Pietro Perugino 040

« Marie, mère de l’Église et de l’unité » ?

Un cycle de conférence devait avoir lieu sur le thème « Marie, mère de l’unité », à partir de la fin du mois d’avril, à Lausanne. Mais celui-ci a été annulé, en raison de la crise provoquée par le Covid-19. J’espère qu’il aura lieu ultérieurement. Je devais apporter une réflexion en tant que protestant, avec une ouverture oecuménique. Voici, en primeur, quelques réflexions sur ce thème qui seront intégrées dans ma conférence que je publierai ultérieurement.

 

Dans l’Évangile de Jean

Marie comme « mère » spirituelle apparait surtout dans l’Evangile de Jean, où Jésus la donne à son disciple bien-aimé en lui disant « Voici ta mère ». Il est intéressant de voir que Jean situe la croix de Jésus en deux tableaux. Le premier montre quatre soldats romains avides de possession. Tournés vers la terre, ils se partagent les habits de Jésus et tirent au sort sa tunique. Le deuxième met en scène trois femmes tournées vers Jésus. Elles perdent celui pour qui elles ont tout quitté. A côté d’elle un homme, « le disciple que Jésus aimait » qui n’est jamais nommé et en qui chacun est appelé à se reconnaître.

Ces deux tableaux nous posent cette question : où te situes-tu ? Es-tu tourné vers la terre ou vers le ciel ? Dans l’épreuve regardes-tu à Jésus seul ou as-tu d’autres attachements ?

 

« Femme, voici ton fils…voici ta mère ! » (Jean 19,25-27)

Les sept Paroles de Jésus sur la croix contiennent tout l’Évangile. Elles sont une synthèse de la révélation. L’Évangile de Jean en relate trois, dont celle à sa mère et à son disciple bien-aimé.

Par ces paroles, Jésus les appelle à prendre soin l’un de l’autre. Ces deux, avec les deux autres femmes, symbolisent l’Église, lieu où l’on est tourné, à genoux, vers le Christ, et où l’on se tourne vers son prochain, les mains tendues vers lui pour vivre le commandement nouveau.

Avec le Christ nos crucifions notre égoïsme. Nous passons d’une vie centrée sur soi (symbolisée par les soldats) à une vie centrée sur Dieu et son prochain.

Le Ressuscité vient vivre en nous pour réaliser en nous ce décentrement et ce recentrement

 

Jésus ou Marie, mère de l’Eglise?

Comment comprendre le titre « Marie, mère de l’Église et de l’unité » ? Un titre qui n’est en général pas reçu dans le protestantisme et qui peut même provoquer des réactions assez fortes.

Ma réflexion a été stimulée par un passage du « Paradis de 1949 » de Chiara Lubich où elle parle de Jésus – et non de Marie – comme mère de l’Église (§§224-230) ! C’est lui qui engendre l’Église par sa croix et sa résurrection, son ascension et le don de l’Esprit. Tout s’enracine dans le mystère pascal. Il faut comprendre Marie à l’intérieur de ce mystère.

Le récit de Marie au pied de la croix de son Fils, en compagnie du disciple bien-aimé et des autres femmes nous l’enseigne. Marie ne doit jamais être isolée de Jésus et de l’Église, mais doit être située dans une hiérarchie de vérités, où le Christ est au centre.

C. Lubich compare aussi le « grand cri » de Jésus sur la croix (Mat 27,50) à celui de la mère qui met son enfant au monde. Dans son cri Jésus engendre l’Église. Dire que c’est d’abord Jésus, et non Marie, qui est « mère de l’unité» a, à mon sens, une profonde signification œcuménique.

C. Lubich m’a aussi conduit à comprendre la personne de Marie à travers le prisme du Ressuscité vivant au milieu de nous lequel est le cœur de sa spiritualité. A exercer la « compétence d’Emmaüs », à savoir tout relier au Christ parmi nous.

Jésus est comme une mère voulant rassembler ses enfants. On le voit dans ce passage de l’Évangile où Jésus parle de la poule qui réunit ses poussins (Luc 13,34).

La poule appelle, nourrit et protège ses poussins sous ses ailes avec un amour maternel protecteur. Ceux-ci trouvent en elle leur unité dans la diversité sous ses ailes.

Le Ressuscité parmi nous ne cesse d’appeler à l’unité, comme une mère qui veut l’unité de ses enfants.1

Marie a certainement joué un grand rôle dans la première Église, puisqu’elle prie au milieu des apôtres. Sous la croix de son fils, elle devient mère du disciple bien aimé, lequel représente chaque croyant appelé à se tenir à côté de Jésus.

 

Notre vocation de devenir « mères »

Marie est modèle de celui qui s’engage pour l’unité.

Comme Marie a mis Jésus au monde à Noël, notre vocation est d’engendrer spirituellement la présence du Christ au milieu de nous. En vivant sa parole et en faisant sa volonté, nous devenons « mères » du Christ : « Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère » (Marc 3,35). En ce sens notre vocation est « mariale ».

Comment engendrons-nous le Christ parmi nous ? C. Lubich insiste sur l’appel à vivre « en son nom » : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mat 18,20). Quand nous marchons en son nom, partageons son style de vie qui est synthétisé par le commandement nouveau, Jésus vient habiter au milieu de nous (Jean 14,23).  

Nous engendrons sa présence spirituellement parmi nous, comme Marie l’a engendré physiquement. Donc nous sommes aussi d’une certaine manière des « mères de l’unité ». La présence de Jésus parmi nous constitue l’Église dans son unité.

En résumé : Jésus seul est mère de l’Église et de l’unité. Mais en lui et par son Esprit, nous devenons nous aussi, avec Marie comme modèle, en quelque sorte « mères de l’unité ».

1 Voir le commentaire de Ioan Sauca sur ce texte en : Vers une catholicité œcuménique, Fribourg, Academic Press, 2013, p. 270s

Image : La cruxifion par le Pérugien


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