Avant d’appeler les Éphésiens à garder l’unité (au chapitre 4 de sa lettre), Paul leur dit qu’un immense amour les précède :
- Un amour qui a réconcilié terre et ciel, juifs et non juifs par la croix du Christ
- Un amour qui s’appelle Jésus, qu’il faut avant tout contempler
- Il s’agit d’être digne de cet amour en vivant de manière cohérente, comme Paul, prisonnier à cause de Christ.
Pour Paul, les rapports entre chrétiens sont placés sous le signe de l’humilité, la douceur et la patience. Ces trois vertus expriment ce qu’est l’amour et décrivent la personnalité de Jésus.
Dans ce chapitre de la lettre aux Éphésiens, la patience vient en troisième. Dans d’autres textes pauliniens, c’est la première qualité de l’amour (1 Cor. 13, Gal. 5,12).
« Supportez-vous les uns les autres », dit d’abord Paul. Comprenons ce verbe au sens positif du « supporter » qui encourage son équipe de sport. Nous avons à nous encourager (parakalao, v. 1), et non à dominer.
Dans l’Église, les relations de pouvoir sont exclues. Les relations sont placées sous le signe de l’encouragement et du service. La vie chrétienne est communautaire, pas solitaire.
Maintenir l’unité que donne l’Esprit saint
L’unité est d’abord donnée. Elle est à préserver, non à faire. À recevoir, non à acquérir par un activisme. D’où l’importance de la prière. Mais il faut aussi s’efforcer de la maintenir : vigilance, attention, faire le premier pas…
L’unité ressemble au silence. Le silence est là, il nous précède. En nous taisant et en faisant taire en nous nos bruits intérieurs, nous y entrons. De même, l’unité nous précède : elle a été réalisée par Dieu dans le Christ, qui sur la Croix a aboli toute division. Nous y entrons en vivant dans l’amour du Christ.
« Un seul Seigneur, une seule foi… »
« Il y a un seul corps et un seul Esprit, de même que votre vocation vous a appelés à une seule espérance ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui règne sur tous, agit par tous, et demeures en tous » (Eph 4,4-6)
Le mot « un seul » apparaît sept fois dans ces trois versets. C’est sans doute le texte du Nouveau Testament qui affirme le plus l’unité dans la personne du Christ, lequel n’est pas divisé :
– Un seul corps dont Christ est la tête ; un seul saint Esprit qui verse en nous l’amour du Christ ; une seule espérance, celle d’être uni au Christ après notre mort, avec la foule immense des témoins (Apoc. 7).
– Un seul Seigneur, une seule foi : nous la recevons, car elle est transmise une fois pour toutes : Christ est venu, est mort, est ressuscité, reviendra. Un seul baptême qui dit le même mystère de l’incarnation et de la rédemption.
– Un seul Dieu, le Père de tous : le mouvement vers le Père, qui est source de tout, vers qui nos vies sont tendues, comme l’a été celle du Fils.
Ces trois versets forment le noyau dur de l’identité chrétienne. Un noyau qui peut être formulé de diverses manières, certes. Le contexte autant sécularisé que plurireligieux dans lequel nous vivons aujourd’hui est un fort appel à découvrir quels sont les éléments essentiels qui nous unissent et quels sont les points secondaires.
Toutefois, reconnaissons, comme protestants, que nous n’aimons pas le mot « un seul » sur lequel Paul insiste. Nous soulignons plutôt les valeurs de liberté et de diversité.
Dans notre lecture de la Bible, nous sommes attentifs au fait qu’il y a plusieurs regards sur Jésus.
Les quatre évangiles sont là pour nous le rappeler. Il y avait dans la première Église un extraordinaire foisonnement. Comme aujourd’hui, la vie chrétienne était vécue avec des mots et des accents très divers.[1]
Cependant, depuis la thèse d’Ernst Käsemann, à l’Assemblée de Foi et Constitution à Montréal en 1963, les théologiens protestants ont accentué le pluralisme. Celui-ci avait cherché à montrer que le Nouveau Testament contient des théologies contradictoires, reflets d’Églises qui étaient déjà divisées entre elles. Le Nouveau Testament ne peut donc pas être utilisé, selon lui, pour fonder l’unité de l’Église : « le canon néotestamentaire, en tant que tel, ne fonde pas l’unité de l’Église. En tant que tel, c’est-à-dire dans son état de fait accessible aux historiens, il fonde la pluralité des confessions ».[2]
Dans ce sens, Bernard Reymond va jusqu’à critiquer le « mythe de l’Église indivise » : « Il n’y a jamais eu d’Église véritablement une, et qui se serait divisée par la suite ; déjà au temps du Nouveau Testament, il y avait plusieurs Églises, plusieurs formes de chrétienté… »[3]
Depuis ce temps, beaucoup de théologiens protestants insistent davantage sur la diversité que sur l’unité entre les différents auteurs bibliques. Mais ce point de vue n’a pas été accepté, alors, par l’exégèse catholique et de nombreux protestants se sont distancés de Käsemannn. Aujourd’hui, on est revenu de cette opposition entre unité et diversité. La diversité n’est pas un obstacle à l’unité, mais l’enrichit. Les théologiens protestants, me semble-t-il, sont davantage ouverts à l’unité…et les catholiques … à la diversité !
À juste titre, nous résistons à l’idée d’avoir une pensée unique sur le Christ, car la diversité est constitutive de la vie de l’Église. Un des symboles de l’Église est en effet celui du corps et des membres. L’Église est le corps du Christ et nous en sommes les membres.
Comme membres, nous sommes différents les uns des autres. Par conséquent, la diversité constitue l’Église.
Mais comme protestants, nous avons parfois fait de la diversité un paravent pour cacher nos divisions. Nous avons fait du pluralisme une « quasi-marque » de l’Église. C’est pourquoi nous pouvons aussi accepter au sein de notre Église des manières de comprendre l’Évangile qui surprennent nos frères et sœurs d’autres Églises.
Dans le dialogue oecuménique, ces mots de l’apôtre Paul ont pris du relief : « il y a une seule foi ». Avouons-le ! Ce sont des mots que nous peinons à comprendre. Mais des Églises pour qui la confession de la foi commune joue un rôle central, peuvent nous aider à les redécouvrir. La Charte oecuménique européenne invite également à « travailler, dans la force de l’Esprit Saint, à l’unité visible de l’Église de Jésus-Christ dans l’unique foi ».[4]
La foi, confiance et connaissance
Pour Paul, la foi a un aspect relationnel et un aspect épistémologique. Elle est à la foi confiance et connaissance. Sur le chemin de Damas, il a été saisi par le Christ vivant. Dès lors, sa vie est le Christ. Vivre, c’est vivre pour lui, se confier en lui. Voilà pour l’aspect relationnel de la foi. Mais, pour Paul, la foi a aussi un contenu qu’il n’invente pas.
Dans la lettre aux Corinthiens, il déclare : « Je vous transmets ce que j’ai reçu : le Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures. Le troisième jour, il est ressuscité des morts ». Voilà le noyau dur de la foi : Jésus est ressuscité après avoir pris sur lui nos péchés. Il est vivant dans son Église qui est son corps. Il nous fait entrer dans la communion avec son Père en répandant sur nous l’Esprit Saint.
En parlant de la cène, Paul y engage aussi son autorité de façon absolument solennelle : « ce que j’ai reçu du Seigneur, je vous le transmets : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré… » Il utilise la formule « ce que j’ai reçu du Seigneur… ». La même qu’en 1 Cor. 15 où il montre que la résurrection est le fondement de l’Église.
Ceci est un fait très significatif : pour Paul, l’Église est construite sur les deux piliers de la Résurrection et de l’Eucharistie. L’Église naît de la Parole de la Résurrection lue dans l’Écriture, annoncée par les disciples du Christ et célébrée dans la sainte Cène.
Paul n’invente pas cette foi, pas plus que l’Église à travers les temps. Nous ne pouvons que transmettre ce que nous avons reçu. Nous ne pouvons que redire et chanter dans les mots d’aujourd’hui cette unique foi.
Tout ceci nous encourage à grandir dans la foi. La foi dans son aspect relationnel : à faire une place encore plus grande au Christ. « Qu’il grandisse et que je diminue » ! Mais aussi à grandir dans la confession commune de la foi, qui est nécessaire pour faire épanouir la communion ecclésiale.[5]
Je suis reconnaissant à mon Église réformée de me rappeler que la diversité est constitutive de son être. Mais, je suis aussi reconnaissant aux membres d’autres Églises quand elles nous disent que notre liberté en Christ nous est donnée pour construire la communauté et la renouveler.
Nous qui aimons le mot diversité, ne craignons pas le mot seul ! La diversité de l’expression de la foi n’est pas contradictoire avec la confession de la seule foi. L’Esprit saint, qui est une personne de communion entre le Père et le Fils… et entre nos diversités, nous l’enseignera !
La clé de l’unité : une prière.
Ton humilité est
la clé qui ouvre à l’unité dans un monde divisé,
le secret qui nous réconcilie les uns avec les autres,
la confiance qui nous tourne vers l’amour de Dieu,
le baume qui guérit nos blessures,
la lumière qui nous fortifie,
la porte qui garde nos cœurs,
la fenêtre qui donne sur l’action de l’Esprit saint,
le chemin qui conduit à travers les vallées obscures.
Donne-nous, Jésus, à chaque instant de contempler ton humilité
dans ton incarnation dans le sein de Marie,
de ta crèche à ta croix,
dans tous tes gestes et tes paroles,
dans ta prière continuelle au Père,
dans le lavement des pieds de tes disciples,
dans les oppositions que tu as traversées,
dans ton pardon accordé à tes bourreaux,
dans ton terrible abandon sur une croix,
dans ta résurrection discrète au troisième jour,
dans le don de l’Esprit saint qui nous la communique.
Viens Esprit-saint, verse en nous l’humilité
qui a animé toute la vie de Jésus !
[1] Voir François Vouga, Querelles fondatrices : Églises des premiers temps et d’aujourd’hui, Labor et Fides, Genève, 2003.
[2] « Begründet der neutestamentliche Kanon die Einheit der Kirche? », in Exegetische Versuche und Besinnungen, I., Göttingen, 1964, p. 221
[3] Sur la trace des théologies libérales, Van Dieren éditeur, Paris, 2002, p. 143
[4] Charte œcuménique européenne, I,1 (2001). Voir le texte sur le site de la Conférence des Églises européennes. http://www.ceceurope.org/ Cf. aussi Sarah Numico & Viorel Ionitsa (éd.), Charte œcuménique. Un rêve, un texte, une démarche. Parole et Silence, Paris. 2003.
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