Le mont. Sortie culte

L’Eglise-communion et le renouveau de la paroisse

Au centre des recherches sur la nature et la mission de l’Eglise se trouve la notion d’Eglise-communion. L’ecclésiologie de communion fut le thème de la cinquième conférence de « Foi et Constitution.[1]. Elle est aussi « l’idée centrale du Concile Vatican II »

Cette étude propose un parcours à travers les écrits des Pères de l’Eglise, des réformateurs et de la théologie oecuménique contemporaine. Il invite à approfondir une « spiritualité de communion » pour renouveler la paroisse, lieu premier où vivre la communion. Elle se veut une contribution à la réflexion de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud (EERV) sur le renouveau de la vie communautaire (voir le site tremplin.old.eerv.ch)

Le défi d’une Eglise multitudiniste.

Je retiens de la matinée sur la spiritualité et la communauté organisée par l’EERV, le 5 octobre dernier, l’affirmation du sociologue Philippe Gonzalez que le grand enjeu pour une Eglise multitudiniste est de créer la communauté. Je souligne aussi l’affirmation du pasteur Pierre Bader : « la communauté est la brique de base avec laquelle Dieu construit son Eglise ». Les efforts de réformes de ces dernières années ne doivent pas nous le faire oublier. « Dieu est communauté (trinité), ajoute-t-il;  notre source est une communauté, comment alors la vie chrétienne serait-elle autre chose que communauté ? »

J’adhère pleinement à cette ecclésiologie. Ailleurs sur ce site, j’ai écrit un autre article où j’affirmais que le renouveau de la paroisse se trouve dans une communion de petites communautés. Pour répondre au besoin de relations interpersonnelles dans la liberté, le défi est de créer la communauté fraternelle en son sein. Comment ? En créant des petites communautés où chacun peut partager sa vie à la lumière de l’Evangile.

Encourager la formation de ces petites communautés fraternelles, les reconnaître, les nourrir, les relier les unes aux autres,  voilà la grande tâche de l’Eglise d’aujourd’hui.  La paroisse de demain sera une communion de petites communautés. Et la célébration dominicale, avec en son centre le repas du Seigneur, sera l’expression plus large de cette communion. (voir l’article ici)

Je voudrais dans les lignes qui suivent approfondir une ecclésiologie de communion, qui puise aux sources bibliques, patristiques, réformatrices et à la théologie œcuménique contemporaine.

Je crois en l’Eglise…

Je crois en l’Eglise une…, dit le Symbole de Nicée-Constantinople. Que l’Eglise soit unité, charité, communion, n’est en soi pas une nouveauté. En donnant le commandement nouveau et son testament dans la prière pour l’unité (Jean 17), Jésus a conçu l’Eglise ainsi. De même Paul compare l’Eglise à un corps : au corps du Christ dont les membres sont liés les uns aux autres par la charité (1 Cor.12-14). La première communauté en était consciente et cherchait  la communion spirituelle et matérielle :

« Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières…Tous ceux qui étaient devenus croyants étaient unis et mettaient tout en commun…Unanimes, ils se rendaient chaque jour assidûment au temple ; ils rompaient le pain à domicile, prenant leur nourriture dans l’allégresse et la simplicité de coeur. » (Ac.2.42-47).

Chez les Pères et les Réformateurs

On retrouve cette idée chez les Pères de l’Eglise:

« Le Christ…nous a commandé de n’avoir qu’un coeur et qu’une âme, il nous a recommandé de garder intacts et de ne pas violer les liens de l’amour et de la charité », dit Cyprien[2]

Augustin écrivait: « Comme les différents grains, mis ensemble et mélangés pour ainsi dire les uns aux autres dans la pâte, forment un pain, de même à travers l’harmonie de l’amour naît un corps du Christ. »[3]

Les réformateurs du 16e siècle se situent dans cette ligne quand ils définissent l’Eglise par rapport au Christ et à sa Parole, non d’abord en fonction du cadre structurel ou confessionnel. Pour Luther, l’Eglise est la communion des croyants : « elle se compose de tous ceux qui, sur la terre, vivent dans la vraie foi, l’espérance et l’amour, en sorte que l’essence, la vie et la nature de la chrétienté n’est pas d’être une assemblée des corps, mais la réunion des cœurs dans une même foi…Même si ses membres vivent à mille lieues les uns des autres, ils forment quand même une communauté spirituelle, car ils enseignent, croient, espèrent, aiment et vivent les uns comme les autres… Cette communion spirituelle suffit entièrement à créer une chrétienté. Sans elle, l’entente sur des choses extérieures n’en crée pas une. »[4]

Pour Martin Bucer,  la vraie Eglise est « une communauté où règnent la Parole et les sacrements, l’amour et la discipline. »[5]   Inspirée par la Parole et les sacrements, c’est en pratiquant la charité que l’Eglise fait progresser le règne du Christ, elle est «le lieu où vivre autrement en vivant pour les autres. »[6] « Formons tous en Christ une vraie communion, écrit-il ailleurs, afin d’être son vrai corps et, en lui, membres les uns des autres. Soyons la vraie communauté de Sa Parole, des sacrements et la discipline chrétienne, en témoignant à nos frère dans la foi et à tout homme la sollicitude et d’aide dont ils ont besoin, tant matériellement que spirituellement. »[7]

Zwingli donne cette définition lapidaire : « L’Eglise est là où l’on s’attache à la Parole de Dieu et où l’on vit le Christ. »[8] Pour lui, La Sainte Cène est le lieu par excellence qui nous rappelle ce que signifie « vivre le Christ » : « Nous mangeons le corps et le sang du Christ pour que nous donnions notre vie pour les frères, de la même manière que Christ l’a fait librement pour nous. » [9]

C’est aussi la pensée de Jean Calvin quand, au début de son ministère à Genève, il plaide en faveur de la célébration fréquente de la Cène: « Il serait bien à désirer que la communication de la sainte Cène de Jésus-Christ fût tous les dimanches pour le moins en usage, quand l’église est assemblée en multitude, vu la grande consolation que les fidèles en reçoivent et le fruit qui en procède en toute manière, tant pour les promesses qui sont là présentées en notre foi – c’est que vraiment nous sommes faits participants du corps et du sang de Jésus, de sa mort, de sa vie, de son Esprit et de tous ses biens – que pour les exhortations qui nous y sont faites à reconnaître et à magnifier par confession de louanges les merveilleuses choses, grâces de Dieu sur nous, finalement à vivre chrétiennement, étant conjoints ensemble en bonne paix et unité fraternelle, comme membres d’un même corps. »[10]

Dans la théologie œcuménique contemporaine

L’Eglise a toujours été « communion», mais aujourd’hui on le souligne avec force, et nous voyons dans cette convergence un don de l’Esprit Saint, le « lien de l’unité », dont le charisme par excellence est la charité. (1 Cor. 13)

Donnons donc la parole à quelques théologiens de diverses confessions, qui illustrent cette convergence. Aux Eglises issues de la Réforme, Marc Boegner adressait cet appel à retrouver le secret de leur vocation primordiale: « être, dans l’obéissance de l’amour, des communautés  authentiquement chrétiennes où Jésus-Christ devienne en vérité le secret de notre vie. Pour aller au monde, y affirmer une présence qui soit vraiment un apostolat, un témoignage et un service chrétiens, nous devons être des chrétiens rayonnant de sainteté et d’amour à l’image de Celui dont nous nous prétendons les disciples. Pour avancer vers ce but, nos Eglises comprendront-elles qu’aujourd’hui aucun problème doctrinal ou ecclésial, de diaconie ou de mission, ne peut se poser ni trouver sa solution que dans la dimension oecuménique voulue, et peu à peu consentie par toutes les Eglises chrétiennes et que ce sera plus vrai encore dans les décennies à venir?[11]

L’appel de ce grand oecuméniste à être des chrétiens cohérents au coeur des Eglises nous semble plus actuel que jamais. Tout comme de souligner l’importance de la dimension œcuménique.

Le thème de la « communion» (Koinonia), « le plus prometteur de la théologie contemporaine oecuménique, riche d’expériences contemplatives et de relations humaines très étroites. Aucun thème ne semble mieux à même d’insuffler une vie nouvelle à la recherche de l’unité visible », déclare Mary Tanner, à l’ouverture de la cinquième Conférence de Foi et Constitution.

Elle ajoute, enracinant la communion ecclésiale dans la vie divine: « La koinonia détourne notre attention de nos divisions pour la diriger vers l’échange de dons de vie et d’amour qui a lieu entre les personnes de la sainte Trinité. Cette vie mystérieuse de communion divine se caractérise par la place prééminente qu’y occupent les facteurs personnels et relationnels; la multiplicité y est enclose de manière si parfaite qu’il n’y plus de séparation, mais en même temps, l’unité s’enrichit de cette multiplicité, si bien qu’elle ne se transforme jamais en uniformité stérile. C’est une communion au coeur de laquelle il y a la croix, une communion dynamique, qui ne cesse d’envoyer et d’être envoyée, de tendre sans cesse la main aux autres pour les englober dans sa propre vie. »[12]

Dans la perspective orthodoxe l’ecclésiologie de communion, d’une importance fondamentale, est enracinée dans la vie trinitaire, qui lui sert de modèle et d’exemple.  « La communion, dit Jean Zizoulias lors de la même conférence, ne dérive pas de l’expérience sociologique, ni de l’éthique. Nous ne sommes pas appelés à la communion parce que cela est « bon » pour nous ou pour l’Eglise, mais parce que nous croyons en un Dieu qui est dans son être même communion…La doctrine de la Trinité acquiert en ce cas une signification décisive: Dieu est trinitaire; il est un être relationnel par définition; un Dieu non-trinitaire n’est pas communion en son être même. L’Ecclésiologie doit être basée sur une théologie trinitaire si elle veut être une ecclésiologie de communion. »[13]

Grâce au mouvement œcuménique, comme jamais dans l’histoire, les Eglises ont pu se rencontrer, échanger leurs dons, tracer des chemins de communion. Dans une des interventions d’ouverture à l’Assemblée oecuménique de Graz, le cardinal C. M. Martini, récemment décédé, déclarait : « Nous sommes ici, ensemble, pour vivre le mystère de l’Eglise, de l’oecumène chrétienne appelée à la communion, à une plus parfaite unité, à une plus profonde réconciliation, afin que le monde croie et vive dans la paix et dans la justice. Nous sommes ici pour vivre ensemble le fait d’être Eglise, une réalité qui nous lie les uns aux autres et qui nous fait un dans le Christ Jésus (Gal. 3.28). »

La paroisse, un géant endormi

Or un lieu privilégié où vivre ce mystère de l’Eglise est la paroisse.  » Nous portons dans nos racines cette réalité de Dieu qui est « communion »… C’est ainsi que naît l’Eglise dans chaque paroisse. Dans chaque paroisse, l’Eglise a en elle ce mystère de Dieu qui est communion…parce qu’il est Amour, » écrit Jean-Paul II » [14]

Ailleurs, il écrit : « Tout en ayant une dimension universelle, la communion ecclésiale trouve son expression la plus immédiate et la plus visible dans la paroisse…  La vocation et la mission originelles (de la paroisse, c’est) d’être dans le monde le lieu de la communion des croyants, et tout à la fois le signe et l’instrument de la vocation de tous à la communion. »[15]

La paroisse est donc d’abord la famille de Dieu, avant d’être une structure ; un organisme avant d’être une organisation. Mais cela ne doit pas rester un idéal: il s’agit de s’efforcer de faire de la paroisse cette famille. Pour cela elle doit clairement se renouveler. Nous avons à redécouvrir le vrai visage de la paroisse.

Une paroisse qui s’ouvre aux chrétiens des autres Eglises sur son territoire. Dans notre monde fragmenté, nous avons à donner des signes de « catholicité », en vivant la communion dans la vie, le service, le culte et le témoignage avec les autres Eglises. L’Eglise catholique d’abord, majoritaire depuis peu dans le canton, sans oublier les autres Eglises, en particulier les communautés issues de la migration. L’étude récente sur la catholicité de la Communauté des Eglises chrétiennes dans le canton de Vaud nous y invite. Là aussi, la paroisse est le lieu le plus immédiat pour vivre cette ouverture œcuménique.

Comment renouveler la paroisse, ce «géant endormi », cette « fontaine de village où tout le monde peut venir étancher sa soif »? Certes ses structures doivent être adaptées. On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres. Mais encore faut-il produire ce vin; c’est l’amour qui crée la structure, et non l’inverse. L’amour réciproque nous pousse à approfondir la vie communautaire, reflet de la vie trinitaire et créera les structures adéquates. Réformer l’Eglise signifie d’abord une action spirituelle: « C’est, écrit Gabriel Widmer,  se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu et lui obéir, et non pas se limiter à amender l’administration de l’Eglise et à améliorer son fonctionnement…Seule l’action de la Parole de Dieu, à travers la prédication fidèle de l’Evangile, peut effectivement et efficacement transformer l’Eglise dans sa tête et dans ses membres, et peut la réformer fondamentalement. »[16]  Pour que la paroisse redevienne une fontaine jaillissante, il faut surtout un renouvellement spirituel en vivant plus consciemment une spiritualité de communion. A ce propos le Conseil Œcuménique des Eglises et d’autres organisations œcuméniques sont en recherche d’une telle spiritualité, car vivre la communion dans l’Eglise est d’abord un état d’esprit.

Une spiritualité de communion pour renouveler la communauté

Voici trois points de cette spiritualité de communion[17]:

1. Tout d’abord Dieu-Amour.

« L’amour consiste en ceci: non pas en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et envoyé son Fils. » (I Jean 4.10). Par son amour, Dieu est proche de tous et aime passionnément chacun. Tous les cheveux de notre tête sont connus de lui, nous sommes entourés de son amour. Notre monde a besoin d’entendre que Dieu nous aime à ce point : c’est aujourd’hui le point le plus important à annoncer

La réponse à la première question du Catéchisme de Heidelberg, qui  exprime admirablement cette confiance du chrétien en Dieu-Amour: « Quelle est ton unique consolation dans la vie et dans la mort ? – C’est que de corps et d’âme, tant dans la vie que dans la mort (Rm 14.7-8), j’appartiens, non pas à moi-même (1 Co 6.9), mais à Jésus-Christ, mon fidèle Sauveur (1 Co 3.23) »…[18]

Si « Dieu a tant aimé de monde, qu’il a donné son Fils unique … », cela signifie qu’un dessein d’amour existe pour chacun de nous. Quand nous rencontrons des personnes qui souffrent, des enfants innocents et meurtris, nous devons nous rappeler la croix de Jésus. Où était l’amour du Père quand Jésus a crié : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? »  Ce cri ne contient-il pas tous les cris de détresse depuis Abel? En réalité Dieu avait un merveilleux dessein sur Jésus, qui par sa mort et sa résurrection, a ouvert le ciel à tous ceux qui le suivraient. Après le cri de vendredi saint, il y a l’Alleluia pascal.

Un océan d’amour, voilà qui est ce Dieu révélé par la croix de son Fils, comme l’écrit Isaac le Syrien: « En comparaison de la providence et de la miséricorde de Dieu, les fautes de tous les hommes ne sont qu’une poignée de sable dans l’immensité de l’océan. Et, de même qu’un peu de terre ne suffit pas à interrompre une source impétueuse, ainsi la miséricorde du créateur ne peut être arrêtée par la méchanceté des créatures. »[19]

Ce printemps, j’ai participé à un congrès où l’on a demandé au pasteur Rick Warren comment il encouragerait une paroisse où seulement une vingtaine de personnes âgées participent au culte. Le début de sa réponse rejoint ce premier point : « Vous devez d’abord être sûr de l’amour de Dieu pour vous. Personne ne nous aimera comme Jésus. C’est ici qu’il faut commencer dans le ministère : se savoir aimé par Dieu. C’est le début de tout renouveau. Dieu n’a jamais créé quelque chose qu’il n’aime pas. Dieu est amour, c’est l’essence de son caractère. Un réveil spirituel commence par la redécouverte de l’amour de Dieu. Le double commandement d’amour. Ce sont les Eglises qui aiment qui grandissent. Les gens cherchent l’amour, pas les programmes, ni les grandes prédications. C’est l’amour qui attire ».

2. Répondre à l’Amour de Dieu en faisant sa volonté. 

« Et nous, nous connaissons l’amour que Dieu a pour nous et nous y croyons. » (I Jean 4.17). A Dieu qui aime chacun de nous immensément, nous répondons en aimant, par une foi active dans la charité. Cette foi en l’amour de Dieu est « une ferme et certaine connaissance de la bonne volonté de Dieu envers nous, laquelle étant fondée sur la promesse gratuite donnée en Jésus-Christ est révélée à notre entendement, et scellée dans notre cœur par le Saint Esprit, » écrit Jean Calvin.[20]

Par la foi, nous sommes une petite flamme de cet immense brasier d’amour : une lumière qui reflète la lumière. Dieu nous a fait avec la capacité de l’aimer, de le chercher : « C’est le désir de lui-même que Dieu a déposé dans le cœur de l’homme », dit Maxime le Confesseur[21]

Comment refléter cette lumière d’Amour ? En faisant la volonté de Dieu. Le chemin de sanctification du chrétien consiste dans le fait de rendre conforme sa volonté à celle de Dieu. « Devant Dieu il fait beaucoup celui qui capable de peu, fait sa sainte volonté », écrit Jean Bosco.[22]

En outre Jésus demande que l’on vive le présent. Il fait demander au Père le pain, mais pour aujourd’hui seulement et dit qu’à « chaque jour suffit sa peine ». Aujourd’hui nous est donné pour recommencer toujours à nouveau pour conformer notre vie à la volonté de Dieu. C’est ce qu’enseignait Athanase, à partir de la vie d’Antoine : « Lui-même ne se souvenait pas du temps passé, mais jour après jour, comme s’il débutait dans l’ascèse, il renforçait ses efforts pour progresser, en se répétant continuellement le mot de Saint Paul : « Oubliant ce qui est derrière moi, et tendu de tout mon être vers ce qui est en avant » (Phil. 3.13-14). Il se souvenait  aussi de la parole du prophète Elie : « Le Seigneur est vivant, devant lequel je me tiens aujourd’hui ».[23]

3. L’élan vers le  frère et la soeur: « Mes amis, si c’est ainsi que Dieu nous a aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres. » (I Jean 4.11) Si la relation que Dieu a envers nous est une relation d’amour, le rapport que nous, créés à son image, aurons avec lui, et les uns avec les autres, sera une relation semblable. Nous serons des imitateurs de Dieu :   « Dieu est miséricorde pour tous, dit Origène, si nous désirons être ses enfants, nous devons l’imiter en faisant du bien à tous les hommes ».[24]

Dans le sommaire de la Loi, après avoir parlé de l’amour pour Dieu, Jésus parle des relations des personnes entre elles. L’Evangile de Jean utilise deux mots pour les caractériser : aimer et servir. Ces deux termes décrivent l’attitude caractéristique des chrétiens.

Aimer à la manière de Jésus, qui, étant Dieu s’est fait homme par amour et a « vécu l’autre ». L’amour chrétien se vit sur modèle de l’incarnation. C’est, «se faire faible avec les faibles, se faire tout à tous » (1 Cor. 9.22), se faire un avec l’autre, « devenir l’autre » d’une certaine manière, en s’intéressant profondément à lui comme Jésus s’est approché de tous, concrètement, en guérissant des malades, en lavant les pieds de ses disciples.

Face aux chrétiens divisés de Corinthe, Paul n’a voulu connaître que « Jésus Christ et Jésus Christ crucifié »  (1 Cor. 2). En effet Jésus a aimé jusqu’au bout: il incarne cet amour chanté par Paul dans son hymne (1 Cor. 13). Par amour pour nous, Jésus a connu sur la croix la plus grande division – en criant son abandon par le Père – pour réaliser l’unité: il est la clé de la communion.

Aimer et servir selon ce modèle de Jésus crucifié apporte la présence du Christ au milieu de nos paroisses, car cet amour engendre la présence de Jésus au milieu de nous : « là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux », nous promet Jésus (Mat. 18.20).

C’est cette présence de Jésus parmi les chrétiens qui renouvelle la paroisse, la fait rayonner et lui donne son dynamisme apostolique, comme aux premiers temps de l’Eglise.

Parmi les Pères orientaux, on citera en particulier les cappadociens, Basile de Césarée et Grégoire de Naziance. Tous deux ont insisté sur l’amour effectif envers les frères dans une communauté, la mise en pratique du commandement nouveau étant la marque du chrétien : « L’homme, animal apprivoisé et sociable (koinonikon), n’est ni solitaire(monastikon), ni sauvage …  Jésus n’a pas voulu qu’on cherchât la marque de ses disciples dans les prodiges ou des oeuvres extraordinaires, bien qu’ils en eussent reçu le don de l’Esprit Saint. Mais que dit-il ?  « On reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous vous aimez les uns les autres ».[25]

En Occident, S. Augustin, fera de l’amour réciproque le coeur de sa règle : « Avant tout, vivez tendus vers Dieu. N’est-ce pas la raison même de votre rassemblement?… Vivez tous dans l’unité des coeurs et des âmes et honorez les uns dans les autres ce Dieu dont vous êtes devenus les temples …  L’amour entre vous ne doit pas être de cette terre, mais venir du Saint Esprit … Que le Seigneur vous accorde la grâce d’observer tous ces préceptes avec amour, comme des amants de la beauté spirituelle, répandant par votre vie la bonne odeur du Christ ».[26]

Comment susciter la communion ?

Quels sont les moyens spirituels, qui suscitent la communion ? A la lumière du récit de la multiplication des pains en Marc 6, j’en mentionnerai trois :

La Parole de Dieu : « Jésus fut pris de pitié pour eux parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger, et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses » (v.34),

La Sainte Cène : «Ils mangèrent tous et furent rassasiés » (v.41)

Et le ministère : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (v.36).

1. La Parole de Dieu

La Parole de Dieu vécue et partagée suscite et approfondit la vie de la communauté. Ses fruits sont innombrables : elle rend libre (Jean 8.32); elle procure joie, paix, bonheur. Elle opère des conversions et renouvelle les personnes, elle nous unit à Dieu et les uns aux autres, etc.

La Parole est la semence de la communauté, elle la crée. Une seule Parole mise en pratique par ceux qui la reçoivent suffirait à la renouveler.[27] Comme le destin du grain est de mourir pour donner vie à l’arbre, celui de la Parole est d’être assimilée par les personnes pour donner vie à l’Eglise.

S. Jérôme pouvait ainsi écrire : « La prédication de l’Evangile est la plus petite de toutes les doctrines. Au premier abord, aucune vraisemblance dans cet enseignement qui prêche un Dieu homme, un Christ mort et le scandale de la Croix. Compare pareille doctrine aux systèmes des philosophes, à leurs livres, à la splendeur de leur éloquence, à leur style harmonieux, et tu verras combien la graine du semeur de l’Evangile est plus petite que les autres.

Mais les autres, quand elles ont poussé, ne montrent aucune vigueur, aucune vie, aucune vitalité. Flasque, flétri, sans force, le tout ne produit que des plantes potagères et des herbes bientôt desséchées jonchant la terre, tandis que notre prédication, apparemment chétive à ses débuts, une fois semée dans l’âme du croyant ou dans le monde entier, ne pousse pas en plantes potagères, mais grandit pour devenir un arbre ».[28]

Pour que fleurisse la communion, il ne suffit pas d’étudier et de vivre la Parole chacun pour son compte. Mettre en commun les expériences utiles, la lumière, les bénédictions que nous en retirons, approfondit la vie de la communauté et, en retour, donne une meilleure compréhension de la Parole. Maxime de Turin dit à ce propos : « La nature de la parole spirituelle est telle que, quand elle est mise en pratique, il en résulte un bienfait réciproque, une fraîcheur nouvelle tant pour celui qui écoute que pour celui qui parle »[29]

Bernard de Clairvaux va dans le même sens dans ce passage : « Parmi vous frères, je trouve vraiment des oreilles pour entendre …  Et même, je l’avoue, il m’arrive, en vous parlant, de percevoir la ferveur de votre attention. En effet, plus vous recherchez dans son abondance le lait de la parole (1 P. 2.2), plus la puissance de l’Esprit saint me remplit de ce lait; de même il me donne ce que je vous propose dans la mesure où vous buvez plus rapidement ce qui vous est offert ».[30]

Les méthodes d’animation bibliques en paroisse mettent aujourd’hui l’accent sur la découverte communautaire du texte.[31]  On souligne aussi la valeur de l’expérience en cherchant à mettre la Parole en relation avec le quotidien afin de faire peu à peu pénétrer l’Evangile dans la vie jusqu’à en transformer les mentalités, les manières de penser et d’agir. En communiquant à d’autres les expériences vécues la vie circule, l’amour réciproque augmente, provoquant en retour une lumière plus profonde sur l’Ecriture et une décision renouvelée de la mettre en pratique.

Quelques graines semées par le divin Semeur suffisent  afin que s’approfondisse la communion fraternelle. De diverses manières on réactualise aujourd’hui la longue tradition de la « Lectio divina », où la « rumination» de la Parole par chacun suscite l’union des coeurs de tous, quand la joie et la vie sont partagées.[32]

2. La Sainte Cène.

Dans la prière eucharistique, nous disons à Dieu : « Nous te demandons qu’en ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps ».

Lien d’unité, la Cène nous unit à Dieu et les uns avec les autres. Elle nous donne le corps du Christ et fait de nous son corps. Le vocabulaire est révélateur de ce que la Cène réalise : nous l’appelons aussi la « Communion ».

Voilà ce qu’elle est avant tout : pas seulement une nourriture spirituelle pour la chrétien individuel, mais un lien d’unité.

Unité d’abord avec le Christ. Jésus dit : « Celui qui mange ma chair demeure en moi et moi en lui » (Jean 6.55). Jésus, le pain de vie, en nous donnant son corps et son sang à travers le pain et le vin, nous fait participer à sa vie. Selon les Pères de l’Eglise, nous devenons de la même chair et du même sang que lui, de sorte que nous consituons une famille de frères et soeurs, d’une certaine manière « co-sanguins » avec le Christ. Ainsi, Cyrille de Jérusalem : « Car sous la figure du pain t’est donné le corps et sous la figure du vin t’est donné le sang, afin que tu deviennes, en ayant participé au corps et au sang du Christ, un seul corps et un seul sang avec le Christ ».[33]

Le deuxième effet de l’Eucharistie est de créer l’unité entre nous : nous devenons membres les uns des autres, un seul corps dans le Christ (1 Cor. 10.17). Ainsi la Cène construit l’Eglise comme véritable famille des enfants de Dieu. Jésus l’a instituée avant de prier pour l’unité. Il nous faut donc prendre davantage conscience de ce qu’est le Repas du Seigneur et du don qui y est fait pour alimenter et développer  la communion.

3. Le ministère.

Pour que s’édifie le peuple de Dieu, Jésus a institué dans son Eglise des ministères variés qui tendent au bien de tout le corps. Les ministères, reçus et reconnus par l’Eglise, sont un don du Christ pour maintenir ou susciter l’unité et la paix dans l’Eglise. (Eph. 4, 11-13).  Le ministère signifie le Christ, vrai pasteur et serviteur.

Selon ce grand texte, les ministres consacrés (dans notre Eglise, les pasteurs et les diacres) ne doivent pas monopoliser le ministère de l’Eglise, mais ils sont aux jointures afin d’encourager l’engagement, le service et la responsabilité de chaque baptisé.

La Confession helvétique postérieure dit au sujet du ministère : « Dieu a toujours usé de Ministres et en use encore aujourd’hui, et usera tant qu’il y aura Eglise sur terre, pour se recueillir et établir une Eglise et la gouverner et conserver. Et pourtant l’origine des Ministres et leur institution est très ancienne, établie de Dieu même, et non point par quelque nouvelle ordonnance inventée des hommes. Il est vrai que Dieu, usant de sa puissance, pourrait, sans aucun moyen, se choisir une Eglise entre les hommes : mais il a mieux aimé traiter avec les hommes en se servant des hommes. Pourtant faut-il avoir égard aux Ministres, non pas simplement comme étant Ministres : mais comme étant Ministres de Dieu, par lesquels il amène les hommes au salut ».[34]

Si tels sont les « Ministres de Dieu », si en les écoutant, on écoute le Christ (Luc 10.16), quelles relations avoir avec eux?  Puisque l’Eglise est avant tout communion, où les chrétiens sont frères et soeurs d’une famille nouvelle, la relation avec les ministres est, en somme la même que celle qui doit exister entre les baptisés : cordialité et amour réciproque à renouveler toujours.

Augustin, qui a insisté sur ce point, disait : « Ils peuvent bien tous se signer de la Croix du Christ, tous répondre Amen, tous chanter : Alléluia, être tous baptisés, entrer dans les Eglises, bâtir les murs des basiliques, les fils de Dieu ne se distinguent des fils du diable que par la charité. Ceux qui ont la charité sont nés de Dieu : ceux qui ne l’ont pas ne sont pas nés de Dieu. Là est le grand signe, le grand principe de discernement. « Aie tout ce que tu voudras : si cela seul te manque, le reste ne te sert à rien; mais si tout le reste te manque et que tu aies la charité, tu as accompli la Loi».[35]

Entre ministres, l’important est aussi cette relation de communion. Qu’elle soit maintenue vivante, d’une manière effective et affective, entre collègues et que rien ne soit décidé sans conseil commun. C’est la règle que s’était fixée Cyprien de Carthage au moment où il accédait à l’épiscopat: « Dès le début, écrit-il à ses frères dans le ministère, je me suis donné une règle, celle de ne rien décider sans votre conseil et sans le suffrage du peuple ».[36]

Et qu’avec ceux qui ont un ministère d’autorité, donc d’unité dans l’Eglise la cordialité des ministres soit encore plus chaleureuse et toujours plus profonde : « Ayez pour eux la plus haute estime, avec amour, en raison de leur travail. » (I Thess. 5.13)

L’œuvre de l’Esprit saint

Demandons à l’Esprit Saint de nous éclairer. Lui qui est le lien de la communion entre le Père et le Fils, il nous lie aussi les uns aux autres. Ecoutons sa voix en nous et au milieu de nous quand nous sommes rassemblés dans le nom de Jésus. Si nous sommes une communauté, qui sert et aime Jésus, nous percevrons la Voix et le Souffle du Christ, qui renouvelle toutes choses et la paroisse en particulier.

« Si je n’ai l’amour, je ne suis rien », chante l’hymne de Paul à la charité. Or l’amour est le plus grand des charismes, que l’Esprit saint répand dans nos coeurs pour nous faire participer à la vie de communion en Dieu. C’est un charisme universel, offert à tous. Donc vivre l’Eglise communion est une vocation universelle. Tous sont appelés à la vivre aujourd’hui.

Vivre la communion doit renouveler notre prière à l’Esprit saint, sans lequel l’Eglise n’est rien, comme l’écrivait le patriarche oecuménique Athénagoras : « Sans l’Esprit saint, Dieu est lointain, le Christ demeure du passé, l’Evangile est lettre morte, l’Eglise une simple organisation, l’autorité une domination, la mission de la propagande, le culte n’est qu’une évocation et l’agir de l’homme une morale d’esclave. Mais avec l’Esprit saint, le Christ est présent, l’Evangile est la mission trinitaire, l’autorité un service libérateur, la mission une Pentecôte, la liturgie un mémorial et une anticipation, l’action de l’homme devient liturgie divine. » [37]

Que l’Esprit Saint verse en nous l’Amour de Dieu et qu’il vienne en aide à notre faiblesse!

Une prière pour recommencer dans nos vies, dans l’Eglise et dans le monde.



[1] Exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici, 19

[2] Liber de Unitate Ecclesiae, XIV (PL 4,526B, 527A)

[3] Sermones post Maurinos reperti, 462ss (Ed. Morin, 1930)

[4] Traité de la Papauté, en H. Strohl, , La pensée de la Réforme.  Neuchâtel, 1951, p. 177

[5] Traité de la cure d’âme. En H. Strohl. Op. cit. p. 199.

[6]  Cf. G. Hamman: La Revue réformée, 1997/1, p.80.

[7] Traité de la cure d’âme. En G. Hamman, Entre la secte et la cité. Le projet d’Eglise de Martin Bucer. Genève, 1984, p. 5

[8] H. Zwingli : « Wir sind Gottes Handgeschirr.»Stuttgart, p. 70.

[9] H. Zwingli, Commentaire de la Cène, 1525.

[10] Articles de 1537, En: Calvin, Homme d’Eglise, Genève, 1936, p. 3.

[11] Marc Boegner: L’exigence oecuménique, Albin Michel, Paris, 1968, p.315.

[12] Mary Tanner: The Tasks of the World Conference in the Perspective of the Future, en: On the way to fullest Koinonia. (Ed. G. Gassmann, T. Best. WCC, Genève, 1994, p. 24)

[13] John Zizoulias: The Church as communion. (On the way to fullest Koinonia, 104)

[14] Discours au clergé de Rome. 1 mars 1990. (Osservatore Romano, 4.3.1990)

[15] Christifideles laici, 26

[16] En Confessions et catéchismes de la Foi réformée. Genève, Labor et Fides, 1986, p. 8

[17] On lira avec profit le livre de Chiara Lubich, Une spiritualité de communion. Nouvelle Cité, Montrouoge, 2004

[18] Catéchisme de Heidelberg, en: Confessions et catéchisme de la Foi réformée. p. 135.

[19] Traités ascétiques, 58; en: I Touraille, Isaac le Syrien, Oeuvres spirituelles, Paris, 1981

[20] Institution de la religion chrétienne, II,2,7.

[21] Ambigruorum Liber, PG. 91, 1312AB

[22] J. Aubry, Jean Bosco, Ecrits spirituels, Paris, 1979, p. 334.

[23]  Vie d’Antoine, SC. 400, Paris 1994, p. 155

[24]  Homelia in Math. 10, PG 13,23C; Contra Celsu, 4,28, PG 11,28D

[25] Basile de Césarée, Grandes Règles, cf. Connaissance des Pères de l’Eglise, no. 65/1997, p. 35

[26]  Règle de S. Augustin 1.2, 8; 6.3; 8.1, cf. Les règles monastiques, Connaissance des Pères de l’Eglise, 67/1997, p. 23

[27] Cf. Fabio Ciardi : «Toute parole de vie contient le Verbe », en: «Voyage Trinitaire », Nouvelle Cite, Paris, 1996, p.87ss

[28]  In Matth. PL 26,93 A-C.

[29] Sermo 105 PL 57,740D

[30] Sermons pour l’année, Septuagésime 1.2, Brepols et Taizé 1990, p. 239

[31] Cf. les Assises de l‘Animation biblique tenues à S. Maurice (Suisse) en juin 1997.

[32] Pour une brève et pertinente présentation de la « Lectio divina », cf. « La parole ruminée », textes recueillis pas R. Girard, Paris, Cerf, 1997.

[33] Catéchèses Mystagogiques, IV, 3. SC. 126, p. 137.

[34] En: Confession et catéchismes de la Foi réformée. p. 263

[35] Comment. de la 1ère épitre de Jean, SC. 75, p. 261

[36] Lettres 14,4, vol. I, Belles Lettres, Paris, 1962

[37] En: Aforismi e citazioni cristiane, Dizionari Piemme, 1994, p. 196

[38] D’après Nouvelle Cité no. 389, mai 1996 : « Paroisse : quelle vitalité ! », p. 2

Photo: A la sortie du culte au Mont-sur-Lausanne


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