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Quelle spiritualité pour nous aujourd’hui ?

J’aimerais comparer la notion de spiritualité à un jardin de permaculture où voisinent toutes sortes de plantes, parfois dans une grande confusion. La spiritualité permet de parler de la religion sans la nommer (car pour certains ce mot est devenu tabou). Les philosophes utilisent ce mot pour exprimer l’opposition entre la matière et l’esprit. Le Nouvel Age avec ses diverses techniques de développement personnel le chérit.

Le terme de spiritualité résume toute la quête de sens et de libération à laquelle on assiste aujourd’hui, souvent en dehors des Eglises. Certains se tournent vers les spiritualités orientales. D’autres revendiquent même une « spiritualité laïque », voire sans Dieu.

Par quel bout commencer dans ce fouillis ? Si je prends l’étymologie, spiritualité vient du latin Spiritus, esprit. Ce mot désigne à la fois l’esprit de l’homme et celui de Dieu. Esprit a donc un aspect humain et un aspect divin.

Au lieu de définir le mot « spiritualité », je poserai deux questions :

  • Comment prendre soin de son esprit ?
  • Comment faire l’expérience de l’Esprit de Dieu ?

La spiritualité répond d’abord à cette question : comment prendre soin de son esprit ? Comment pratiquer cette « garde du cœur en toute vigilance » (Proverbes 4,23) dont parlent si souvent les Pères de l’Eglise ? Ce cœur, dont il faut prendre soin plus que tout, puisque c’est de lui que jaillissent les sources de vie. Ou pour le dire avec le psalmiste « Comment quand on est jeune, garder son cœur pur » ? (Psaume 119,9). Question fondamentale, pas seulement pour les jeunes !

Garder son esprit pur signifie discernement, exercice, voire combat contre le mauvais esprit. On parle d’ « exercices spirituels », de « disciplines spirituelles », de « combat spirituel ». C’est l’aspect ascétique de la vie chrétienne caractérisée par un effort et une discipline. Rien ne va de soi dans la vie spirituelle. Pour progresser, il faut exercer une constante vigilance.

Quant à l’aspect divin, le mot spiritualité signifie pour la foi chrétienne « vivre dans l’Esprit saint ». Les questions fondamentales sont : comment l’Esprit saint vient-il à nous ? Comment ne pas l’attrister ? Comment en être rempli ? Quand l’apôtre Paul dit : « Ce n’est plus moi qui vit, mais le Christ qui vit en moi », son expérience est-elle accessible à tous ? (Galates 2,20)

 

Les « pneumatophores »

Dans la vie spirituelle nous avons été précédés par des « spirituels », ou des « pneumatophores », des personnes porteuses de l’Esprit, qui ont tracé des chemins de vie.

Le plus grand est, pour nous chrétiens, bien sûr Jésus, le Messie. Ce mot hébreu signifie « celui est rempli de l’Esprit ». De Jésus rayonnent tous les dons de l’Esprit et il nous les communique de manière variée depuis Pentecôte. Il nous donne l’Esprit qui habite en lui pour faire de nous des « chrétiens ». Ce mot, rappelons-le vient de Christ, un mot grec qui a le même sens que Messie. Etre chrétien c’est donc être rempli du même Esprit qui a habité Jésus.

Nous faisons l’expérience de l’Esprit pas seulement individuellement mais aussi ensemble, de manière communautaire. Le jour de Pentecôte est le moment essentiel qui montre que la spiritualité chrétienne est avant tout communautaire. En effet les apôtres, ce jour-là, ont fait l’expérience de l’Esprit non pas chacun de son côté, mais ensemble. D’où l’importance de la communion ecclésiale, qui est le lieu fondamental – quoique pas exclusif – où l’on reçoit l’Esprit saint.

Avant et après Jésus, une « nuée des témoins » (Hébreux 12,1) a reçu l’Esprit ; certains sont restés fidèles jusqu’à la mort. Ce sont les apôtres, les martyrs, les confesseurs de la foi. Et parmi eux, Marie, la mère du Seigneur, la plus grande charismatique, puisque le fruit de l’Esprit saint en elle a été de donner chair et sang au Fils éternel de Dieu.

Aujourd’hui, où les cultures et les religions se rencontrent, il nous faut aussi discerner des « signes de l’Esprit » chez des hommes et des femmes venant d’autres horizons spirituels. Dans sa grâce commune Dieu « remplit le cœur des hommes de joie », comme le dit Paul aux gens de Lystre ( Actes 14,17). Quand je rencontre des personnes d’autres religions, je ne vais pas au devant d’un vide de Dieu, mais je veux découvrir cette joie que Dieu, ami des hommes, a versée dans le cœur de tous. Bien sûr avec prudence et discernement.

Quatre chemins de l’Esprit

L’Esprit vient par plusieurs chemins. J’en vois quatre principaux dans l’histoire de la spiritualité chrétienne

  • La Parole de Dieu
  • Le prochain à servir
  • La célébration et la prière personnelle
  • La vie communautaire 

Je me concentrerai maintenant sur la Parole, pour expliciter ce que nous avons vécu durant la lectio divina. Puis, à la lumière du récit de l’entrée de Jésus dans Jérusalem, j’aborderai les trois autres chemins.

 I. Comment faire l’expérience de l’Esprit saint à travers la Parole de Dieu ? Les voies de la Lectio divina.

Il y a un lien profond entre la Parole de Dieu et la vie dans l’Esprit saint. Mais dans notre vie spirituelle nous faisons souvent l’expérience que ce feu est recouvert par beaucoup de cendres. La pratique de la Lectio divina permet d’attiser ce feu de l’Esprit qui doit animer notre vie.

Dans l’Ancien Testament, le feu symbolise la Parole de Dieu annoncées pas les prophètes : « Sa parole est un feu dévorant » (Es. 30,27) ; « Ma parole est comme un feu, comme un puissant marteau qui brise le rocher ». (Jr 23 29)

Et Jésus, parlant de la Pentecôte, annonce qu’il désire que ce feu habite tous les coeurs :« C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Luc 12,49)

Aujourd’hui, notre vie risque la fragmentation. Les nouveaux moyens de communication sont si puissants qu’ils peuvent nous disperser si nous ne sommes pas vigilants.

Par exemple, comment commençons-nous nos journées, au moment du réveil ? En écoutant la radio, en lisant le journal, en regardant la télévision, en consultant les e-mails ou Facebook ? Or nous le savons, ces médias nous annoncent plutôt des mauvaises nouvelles.

Si nous ne luttons pas contre cette fragmentation, notre vie spirituelle court à sa ruine, le feu de l’Esprit risque de s’éteindre en nous.

Le moyen de lutter contre cela est de retrouver le feu de la Parole. Pour nourrir notre vie spirituelle, n’est-il pas préférable de commencer la journée en lisant l’Evangile, la « Bonne Nouvelle ».

Mais comment le faire pratiquement ? J’aimerais vous parler de la Lectio divina !

 

La Lectio divina 

…Ou « lecture divine ». Divine de deux manières. D’abord parce que l’objet de notre lecture est un texte à travers lequel Dieu veut nous parler. Mais divine aussi dans son aspect subjectif : le but de la lecture est d’allumer en nous le feu de l’Esprit saint.

C’est une démarche très ancienne, qui aujourd’hui retrouve une actualité étonnante. Le premier à utiliser cette expression fut Origène. Elle est au cœur de la règle de Saint Benoît, qui commence par l’invitation à écouter l’Evangile. La réforme protestante a aussi de belles pages sur le lectio divina, comme le temps des Réveils (même si on n’utilisait pas cette expression). L’Eglise catholique l’a redécouverte avec le concile de Vatican II. Aujourd’hui elle est de plus en plus pratiquée, dans toutes les Eglises, même dans les Eglises évangéliques et pentecôtistes.

Comment vivre, en pratique, une lectio divina ?

Seul ou en groupe ?

J’essaye chaque jour de prendre un temps de lectio divina (mais je n’y arrive pas toujours), durant environ 45 minutes. Je la vis aussi en couple (une ou deux fois par semaine. Plus durant les temps de vacances) ; avec le temps ce moment est devenu l’axe spirituel de notre vie conjugale : le moment où à la lumière de l’Evangile, nous pouvons relire notre vie.

Je pratique encore la lectio divina dans des groupes. Certains se réunissent chaque mois, comme celui que j’anime dans le cadre de l’Ecole de la Parole en Suisse romande ; d’autres sont plus occasionnels, comme lors d’une retraite. Je constate qu’il y a une sorte de va et vient entre la lecture solitaire et la lecture communautaire. Vivre ensemble une lectio – cela fait 25 ans cette année que je la pratique ainsi – m’encourage toujours à persévérer dans ma lecture personnelle, car c’est à chaque fois une expérience qui allume en moi un feu.

Les étapes de la lectio divina

Il y a 36 manières de la faire. Mais il y a certaines constantes. Je les vois dans ces cinq étapes (en latin ) : preparatio – lectio – meditatio – oratio – communicatio. Prenons-les l’une après l’autre.

a.     La préparation (preparatio)

La préparation consiste essentiellement en une invocation de l’Esprit saint. Cet Esprit qui a inspiré les Ecritures, nous lui demandons de venir nous éclairer. Je commence donc chaque lectio par une invocation, qui prédispose à lire la Parole d’un cœur libre. Car il est celui qui crée, libère et sanctifie. L’Esprit Saint qui est « la chose bonne » que le Père promet à ses enfants (Le 11,13). C’est sa lumière, qui nous donne de discerner le Verbe dans l’Ecriture. 

b.     La lecture (lectio)

Il s’agit ensuite de lire et relire à plusieurs reprises le texte. Pour cela il ne faut pas que le texte soit trop long. Un texte trop long risque de nous fatiguer. Si une liste de lecture propose une longue péricope, on peut en sélectionner une partie. Dans le temps de lecture, l’important est le silence. Quand je vis la lectio dans un groupe, je propose deux ou trois temps de silence absolu de 5-10 minutes. Le silence est un des outils les plus importants dans la lectio divina. Il est le signe que nous sommes là non seulement pour écouter, mais pour avoir un contact actif avec le texte, en l’analysant, en le mémorisant et en le reliant avec notre vie.

L’important est avoir un contact actif avec le texte, d’entrer personnellement dans le texte, de lutter avec lui, comme Jacob avec l’ange. Il ne faut surtout pas, à ce stade, ouvrir un commentaire ou se laisser distraire par des notes. On profitera d’autant mieux des commentaires –anciens ou modernes – après être entré personnellement dans le texte.

c.      La méditation (meditatio)

Après un certain temps, un verset, une phrase, un mot semblent se dégager. Je le reçois alors comme le véhicule à travers lequel l’Esprit saint désire se communiquer à moi. Je répète ensuite intérieurement le verset ou les mots, jusqu’à ce qu’une idée, une image prenne forme.

Les Pères de l’Eglise parlent de cet exercice de répétition comme une sorte de « rumination »[1], pour indiquer que la Parole doit être assimilée, mangée, digérée, comme Ezéchiel devait le faire: « Fils d’Homme, prends ce livre ! … Mange-le ! … Il deviendra du miel dans ta bouche… Ezéchiel, ouvre ton cœur et tes oreilles à mes paroles et retiens-les bien ! » (Ez 3,1-10).

Dans le temps de lecture, je me demande ce que dit le texte ; dans le temps de méditation, ce qu’il me dit à moi aujourd’hui, dans ma vie, dans l’Eglise, dans le monde. C’est le moment où je me demande comment le texte me rejoint. Mais pour lire sa vie à la lumière de l’Evangile, il faut aussi écouter l’Esprit saint qui vit en moi. « Il demeure auprès de vous et il est en vous », dit Jésus à son sujet. (Jean 14,17)

Le philosophe juif Franz Rosenzweig (mort en 1929) écrivait à ce sujet : « Pour apprendre ce qui se trouve dans la Bible, il faut deux choses : écouter ce qu’elle dit, et prêter l’oreille au battement du cœur humain. La Bible et le cœur disent la même chose ».

d.     La prière (oratio)

Durant ce moment, je réponds au Christ, qui me parle à travers le texte. Je puise dans les mots de la Bible, les mots de la prière. La lectio me fait découvrir que notre prière n’est qu’une réponse à ce que Dieu nous a déjà dit dans sa Parole. Augustin parle de ce mouvement quand il écrit : «Quand tu écoutes, Dieu te parle; quand tu pries, tu parles à Dieu.[2] ». Il dit encore : « Cherche à ne rien dire sans lui et lui ne te dira rien sans toi ». Ce qui veut dire qu’il faut prier avec les mots du texte biblique. Une belle image pour exprimer cette pratique de la prière biblique se trouve dans un écrit anonyme du Moyen-Age : «L’Ecriture est le puits de Jacob d’où l’on extrait les eaux que l’on répand ensuite en oraison.[3] »

Parler au Christ avec Ses propres paroles, c’est le premier fruit de la lectio divina. Une des plus belles prières est le Cantique de Marie, qui est une tapisserie de versets bibliques de l’Ancien Testament animés par le souffle de l’Esprit qui l’a visitée (Luc 1,46-55). L’Evangile de Luc nous présente d’ailleurs Marie comme celle qui « médite profondément les paroles dans son cœur ». (Luc 2,19) Elle est en quelque sorte le modèle de la lectio divina.

A la fin de chaque lectio, j’écris une prière. Cela me permet de garder une trace du chemin parcouru. Dans la lectio vécue en groupe, chacun est invité, s’il le désire, à la partager avec les autres. A ce sujet, un texte de la Réforme dit : « Il est bon de mettre ses idées par écrit pour les comparer à ce qui viendra ensuite. Car dans la voie de Dieu, sans cesse il faut combattre, et en outre, la mémoire étant faible, il nous est bon d’avoir, à l’occasion, quelque chose en réserve. Grâce à cet exercice, nos cœurs deviennent un arsenal pour Dieu, le Seigneur, où sont cachées les armes spirituelles à utiliser contre les attaques insidieuses du diable.[4] »

e.      La communication (communicatio)

L’étape suivante est le partage de ce que nous avons vécu durant la lectio. Dans la vie spirituelle, il est important de ne pas garder pour soi ce que nous avons reçu. On le voit de manière évidente avec le récit de l’Annonciation suivi par la Visitation. Que fait Marie après avoir été visitée par l’Ange qui lui annonce la grande nouvelle de la visite de l’Esprit ? Elle se rend en hâte chez sa cousine Elisabeth pour lui communiquer cela. Il nous faut aussi apprendre à communiquer. Cela se fait de manière très naturelle dans les groupes de lectio divina. Les deux ou trois de temps de silence d’environ 10 minutes encouragent même les plus timides à partager ce qu’ils ont découvert, à parler en « Je ».

Or que vit-on en partageant notre vie spirituelle ? Non seulement on communique la vie et on encourage les autres, mais en retour on reçoit aussi une grâce. La vie que l’on fait circuler en osant le partage et le témoignage nous fortifie et attise le feu de l’Esprit. De cette manière on construit aussi des relations profondes au-delà de tout clivage. Par la lectio divina, j’ai aujourd’hui des amis dans toutes les Eglises.

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 II. Trois autres chemins de l’Esprit

Devenir « Pneumatophore », porteur de l’Esprit, ou « Christophore », porteur du Christ, comme Saint Christophe. L’ânon qui porte le Christ dans le récit des Rameaux est un des premiers christophores !  

Comment devenir christophore ? C’est une question semblable à celle que je posais au sujet de la spiritualité : comment vient l’Esprit dans nos vies ? 

J’ai parlé de la spiritualité nourrie par la Parole de Dieu, avec la démarche de la Lectio divina. C’est une manière extraordinaire pour devenir christophore.  A partir de ce récit des Rameaux, je vois trois autres formes de spiritualité :

Nous devenons christophores :

  • en servant nos frères et sœurs (une spiritualité diaconale),
  • à chaque fois que nous nous rencontrons à deux ou trois, ou plus (une spiritualité communautaire),
  • et lorsque nous célébrons le Christ, en particulier lors de la sainte cène (une spiritualité eucharistique)

1. Une spiritualité diaconale 

Le Christ nous attend dans les frères et les sœurs que nous voulons servir. Il a parlé aux propriétaires de l’ânon. Ceux-ci n’ont pas opposé de résistance quand les deux disciples leur ont dit : « Le Seigneur en a besoin ». Croyons, nous aussi, que le Christ parle au cœur des personnes que nous rencontrons, avec qui nous vivons et travaillons, que nous aidons ou qui nous aident.

A nous aussi le Christ dit : « Le Seigneur en a besoin » :

  Il a besoin de toi, avec tes limites et tes faiblesses. Chacun a quelque chose à apporter, chacun est unique.

   Il aime les petits pas, les petits commencements, les fidélités dans les petites choses à vivre dans l’instant présent, la vigilance en toutes choses.

     S’il choisit les choses humbles, cela signifie que les grands et les riches de ce monde doivent  utiliser leur pouvoir pour servir, défendre les petits et les pauvres.

    Il a besoin de toi pour apporter la foi, pour annoncer la paix au monde. Tu es sa bouche pour annoncer, son bras pour relever, son oreille pour écouter, son cœur pour aimer, ses yeux pour regarder…

 2. Une spiritualité communautaire

Comme le Christ avait envoyé ses disciples deux par deux, il en envoie aussi deux  pour chercher cet âne. Pourquoi cette insistance de Jésus sur le « Deux ou trois ». C’est que, pour lui, deux ou trois, c’est le commencement d’une vie d’Eglise.

Nous sommes « Christophores ensemble ». Le Christ est apporté aux hommes par notre unité et notre amour réciproque. Pentecôte n’a pas été une expérience individuelle, mais communautaire. C’est ensemble que nous vivons la visite de l’Esprit saint. A chaque rencontre, à chaque célébration nous pouvons nous attendre à une nouvelle effusion de l’Esprit saint.

 3. Une spiritualité eucharistique

L’Eglise naissante a vu dans cette scène la représentation anticipée de ce qu’elle fait dans la liturgie. Dans la Didachè (100) apparaît l’Hosanna avec le Maranatha. Le Benedictus a aussi été très vite inséré dans la liturgie : pour l’Eglise naissante, le dimanche des Rameaux n’était pas une chose du passé.

De même que le Seigneur était alors entré dans la Ville sainte, montant l’ânon, ainsi l’Eglise le voyait arriver à nouveau toujours sous les humbles apparences du pain et du vin.

J’aimerais ajouter maintenant deux points qui me semblent être essentiels pour vivre une spiritualité aujourd’hui. Je les ai déjà évoqués. Il s’agit de la simplicité et de la non-violence. Suivons le récit du jour des Rameaux pour les découvrir !

 Simplicité

Jésus entre à Jérusalem sur un âne.  Il choisit l’animal des peuples nomades pauvres. Simplicité de Jésus, qui contraste avec le triomphe de l’empereur victorieux entrant à Rome.

Toute sa vie est marquée par cette simplicité : sa naissance dans une étable, sa vie de famille dans la maison de Nazareth. Sur les chemins de son pays, comme un pèlerin de S. Jacques il marchait sans s’alourdir de beaucoup de bagages. Il n’utilisait pas un langage compliqué et abstrait, mais des images, des comparaisons tirées de la vie familiale, agricole. Il nous a donné une prière que tous peuvent dire et comprendre : quand vous priez, dites « Notre Père, qui es aux cieux ». Mais c’est dans les derniers moments de sa vie que sa simplicité s’est manifestée pleinement. Il s’est dépouillé de sa divinité, jusqu’à mourir nu sur une croix.

Pourtant cachée derrière cette simplicité, c’est bien l’égal de Dieu qui entre à Jérusalem. Jésus a conscience qu’il accomplit la prophétie de Zacharie, qui 500 ans avant, annonçait que le Messie entrerait à Jérusalem sur un âne. Il sait que cet âne l’attend dans le village vers lequel il envoie deux de ses apôtres. Il se désigne comme le Seigneur, un nom qui était réservé à Dieu lui-même. La foule l’acclame comme « Celui qui vient », comme celui qui va inaugurer un temps nouveau : le temps du Messie.

Cette foule c’est aussi la communauté des chrétiens, qui le célébre. Comme Jésus est entré à Jérusalem, il continue de venir à nous, car il est avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps.

Mais comment vient-il à nous aujourd’hui ? De la même manière comme il est venu il y a deux milles ans : par la simplicité.

Simplicité de quelques gouttes d’eau de son baptême. Simplicité du pain et du vin à travers lesquels il se donne en nourriture. Simplicité d’une prière qui cherche à parler à Dieu sans peur. Trois mots suffisent : pardon, merci, s’il te plaît.

Mais si on ose les dire du plus profond du coeur, c’est une révolution en nous-mêmes, qui commence : la plus profonde et la plus durable des révolutions. Simplicité d’une parole qui dit : excuse-moi, j’ai fait une erreur, plutôt que de trouver 36 excuses.

Oui, Jésus vient à travers toutes ces formes de simplicité.

Chaque année je me rends à la communauté de Taizé. A chaque fois je suis frappé par la simplicité des lieux. Je me souviens de l’assiette en plastique et de la seule cuillère à soupe pour chaque repas. Je me souviens de l’Eglise de la Réconciliation, où l’on s’assied à même le sol, mais qui nous touche par sa beauté et son atmosphère. Et les temps de silence alternés aux chants que l’on répète simplement.

Comment pouvons-nous accueillir le Christ. Y a-t-il une condition ? Oui, il y en a une et elle s’appelle la simplicité.

Frère Roger, le prieur de Taizé écrivait : « Ce qui rend heureuse une existence, c’est d’avancer vers la simplicité : la simplicité du cœur, et celle de notre vie… Quand la simplicité est associée à la bonté du cœur, un être humain même tout démuni peut créer un terrain d’espérance autour de lui. »

La simplicité du coeur, comme une voie vers le bonheur ? Parmi les premières paroles de Jésus sur la terre, nous trouvons celles-ci : « Heureux les cœurs simples…heureux ceux qui sont doux et bons pour les autres… »

Les premières paroles sont les plus importantes. Si Jésus parle de bonheur, cela signifie qu’il croit qu’il est possible. Il sait que les hommes peuvent être heureux et que le malheur n’est pas leur condition normale.

Alors faisons-nous un coeur simple et résolu et allons de l’avant !

 Non-violence.

Jésus entre dans Jérusalem sur un âne. A l’époque l’âne est aussi un symbole de paix. Jésus est le roi humble et pacifique. Le nouveau Salomon, qui a refusé d’utiliser la violence.  Cette foule qui l’acclame ce jour, Jésus refusera de l’utiliser pour qu’elle prenne les armes afin de chasser l’occupant romain.

Quand les gardes romains viennent l’arrêter, Jésus dira à l’un des siens qui a pris son épée : « Remets ton épée en place, car tous ceux qui prennent l’épée, périront par l’épée. »

Quel curieux conquérant qui entre dans Jérusalem. Son armée ? une foule qui met des vêtements et des branches d’arbre sur son chemin. Quelle révolution va-t-il apporter dans cette ville?  Cette ville dont le prophète Jérémie disait : « C’est la ville envahie tout entière par la brutalité. Elle fait jaillir sa méchanceté comme une fontaine fait jaillir ses eaux. On n’y entend parler que de violence et d’oppression. » (6,7)

Quelle est cette révolution : est-ce la révolution non-violente ? Une révolution qui va conduire des milliers, des millions de ses disciples à donner leur vie, comme Jésus et pour Jésus. La face de la terre en sera transformée, et cette métamorphose continue aujourd’hui.

Notre monde aujourd’hui est rempli d’une violence qui fait peur. Celle que l’on voit à la Télévision ou sur internet : la guerre ou le terrorisme. Mais aussi celle du racket que les jeunes peuvent rencontrer tout à coup, au détour d’un chemin ou au coin d’un magasin. Celle qui se vit à l’école ou après l’école entre élèves.

Peut-on résoudre les problèmes autrement que par la violence ? Voilà une question qu’il faut sans cesse se poser. Récemment j’ai participé à une rencontre avec des jeunes appartenant à des religions différentes. Ils se sont mis d’accord pour vivre la « Règle d’or », présente dans toutes les religions, qu’elles soient chrétienne, juive, musulmane, bouddhiste, etc… Cette règle dit : Fais aux autre ce que tu voudrais qu’ils te fassent. Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent. En pratique, ils ont voulu vivre le respect réciproque, l’amour qui est inscrit dans le coeur de tout homme.

Et cela signifie :

       aimer tous, en s’oubliant soi même et en un pensant aux autres, sans discrimination vis à vis de qui a des idées différentes des siennes ou de qui appartient à une race, à une ethnie, à une religion autre que la sienne.

       aimer en premier, sans attendre que l’autre fasse le premier pas.

       Aimer même les ennemis, en oubliant les offenses du passé, en apprenant à pardonner, en nous disant avec respect ce en quoi nous pouvons changer et nous améliorer.

Durant cette rencontre, ces jeunes ont essayé de commencer à le vivre. Petite goutte de paix dans un océan de violence. Est-ce illusoire ? Est-ce que cela va changer quelque chose. La question nous est posée : est-ce que je veux, est-ce que je peux vivre cette règle d’or qui est inscrite dans la conscience de chacun ? Il est toujours possible de faire le premier pas, de commencer. Et si je n’y arrive pas : l’instant d’après, le jour après m’est donné pour recommencer.

Et puis nous ne sommes pas seuls. Les chrétiens savent que Jésus a vraiment vécu la règle d’or. Il l’a donnée sous sa forme positive : « Faites aux autre ce que vous voudriez qu’ils vous fassent ». Ce qui est plus exigeant que la forme négative. Car il est plus exigeant de faire quelque chose pour autrui que de s’abstenir. Jésus a vécu cette règle, qui pour lui résume toutes les paroles de Dieu, tout ce que Dieu attend de nous. Il l’a vécue jusqu’au bout, en pardonnant même à ceux qui l’ont crucifié. Il a été le juste, l’innocent. Et à cause de cela, Dieu l’a ressuscité. Il est avec nous tous les jours et il vient à notre aide, si nous décidons de faire le premier pas vers l’autre, si nous cherchons à surmonter la violence.

Voilà la non-violence de Jésus. Voilà à quoi il nous appelle. Un mot le résume – mieux que le mot non-violence : c’est le mot amour. Jésus nous en a donné l’exemple. Il nous invite à l’imiter.

 

Une prière

Et voici une prière, que j’ai écrite après avoir fait une lectio divina sur quelques versets du Psaume 119 et qui peut nous aider à nous mettre dans un état d’esprit favorable pour méditer la Parole.

Seigneur, au moment d’ouvrir la Bible

Pour y chercher des Paroles de vie,

J’invoque ton Esprit vivifiant.

Qu’il me vide de toute préoccupation.

Accorde-moi le silence intérieur

Et apaise mon être tout entier.

Garde mon cœur des distractions

Qui m’égarent dans la futilité.

Que je réfléchisse profondément

Au sens de ce que mes yeux lisent.

Qu’à chaque ligne, je regarde à toi, Jésus,

Qui a accompli toutes les Ecritures,

Et marché devant Dieu et les hommes

Dans l’humilité et la bienveillance.

Puis, après avoir fermé les yeux

Pour méditer sur mes chemins de vie,

Donne-moi de « réfléchir à ma voie

Et de ramener mes pas vers tes préceptes »

(Ps. 119,59).

Quelques ressources pour la lectio divina

L’Ecole de la Parole en Suisse romande publie chaque année un livret pour vivre des lectio divina en groupes ou dans des assemblées plus grandes. http://www.la-bible.ch/fr/mainpages/bible/lecole-de-la-parole

Depuis 15 ans, je pratique la « Parole de Vie », qui consiste à garder à l’esprit et vivre un verset de la Bible durant tout un mois. C’est une sorte de lectio divina prolongée, qui permet de se concentrer sur une parole, de la ruminer, la mémoriser. J’encourage les musiciens à la mettre en musique, les peintres à la représenter, les poètes à la chanter, etc… Une fois par mois je la partage dans un groupe. Je l’utilise aussi dans la prédication et l’accompagnement spirituel et dans d’autres activités de la paroisse, comme par exemple dans le catéchisme. Je donne aux jeunes une petite carte avec la parole du mois. Cela me donne une grande grâce d’intégration de toutes mes activités dans la lumière de la Parole. Voir : http://parole-de-vie.fr

Le site que j’anime propose plusieurs ressources et réflexions sur la lectio divina :http://martin.hoegger.org/index.php/spiritualite/lectio-divina

Je participe à l’animation d’un groupe oecuménique de lectio divina, au Mont sur Lausanne.  

 


[1] Voir la Règle de Pacôme, n° 122, in P. Deseille : L’esprit du monachisme pacômien, Bellefontaine, 1968, p. 38.

[2] Augustin : Sur le Psaume 85,1, PL 37, 1082.

[3] Jean Leclerc, L’Amour des lettres et le désir de Dieu, Paris, 1957, p. 73.

[4] Actes du Synode de Berne, 1528.

[5] Enzo Bianchi : Prier la Parole. Une introduction à la « lectio divina », Abbaye de Bellefontaine, 1982, p. 30.


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