« Chrétiens en chemin vers l’unité »

Tel était le thème d’une rencontre œcuménique, du 9 au 13 mai organisée, à Castelgandolf près de Rome, par le mouvement des Focolari. 700 participants de 70 Eglises et de tous les continents : comme un beau choeur aux voix diverses  ! Ce choeur oecuménique hongrois le symbolise. J’y ai participé avec bonheur!

Le thème du pèlerinage vers l’unité, au cœur des actions du Conseil œcuménique des Eglises, est affirmé également par le pape François : « L’unité se fait en marchant », dit-il sans cesse. Une belle convergence que soulignent Maria Wienken et Diego Goller, les responsables du « Centro Uno » – le centre pour l’unité chrétienne de ce mouvement enraciné dans l’Eglise catholique, mais aux larges ouvertures œcuméniques !

Un dialogue de la vie

Durant ce congrès, nous avons entendu de nombreux témoins, qui ont dit comment ils ont été « convertis » à la recherche de la pleine unité entre Eglises, souvent à travers d’événements douloureux, en particulier l’impossibilité d’une eucharistie pleinement partagée.

Par exemple, une anglicane raconte ses nombreux préjugés contre les catholiques. En entendant Chiara Lubich à Canterbury, il y a 40 ans, elle a compris combien nous sommes petits et que Dieu nous aime tous de la même manière. « Je devais ouvrir mon coeur pour perdre mes préjugés qui bloquent l’action de Dieu. Pas de réconciliation possible sans apprendre à me vider de moi-même, sur le modèle de l’humilité de Jésus »

L’accent durant cette rencontre a été mis sur la spiritualité vécue. « C’est un dialogue de la vie, affirme Maria Wienken, un dialogue qui se base sur l’art d’aimer et reconnaît tout un patrimoine commun. Un dialogue qui n’exclut pas les autres dialogues. Au contraire il les dynamise ; en cela il est signe d’espérance pour toutes les Eglises ».

Chaque journée a commencé par une méditation sur une « Parole de vie » biblique. Celle du premier jour m’a particulièrement touché. Elle est apportée par le pasteur réformé anglais Martin Smith, sur l’injonction paulinienne « Accueillez-vous les uns les autres, comme le Christ vous a accueilli les uns les autres » (Romains 15,7).

Le dialogue de la vie suit un chemin non de confrontation, mais d’accueil. En le suivant nous livrons la bataille la plus dure, celle contre nous-mêmes. Il nous fait découvrir une autre vie. Au lieu de rester entre nous, nous allons vers les autres pour partager l’amour que Jésus nous a donné.

Ce dialogue a un secret. Celui que Chiara Lubich et les Focolari appellent « Jésus abandonné ».

Le secret de l’unité

« L’amour pour Jésus crucifié et abandonné est le motif de l’entrée du mouvement des Focolari dans le mouvement œcuménique », explique Joan Back, qui a écrit une thèse sur l’œcuménisme des Focolari. Jésus abandonné est, en effet, un paradigme pour le dialogue œcuménique. Chiara le répétait sans cesse : « Une spiritualité œcuménique ne portera du fruit que dans la mesure où elle voit en Jésus abandonné, la clé pour comprendre toute désunité et pour rétablir l’unité ».

Le crucifié, ajoute J. Back, est « l’emblème de l’œcuménisme et un modèle divin pour recomposer la pleine communion ». Dans son dépouillement il nous appelle à la conversion et à ne pas fuir la souffrance causée par les divisions. Bref, il est le style de vie des Focolari.

Le théologien catholique Hubertus Blaumeister explique que Jésus abandonné ne réalise pas l’unité de l’humanité par le haut, mais par le bas, en servant. Il laisse la place à l’autre et ouvre au dialogue, c’est ce Dieu que l’humanité attend aujourd’hui. « C’est cet amour abandonné que Chiara a voulu aimer. Il s’est montré à elle comme clé pour réaliser l’unité. Sans lui, ce chemin vers l’unité n’existerait pas ».  

Martin Robra, théologien protestant travaillant au Conseil œcuménique, reconnaît la fécondité de cette spiritualité : « Celui qui adhère à Jésus abandonné ne peut plus accepter les séparations, les stéréotypes ou les exclusions. Si nous regardons à lui, nous verrons plus clairement où Dieu veut nous conduire. »

Pour le P. Augustinos Bairactaris, un théologien grec orthodoxe de Crète, Jésus abandonné est une fenêtre sur la Trinité. Il est la pierre d’angle de l’Eglise et la maintient dans l’unité et la diversité.   

Les salutations envoyées par le Patriarche Bartholomée, de Constantinople, le Cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens et le pasteur Olav Tveit, secrétaire général du Conseil œcuménique des Eglises, illustrent la fécondité de ce charisme né de cet amour envers le « Crucifié œcuménique », comme le disait Chiara .

« Le chemin vers l’unité a un nom, écrit le cardinal Koch : Jésus abandonné qui est la clé de l’unité. Plus nous avançons vers lui dans notre chemin, plus nous nous rapprocherons aussi dans l’unité entre nous ».

Olav Tveit lui fait écho en rappelant l’intuition d’une des premières conférences œcuméniques, celle de Stockholm en 1925, que le charisme de Chiara souligne : « Plus nous nous rapprochons de la croix du Christ, plus nous nous rapprochons les uns des autres ». (Lire ici sa salutation)

« Chiara Lubich était animée d’un profond désir d’unité, l’unité du corps du Christ, la réconciliation des chrétiens dans la communion des Eglises…L’œuvre du Christ dans le monde est une œuvre de réconciliation qui va au-delà des religions, car elle relie horizontalement et verticalement le Créateur et la créature », dit Bartholomée.

Plusieurs témoignages racontent comment la découverte de Jésus abandonné a donné la lumière et la vraie révolution, celle de l’amour. Par exemple dans la guerre au Liban, dans les troubles actuels du Venezuela, dans des difficultés vécues à l’intérieur de l’Eglise en Suisse. « Je suis bouleversée par le message de Chiara sur Jesus abandonné. J’ai besoin de méditer et espère rentrer avec une réponse, grâce à la prière », m’a confié Émilienne qui découvrait sa spiritualité. 

Les 500 ans de la Réforme

Une partie de la rencontre fut consacrée à la signification des 500 ans de la réformation. Pour la première fois cet anniversaire a été vécu de manière oecuménique et non polémique. La cérémonie de Lund en Suède, le 31 octobre 2016, où le pape François a été invité par la Fédération luthérienne mondiale, a été un moment fort.  

La prière où François a demandé à l’Esprit saint d’accueillir les richesses de la Réforme et à l’Eglise catholique de se repentir, a particulièrement touché. « En Suède nous sentons qu’il y a un avant et après Lund. Notre prière s’est intensifiée », dit une membre luthérienne des Focolari.

L’évêque luthérien Christian Krause, ancien président de la Fédération luthérienne mondiale, qui a signé en 1999 la Déclaration conjointe sur la justification par la foi, pense qu’un nouveau modèle oecuménique est né à Lund, non plus déterminé par des structures ecclésiales, mais par les vérités fondamentales de la foi. L’appel à la repentance de Martin Luther est-il encore entendu aujourd’hui? Sans conversion au Christ l’unité reste une chose superficielle. 

Il souligne l’importance des « cinq impératifs œcuméniques » du document de dialogue luthéro-catholique « Du conflit à la communion », en particulier l’appel à partir non de la division, mais de la perspective de l’unité. « Le charisme de l’unité porté par les Focolari nous concentre aussi sur les trésors de l’unité. Il nous donne de respirer profondément ».

Dans sa brève mais intense allocution, Maria Voce, présidente du Mouvement, a repris ces « cinq impératifs oecuméniques » qui sont à vivre, selon elles, entre tous les chrétiens : a) Partir du point de vue de l’unité. b) Se laisser transformer par la rencontre de l’autre. c) S’engager à nouveau à rechercher l’unité visible et tendre vers ce but.  d) Redécouvrir la puissance de l’Evangile. e) Ensemble témoigner de la grâce de Dieu en l’annonçant et en nous mettant au service des autres.   

La place me manque pour développer ces points. Je me limiterai au commentaire du premier impératif. D’après Chiara Lubich Jésus nous enseigne deux choses : Dieu-amour est Père et il nous appelle à considérer chaque personne comme aimée de lui. « Il faut toujours repartir de ce point fondamental. Le baptême nous unit dans l’unique corps du Christ. En sommes-nous conscients ? »

Au début de cette année, dans la foulée de la rencontre de Lund, le mouvement des Focolari a publié la Déclaration d’Ottmaring, qui réaffirme sa volonté de vivre et travailler pour l’unité chrétienne : « Si nous ne pouvons donner un témoignage d’unité, le monde ne pourra rencontrer Dieu ». 

Martin Robra résume bien l’étape du pèlerinage vers l’unité dans lequel nous sommes : « La signature de la Déclaration sur la justification par la foi à Augsbourg, a été la redécouverte d’un patrimoine commun. Désormais nous sommes devenus responsables ensemble pour le passé et l’avenir. Lund a été un kairos, un signe de Dieu pour nous engager à servir ensemble l’humanité. La Déclaration d’Ottmaring nous y appelle ». 

Le dialogue, un style de vie

Pour avancer dans ce pèlerinage œcuménique, une spiritualité de communion est nécessaire. Pour Jesus Moran, co-président des Focolari, une telle spiritualité favorise un vrai dialogue : « Souvent on n’entre pas dans un dialogue car on manque de silence et d’écoute. On porte une valise pleine de préjugés, qui ne passe pas au contrôle. Ce manque de silence intérieur nous parasite. Se faire un profondément est une chose essentielle pour que nos dialogues puissent être constructifs ».

Jésus n’a fait que cela, dit le théologien orthodoxe roumain Vasile Stanciu. « Il nous enseigne le primat de l’amour dans le dialogue. Il est venu pour servir. Le suivre, c’est refuser d’être le premier. La primauté de l’amour permet d’approfondir les problèmes les plus difficiles entre Eglises ».  

Un bel exemple de dialogue a été celui entre le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras. L’évêque de Rome, alors qu’il était « le premier » a fait le premier pas en visitant celui de Constantinople. Un vrai rapport d’amitié est alors né. « Nous voulions nous rencontrer…et nous avons rencontré le Seigneur ». Le métropolite Gennadios, du Patriarcat de Constantinople en Italie, a montré comment l’amitié entre Chiara Lubich et Athénagoras – ils se sont rencontrés 27 fois ! – a été un pont entre ces deux grands évêques.

Dès lors une autre atmosphère spirituelle règne entre ces deux Eglises. Elle doit envahir toutes les Eglises. Très applaudi, Mgr Brian Farrel, secrétaire du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, affirme avec conviction : « Les Eglises doivent s’aimer les unes les autres. Nous voulons nous efforcer de travailler dans cette direction… Une ecclésiologie de communion n’est pas possible sans une spiritualité de communion, la contribution de Chiara et des focolari est sur ce point décisive ».

Quel est le message de ce congrès, se demande Maria Voce ? « Ensemble nous pouvons continuer à avancer, car la communion entre nous est déjà réelle. Si Dieu veut l’unité, elle se fera. A nous de collaborer avec lui. Centrons-nous sur le Christ, sur Jésus abandonné et repartons toujours de l’Evangile, comme C. Lubich l’a toujours fait ! »

Qu’est-ce qui m’a touché personnellement ? La rencontre avec le pape François sur la place sur Pierre : il a médité sur le récit de Jésus sur la croix entouré de sa mère et du disciple bien-aimé, en présentant Marie comme femme de l’espérance et de l’attente. Deux vertus œcuméniques essentielles pour avancer dans le pèlerinage d’unité !

La vie liturgique de la rencontre était aussi riche. J’ai participé à des saintes cènes réformée, luthérienne et anglicane et à des vêpres orthodoxes dans la basilique Saint Paul hors les murs.

Certes, c’est une douleur de ne pouvoir communier pleinement entre toutes les Eglises. Mais en disant « là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux », Jésus n’a pas limité sa présence à l’eucharistie. Dans cette rencontre, elle était si forte que la communion entre nous était bien réelle. Et dans son abandon, il a assumé toutes les douleurs, aussi les divisions de l’Eglise et celle de l’impossibilité actuelle d’une pleine communion eucharistique. Ceci est source de grande espérance ! 

Une célébration œcuménique, dans les catacombes de Saint Sébastien, nous a rappelé que cet Evangile a été vécu par les premiers chrétiens et les martyrs. Ils nous invitent à vivre, suer, travailler et nous donner « pour que tous soient un afin que le monde croie » (Jean 17,21)

Choix de photos de la rencontre 


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