Constantin, chrétien et homme d’état 

Icône représentant l’empereur Constantin (au centre) avec des évêques du Concile de Nicée. Détail.

« L’autorité est au service de Dieu pour t’encourager à agir bien. » (Romains 13,4). Ce verset de l’apôtre Paul, tout politique chrétien le sait par cœur.[1] Un des premiers à l’avoir vécu est l’empereur Constantin (272-337). Sa figure continue de susciter débats et analyses. Considéré tantôt comme l’archétype du « magistrat chrétien », tantôt comme l’instrument d’une compromission de l’Église avec le pouvoir, il demeure une figure incontournable dans l’histoire de l’Occident chrétien.

Le contexte actuel : l’initiative « Pâques ensemble 2025 »

Depuis 2016, je collabore au mouvement JC2033 qui invite les Églises à préparer de manière œcuménique le jubilé des 2000 ans de la résurrection de Jésus-Christ en 2033. A ce titre nous avons été invités à participer à l’initiative « Pâques ensemble 2025 », marquant les 1700 ans du Concile de Nicée (325). Ce concile a eu une double portée historique : il a défini une règle commune pour la célébration de Pâques ; et il a formulé le symbole de Nicée, premier grand credo universel, encore aujourd’hui un point de convergence entre toutes les Églises.

 L’année 2025 constitue une étape importante, puisque cette année-là, la date de Pâques a été commune à toutes les confessions chrétiennes, comme elle le sera en 2028 et en 2031. Ce signe d’unité est symbolique sur le chemin vers 2033, où une semaine séparera les célébrations de Pâques. 

L’initiative a été portée par l’Assemblée interparlementaire sur l’orthodoxie, un réseau international de parlementaires orthodoxes désireux de donner un témoignage chrétien dans les parlements. Leur conviction est claire : la division des chrétiens dans la célébration de la Résurrection est un contre-témoignage.

Dans la Déclaration que nous avons publiée, on lit :

« Aujourd’hui, nous sommes appelés à mettre en lumière la Croix et la Résurrection de Jésus comme le centre de notre foi chrétienne. »

Cette recherche d’une date commune à Pâques revêt non seulement une dimension ecclésiale, mais aussi politique, puisqu’elle implique une réforme du calendrier.

C’est dans ce cadre que nous avons visité des responsables d’Églises, tels que le patriarche Bartholomée de Constantinople, le pape François au Vatican, le pasteur Jerry Pillay, secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises, à Genève et Thomas Schirrmacher, ex-secrétaire général de l’Alliance évangélique mondiale. Nous avons également rencontré des parlementaires de divers pays au Conseil de l’Europe à Bruxelles. 

Constantin, un politique soucieux d’unité 

Venons-en à l’empereur Constantin ! Sa figure s’impose ici comme référence. Son règne marque un tournant décisif dans l’histoire de l’Empire romain et du christianisme. Après les persécutions sanglantes de Dioclétien, l’avènement de Constantin inaugure une ère nouvelle.

L’empereur, devenu chrétien, développe une haute conception de sa mission: il considère que l’unité de l’Église est une condition de la paix civile. Pour lui, les divisions internes du christianisme constituent une menace plus grave que les conflits militaires.

C’est pourquoi il convoque le Concile de Nicée en 325, afin de régler la controverse arienne suscitée par le prêtre alexandrin Arius lequel niait la divinité du Christ. Dans son allocution d’ouverture, rapportée par son biographe Eusèbe de Césarée, il déclare :

 « Je considère la division interne dans l’Église de Dieu comme un trouble plus funeste que toute guerre et tout furieux combat, et ces choses-là m’apparaissent plus affligeantes que celles du dehors ».[2]

Le concile établit la pleine divinité du Christ contre les thèses d’Arius, et donne à l’Église une confession de foi structurante.

La conversion de Constantin

La question de la conversion personnelle de Constantin reste débattue. Certains y voient un geste opportuniste, lié à une stratégie de légitimation politique. D’autres, se fondant sur les témoignages d’Eusèbe de Césarée, considèrent que sa démarche fut sincère, enracinée dans une expérience d’une rencontre avec le Christ ressuscité. 

Durant le Concile de Nicée, Eusèbe décrit Constantin comme « un ange céleste de Dieu » dans son apparence et affirme que « son âme était manifestement ornée de crainte et de révérence envers Dieu. »[3]

Il rapporte aussi que Constantin montrait du respect pour tous les évêques et qu’il embrassait ceux qui portaient sur eux les marques du martyre. En effet parmi les 318 évêques rassemblés à Nicée, certains avaient échappé à la persécution de Dioclétien, quelques années auparavant. Le souvenir du récent martyre de Saint Maurice et de ses 6’000 compagnons habitait aussi les esprits.

La conversion de Constantin et la reconnaissance de l’Église par l’État introduisent ce que des historiens ont qualifié de « révolution monothéiste ».  Une transition gigantesque dans l’histoire de l’humanité ! Avant lui, le culte impérial faisait de César la divinité obligatoire, à côté des autres divinités. 

À partir de Nicée, l’affirmation du Credo est claire : Jésus-Christ, et non l’empereur, est le « vrai Dieu. » C’est à cause de cette affirmation que tant de chrétiens ont été martyrisés durant les persécutions.   

Constantin et la tolérance religieuse

L’intégration progressive de l’Église dans les structures de l’Empire pose une question délicate : faut-il célébrer ou regretter ce tournant ? Le débat reste vif, entre partisans d’une vision « constantinienne » et critiques qui y voient une dérive.

Il faut néanmoins reconnaître que Constantin a introduit une nouveauté majeure : la tolérance religieuse. L’édit de Milan (313) met fin aux persécutions et établit une relative liberté de culte.

Certes, Constantin favorisa largement le christianisme et prononça à Nicée des paroles très sévères contre le judaïsme. Mais il protégea juridiquement les communautés juives, et alla jusqu’à financer, à la fin de sa vie, un temple païen. Ce paradoxe illustre le pragmatisme politique d’un homme soucieux de la paix sociale

Son baptême à la fin de sa vie 

Un fait intrigue : Constantin attend la fin de sa vie pour recevoir le baptême. Les raisons restent incertaines. Son biographe rapporte qu’il avait éprouvé un regret de ne pas l’avoir vécu plus tôt, tant l’expérience spirituelle – la lumière du Christ – qu’il a vécue a été forte. 

Il a alors pris conscience qu’il aurait pu vivre autrement, orienter plus tôt sa vie et son règne dans la fidélité totale au Christ. Revêtu de l’habit blanc du baptisé, il renonça dès lors à porter les insignes impériaux.  Je cite un extrait de ce texte d’Eusèbe : 

« Le très pieux empereur exprima alors le désir qu’il avait en ce moment : jamais encore il n’avait tant désiré qu’à présent la purification par le bain salutaire. Ayant rendu grâce à Dieu, il se revêtit d’un vêtement blanc, et ne voulut plus toucher aux habits royaux, se contentant de la splendeur que donnait l’habit blanc. » [4]   

A la lecture de ce texte, on ne peut réduire son action à une simple stratégie politique. L’itinéraire de Constantin nous appelle plutôt à ne pas retarder notre réponse à l’appel de Dieu et à prendre au sérieux la Parole de Dieu quand elle dit : 

« Aujourd’hui, si vous entendez sa voix,
N’endurcissez pas vos cœurs. »
 (Hébreux 4,7)

Que Dieu nous donne cette double grâce d’entendre sa voix et d’ouvrir nos coeurs afin qu’elle nous transforme!

Une interpellation pour l’action politique

En méditant sur la figure de Constantin, nous voyons un homme d’État conscient que la division religieuse menace la paix sociale autant que les conflits militaires. Sa manière d’agir fut marquée par les limites de son temps, mais son intuition demeure : une foi fidèle et vivante contribue à la cohésion d’une société.

L’action politique n’a pas à dicter la foi, mais à créer des conditions où la vie commune peut grandir dans l’honnêteté et la justice. En cela, elle est, comme le dit Saint Paul, « au service de Dieu pour encourager à agir bien. » (Romains 13,4)


[1] Méditation donnée à un groupe de parlementaires chrétiens, le 10 septembre 2025, au Palais fédéral à Berne.

[2] P. Maraval, Constantin le Grand. Lettres et discours, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 156-157

[3] Eusèbe, Vie de Constantin 3.10

[4] Eusèbe, Vie de Constantin, IV, 61–62


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Commentaires

Une réponse à “Constantin, chrétien et homme d’état ”

  1. Avatar de Alain Rioux

    Le Christianisme, bienfait de l’humanité

    D’abord, le Symbole inaltéré de Nicée-Constantinople n’est pas un point de convergence quelconque du Christianisme, comme la « Règle d’or » avec le « royaume des fins » de Kant. C’est plutôt l’UNIQUE mot de passe en Chrétienté, en dehors duquel AUCUNE reconnaissance ecclésiale n’est possible.

    Or, c’est cette christianisation de l’Empire qui a permis de faire passer le Monde de la sacralisation de la violence (« kurios kaisar »/ »Kurios Iésous ») à la violence d’un sacré qui, paradoxalement, personnalise, par ses sacrements, chacun de ses membres. De sorte que, l’isonomie clisthénienne et les droits de l’Homme y ont fait leur lit et fini par modérer la barbarie des rapports sociaux.

    C’est pourquoi, loin d’entraver la marche de la liberté, comme le prétendent les athées, dont le bilan n’est guère enviable (Jacobinisme, Communisme), il l’a, au contraire, stimulée. A telle enseigne que, même la laïcité, droitement entendue comme neutralité idéologique, non pas seulement religieuse, des appareils d’État est une de ses plus grandes réalisation; surtout, lorsqu’on considère que ces sont des protestants qui ont empêché la loi de 1905 de promulguer l’athéisme d’État, comme au Mexique trotskiste, en Russie staliniste ou en Chine maoïste.

    Par conséquent, la compréhension de la péricope de Rom.13/1-6 est loin de tendre à transformer l’État en théocratie, comme l’exemple américain nous le démontre chaque jour, depuis près de 250 ans. Somme toute, le Christianisme a représenté le plus grand bienfait accordé à l’humanité de tous temps.

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