. « Le format parfait dans les réseaux sociaux ». Sans lui, l’unité devient impossible.
S. Boukis a également rappelé que le symbole de Nicée existe sous deux formes, au « nous croyons » et au « je crois ». La foi est à la fois personnelle et communautaire, tout comme l’amour qui, vécu en privé, devient tendresse, et en public, justice.
Il a enfin partagé l’histoire de sa famille, réfugiée d’Asie mineure : « Nous voyons le Christ dans les réfugiés et voulons être le Christ auprès d’eux ». Ce témoignage illustre combien le défi de la compassion est si grand que seule une Église unie peut y répondre, au-delà des catégories de « libéral » ou « conservateur ».
La valeur continue du credo
Dans son intervention intitulée « La valeur relative continue de la christologie classique du Credo : un test pour l’unité chrétienne dans les formulations théologiques du christianisme », le théologien finlandais Veli-Matti Kärkkäinen (Séminaire théologique Fuller, USA) a montré que le credo n’est pas une définition close, mais un horizon et une perspective.
Il trace des limites – la regula fidei – qui ouvrent à une compréhension toujours plus profonde du mystère du Christ que le dogme christologique n’épuise pas.
Kärkkäinen a cependant relevé les lacunes du credo de Nicée. Il ne dit presque rien de l’humanité concrète de Jésus : son ministère de guérison, sa proximité avec les pauvres, son combat contre le Malin. Jürgen Moltmann faisait remarquer que seule une virgule sépare l’affirmation « il est devenu homme » de « il a souffert sous Ponce Pilate », laissant de côté toute la vie publique du Christ.
Or, Jésus « vrai homme » nous enseigne des dimensions essentielles de l’existence : prendre du repos, accepter nos limites, vivre en relation avec les autres. Le dogme a donc des implications très pratiques.
Nicée n’a pas tout dit, mais a dit l’essentiel, offrant une base suffisante pour la confession de foi de l’Église.
Un concile œcuménique dans la post-chrétienté ?
Enfin, Charles Shaw (Église luthérienne de l’Avent, USA) a posé une question volontairement provocatrice : « Comment convoquer un concile œcuménique dans la post-chrétienté ? »
Un tel concile poserait d’emblée la question de l’autorité : qui le convoquerait ? Quelles Églises y auraient voix au chapitre ? Selon quels critères décider de ce qui fait autorité ?
La question de la convergence ecclésiale avec l’Église catholique romaine devrait être affrontée : les Églises issues de la Réforme possèdent-elles des éléments suffisants de l’Église pour être reconnues comme partenaires à part entière ?
Shaw a proposé de relire le modèle de synodalité nicéenne, ce « marcher ensemble » qui permet la discussion des différences dans un cadre commun.
Il a aussi souligné les questions brûlantes qu’un futur concile ne pourrait éviter : l’ordination des femmes, le mariage sacerdotal, l’identité sexuelle.
En conclusion, il a rappelé les mots du pape Léon XIV lors de sa première homélie :
« Je voudrais que notre premier grand désir soit celui d’une Église unie, signe d’unité et de communion, qui devienne un ferment pour un monde réconcilié. »
Conclusion
Ces interventions de théologiens protestants montrent que le concile de Nicée n’appartient pas seulement au passé. Son héritage demeure vivant, tant pour l’unité de la foi que pour la communion entre les Églises. Le credo reste un point de référence indispensable, non comme une clôture dogmatique, mais comme un horizon ouvert qui appelle à la fois à la fidélité et à la créativité.
Dans un monde fragmenté, traversé par des divisions sociales, culturelles et religieuses, il rappelle que l’unité chrétienne ne saurait être réduite à un simple mouvement œcuménique : elle est enracinée dans le cœur de Dieu lui-même, dans l’amour trinitaire.
L’avenir des credo et des conciles se joue donc à deux niveaux :
– confesser ensemble la foi reçue des Ecritures et des Pères, en la rendant intelligible pour aujourd’hui. Il est encourageant de savoir que toutes les Eglises confessent ensemble le Credo. Les chrétiens ont « une seule foi » (Ephésiens 4,5)
– oser de nouveaux espaces synodaux où les Églises pourront discerner, ensemble, comment témoigner du Christ dans un monde profondément divisé, mais en quête de réconciliation.
Le concile de Nicée demeure une boussole. Il nous rappelle que l’unité visible de l’Église n’est pas une option secondaire, mais un signe évangélique essentiel, capable d’ouvrir des chemins d’espérance pour l’Église et pour le monde.
Laisser un commentaire