Apprendre à faire le bien et la justice

« Apprenez à faire le bien, recherchez la justice ». (Esaïe 1,17). Ces deux impératifs du prophète Esaïe constituent le thème de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens de l’année 2023. Ils ont été choisis par un groupe de chrétiens de différentes Églises de Minneapolis aux États Unis. C’est dans cette ville qu’un afro-américain, George Floyd, a été tué en 2020, provoquant une grande protestation contre le racisme.

Avec ce verset, ce groupe appelle non seulement à éliminer toute discrimination raciale, mais aussi à s’engager pour une société juste, dans un pays traversé par des grandes polarisations. Ce thème de la justice est d’ailleurs d’une actualité brûlante dans toutes les sociétés, en Suisse également.

 

Un choc spirituel

Mais voyons quel est le contexte d’où ce verset a été pris. L’époque d’Esaïe peut faire penser à la nôtre. Elle était caractérisée par une grande instabilité internationale, avec des guerres fomentées par un empire. Certains ont accumulé d’immenses richesses, d’autres recherchent le pouvoir. Mais les pauvres sont marginalisés et souffrent de la voracité des puissants.

Dans ce cadre, le prophète Esaïe intervient de la part de Dieu pour appeler le peuple à revenir à Dieu. Avec des mots provocateurs, il dit que Dieu n’écoute pas les prières de son peuple quand l’injustice règne.

Dieu disqualifie le pèlerinage vers le Temple de Jérusalem quand les pèlerins oublient que le but de la Montée à Jérusalem ne peut être uniquement d’y prier mais doit également comporter l’exigence d’amour, de justice et de réconciliation les uns avec les autres.

Comme le culte du Temple de Jérusalem était le centre de la vie d’Israël, ces paroles très dures ont provoqué un choc spirituel. Écoutez : sans justice, les prières sont inutiles ! Dieu les déteste, ne les supporte pas et n’y prend aucun plaisir !

Imaginez qu’un prophète vienne aujourd’hui annoncer cela à une Église. Serait-il entendu ? Que dirait-il aux autorités de l’Église orthodoxe russe qui légitiment la guerre en Ukraine ? Que dirait-il à des autorités des Églises d’Occident qui se taisent devant le militarisme exacerbé de l’OTAN ?  

Les Églises ont-elles encore le courage de condamner la guerre, comme en 1925 à la conférence œcuménique de Stockholm : « Nous appelons les Églises à partager avec nous notre sentiment d’horreur devant la guerre et sa futilité comme un moyen de régler les conflits internationaux ».

Un prophète ne dirait-il pas aujourd’hui comme au temps des prophètes d’Israël que l’obéissance est préférable à la prière. Si elle manque, les plus belles prières, la louange la plus puissante, la liturgie la plus magnifique provoquent une séparation plutôt qu’une communion avec Dieu.

Ne répèterait-il pas l’avertissement du prophète : « c’est l’amour qui me plaît, non le sacrifice ; et la connaissance de Dieu, je la préfère aux holocaustes ». (Osée 6,6)

Mais attention, il ne s’agit pas d’une critique du culte pour lui-même mais de sa déviation…Si le culte devient un acte extérieur et formaliste, s’il n’est pas l’expression d’un don de la personne, il est alors vain et même dangereux.

 

La responsabilité des chefs

Esaïe interpelle d’abord les responsables politiques et religieux de Jérusalem. Si le peuple est malade, c’est qu’il a été contaminé par ses élites responsables. C’est un thème constant chez les prophètes !

C’est pourquoi il faut prier pour les responsables, mais aussi les interpeller s’ils ferment les yeux sur les exigences de la justice.

Esaïe les appelle « chefs de Sodome » (1,10). Il attribue donc à Jérusalem les mêmes crimes qu’à Sodome. A savoir dans trois domaines principaux : la légitimation des dépravations sexuelles, l’orgueil et l’oubli de Dieu ainsi que le refus de prêter assistance au pauvre et à l’étranger

Ils ont « les mains pleines de sang » (v. 15), car ils refusent les revendications élémentaires de la justice, et se rendent alors complice du sang versé, et le sang crie vengeance.

Mais peut-être que l’image des mains ensanglantées est trop fort et ne nous touche pas vraiment. Alors parlons de la médisance qui est si courante. Elle est une arme mortelle : elle tue l’amour, elle tue la communauté, elle tue la fraternité. Pour ceux qui exercent l’autorité, la médisance sert à diviser, à se défendre, à frapper sans accuser directement. Seul le silence l’arrête !

 

Dix impératifs

Un culte bien compris prend au sérieux les exigences de la justice, le devoir de faire droit aux plus faibles, la veuve et l’orphelin. Le prophète demande aussi qu’on ne laisse pas impunis les pourvoyeurs de l’oppression. Mais pour cela, une véritable conversion est nécessaire. Se convertir, c’est se détourner de soi-même pour se tourner vers Dieu, dans la foi

Comment Esaïe s’y prend-il pour appeler à la conversion ? Il lance dix impératifs qui décrivent un itinéraire possible de transformation.

D’abord il appelle à l’écoute. Le verbe « écouter » est le plus fondamental de la foi biblique, puisque le premier et le plus grand commandement commence par « Écoute Israël » – « Shema Israël » (Deut. 6,4).

 « Écoutez la Parole du Seigneur » (v.10) proclame donc pour commencer Esaïe. Tous les problèmes viennent du fait qu’on n’écoute pas la Parole de Dieu et qu’on ne la met pas en pratique. Cela est une vérité permanente : au temps d’Esaïe, comme au temps de Jésus qui n’a cessé d’appeler à « écouter », comme aujourd’hui.

Puis Esaïe lâche quatre impératifs appelant à se transformer en changeant d’attitude intérieure, pour avoir une juste relation avec Dieu :

  • Lavez-vous
  • Purifiez-vous
  • Ôtez de ma vue vos actions mauvaises
  • Cessez de faire le mal !

Ensuite il utilise cinq autres impératifs qui appellent à se tourner vers son prochain dans la justice, en particulier vers les plus démunis

  • Apprenez à faire le bien
  • Recherchez la justice
  • Mettez au pas l’oppresseur
  • Rendez justice à l’orphelin
  • Défendez la veuve !

Ces impératifs sont des cris de l’âme du prophète pour appeler à une juste relation avec Dieu et à une juste relation avec son prochain. Ce cri de l’âme d’Esaïe est aussi le cri du cœur de Dieu appelant à fuir l’impiété (la mauvaise relation avec Dieu) et l’injustice (la mauvaise relation avec son prochain).

 

« Apprenez…recherchez »

Le thème de la Semaine de prière pour l’unité, je l’ai déjà dit est tiré de ces deux impératifs, « Apprenez à faire le bien ; recherchez la justice » (v. 17). Approfondissons-les un moment !

Esaïe n’appelle pas seulement à cesser de faire le mal, mais aussi et surtout à faire le bien et pratiquer la justice, surtout envers les plus faibles, symbolisés par « la veuve et l’orphelin » (v. 18)

« Que signifie apprendre à faire le bien ? Cela exige de nous mettre dans la disposition d’apprendre. Cela demande un effort de notre part. Dans notre marche quotidienne, nous avons toujours quelque chose à comprendre et à améliorer. « 

Nous pouvons aussi recommencer en cas d’erreur, car Dieu nous promet de nous rendre blancs comme neige si notre âme est couleur rouge sang, si nous l’écoutons et nous nous tournons vers lui dans une vraie repentance ! (v. 20)

« Que signifie rechercher la justice ? La justice est comme un trésor à rechercher, à désirer, elle est le but de notre action. Pratiquer la justice nous aide à apprendre à faire le bien. C’est savoir saisir la volonté de Dieu, qui est notre bien ».1

Cette invitation à s’engager, à faire le premier pas pour faire le bien et la justice rappelle la Règle d’or donnée par Jésus : « Tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux. » (Luc 6,31)

En donnant cette règle sous une forme positive – contrairement aux règles d’or que l’on rencontre dans les autres religions – Jésus apporte une révolution. Au lieu d’éviter simplement de faire aux autres ce qui nous déplairait, il s’agit de rechercher constamment le bien de notre prochain.

Voici une petite histoire que mon ami Matthias m’a raconté. J’ai participé avec lui à une rencontre oecuménique à Porto au Portugal, en novembre dernier. En marge de cette rencontre il a rencontré Felipe, un sans-abri dépendant de l’alcool. A un moment donné il a prié pour que celui-ci puisse se réconcilier avec sa fille. Mais son problème principal était qu’on lui avait volé son téléphone portable.  Matthias a eu alors la conviction que Dieu lui demandait de lui acheter un téléphone.

Le jour suivant, Matthias le rencontre à nouveau et lui dit qu’il avait quelque chose pour lui. Celui-ci lui demande : « C’est quoi ? Une Bible ? ». En recevant le téléphone, il n’en a pas cru ses yeux et a éclaté en sanglots et lui a dit : « Quel que soit le chemin sur lequel tu es, je veux aussi être sur ce chemin ! Comment puis-je faire partie de ta communauté ? » L’amour de Dieu avait touché son cœur.

Matthias lui a expliqué qu’il s’agit de suivre Jésus, et non lui. Il lui a donné l’adresse d’un membre de sa communauté qui avait créé un centre pour les sans-abris à Valence, en Espagne, et lui a aussi acheté un billet d’avion pour s’y rendre. Il y est depuis bientôt deux mois, luttant avec des hauts et des bas, contre sa dépendance.

« Cette histoire m’encourage à m’accrocher au bien et à continuer à vivre avec amour et confiance, même dans les situations désespérées », m’écrit Matthias.

 

Conclusion 

Le message du prophète Esaïe met en scène la contradiction entre la vie religieuse superficielle et la nécessité vitale de rechercher le bien et la justice auprès des plus faibles.

Ce passage éclaire une préoccupation majeure de ce prophète que résume ce célèbre passage : « Le jeûne tel que je l’aime, le voici, vous le savez bien, …c’est partager ton pain avec celui qui a faim, c’est ouvrir ta maison aux pauvres et aux déracinés, c’est fournir un vêtement à celui qui n’en a pas, c’est ne pas te détourner de celui qui est ton frère ». (58,6-7)

Alors que le culte constitue le moyen par excellence de la rencontre avec Dieu, le prophète le critique violemment lorsqu’il n’est pas accompagné de justice, de fraternité et de recherche de réconciliation.

Jésus est dans la droite ligne de cette exigence quand il appelle avant toutes choses à vivre en paix les uns avec les autres : « Supposons ceci : tu viens présenter ton offrande à Dieu sur l’autel. À ce moment-là, tu te souviens que ton frère ou ta sœur a quelque chose contre toi. Alors, laisse ton offrande à cet endroit, devant l’autel. Et va d’abord faire la paix avec ton frère ou ta sœur. Ensuite, reviens et présente ton offrande à Dieu. » (Mat 5,23-24)

L’apôtre Pierre y fait écho quand il écrit aux lecteurs de sa lettre : « Ayez avant tout un amour constant les uns pour les autres, car l’amour couvre une multitude de péchés » (1 Pierre 4,8). Cet « avant tout » implique que notre prière doit être habitée par un désir ardent de justice et relations avec tous, car sans amour, « je suis seulement une cloche qui sonne, une cymbale bruyante » (1 Cor 13,1).

Que nos cultes et nos prières soient donc nourris par l’engagement d’aller à la rencontre de tous, comme réponse à la grâce souvent surprenant de Dieu !

« Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés » (Mat 5,6).

 

Prière

Pour pratiquer la justice du Christ,

Viens Esprit saint !

Pour recevoir la paix du Christ,

Viens Esprit saint !

Pour déborder de la joie du Christ,

Viens Esprit saint !

Libère mon cœur de tout repliement !
Purifie mon esprit de toute souillure !
Guéris mon âme de toute blessure !

1 Parole de vie janvier 2023. https://www.parole-de-vie.fr/2022/12/janvier-2023-_-apprenez/


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