Bateau oecumenique

Le moteur de la spiritualité de Jean Calvin : le Saint Esprit

Nous avons parcouru trois chemins de la spiritualité de Calvin. Pour répondre à l’amour de Dieu de tout son cœur (son axe), mettre Dieu à la première place en se quittant soi-même et faisant sa volonté (sa ligne directrice), et pour que le Christ vivant s’empare de nous par sa Parole (son contenu), il faut une force intérieure qui nous mette en mouvement. Le moteur de la vie spirituelle, l’Esprit saint est le quatrième chemin de la spiritualité calvinienne.

 

Le terme même de « spiritualité » vient du latin spiritus, esprit. Une vraie spiritualité chrétienne est animée par l’Esprit saint. Voyons brièvement comment Calvin comprend son œuvre !

Après avoir animé la vie de Jésus, l’Esprit, « la seule fontaine dont toutes les richesses célestes découlent en nous », devient le moteur de la vie du chrétien (ce nom indique qu’il participe à l’onction du Christ). Par sa présence en nous, nous ne sommes plus guidés par nos égoïsmes, mais « gouvernés par son mouvement et opération, de telle sorte que s’il y a quelque bien en nous, ce n’est seulement que du fruit de sa grâce » (IC 3,1,3)

L’Esprit nous unit au Christ

Sans l’Esprit saint, le Christ nous reste lointain. Tout ce qu’on dit de lui nous semble spéculations et sans lien avec nos vies.[1] L’œuvre principale de l’Esprit est donc de nous unir au Christ : il est « comme le lien par lequel le Fils de Dieu nous unit à soi avec efficace » (IC 3,1,1). On est loin ici de la froideur rationnelle qu’on a pu reprocher à Calvin. En effet, l’Esprit saint est expérimenté avec nos sens. Il nous fait « sentir la vertu de notre Seigneur Jésus ».[2]

La foi est son chef d’œuvre.

Le Saint Esprit crée avant tout la foi en Jésus-Christ. Certes, pour Calvin, il agit aussi dans le cœur de tous les hommes, parce qu’il soutient toutes choses par sa Grâce commune qui s’étend à toutes les créatures à l’image de Dieu, afin de mettre des limites à la propagation du mal.[3] On a ici un argument sérieux pour souligner l’apport positif des autres religions dans le dialogue interreligieux.

Mais c’est surtout dans la vie de ceux qui croient au Christ qu’il agit en appelant, justifiant, renouvelant, sanctifiant… Et c’est lui qui crée cette foi, « son principal chef d’œuvre ». Dès lors il est « le maître intérieur, par le moyen duquel la promesse du salut entre en nous et transperce nos âmes…On peut l’appeler la clef, par laquelle les trésors du royaume des cieux nous sont ouverts, et son illumination peut être nommée la vue de nos âmes ». (IC 3,1,4)

Dieu donne le Saint Esprit à qui bon lui semble et c’est un grand mystère, reconnaît Calvin. Se référant à S. Augustin, il s’écrie « Pourquoi appelle-t-il l’un et non pas l’autre ? Cela est trop haut pour moi : c’est un abîme, c’est une profondité de la croix. Je me peux écrier en admiration, je ne le peux montrer par dispute ». (IC 3,2,35) Mais il faut prier sans se lasser pour que Dieu accorde cette grâce à tous nos compagnons de route. (IC 3,20,21)

Calvin insiste tellement sur cette œuvre de l’Esprit saint de créer la foi, qu’il relativise ses autres manifestations. S’il y a eu les guérisons, le parler en langue, les prophéties, les miracles aux temps apostoliques, ce n’est plus ainsi que l’Esprit saint agit aujourd’hui. On comprend la difficulté qu’ont eues les Eglises réformées à accueillir la grâce du Renouveau charismatique ![4]

Il éclaire la Parole et la scelle dans le cœur.

Laissé à ses seules lumières, l’être humain se perd et ne peut accéder à la vérité. C’est le pessimisme calvinien. Mais la bonne nouvelle est que l’Esprit saint vient lui-même éclairer son intelligence. « La Parole nue ne profite de rien sans l’illumination  Saint Esprit » (3,2,33)

Ce « témoignage intérieur du Saint Esprit » est non seulement nécessaire dans notre intelligence mais aussi dans notre cœur. Pour que le cœur puisse se donner à Dieu « prompt et sincère », il faut l’action secrète de l’Esprit saint qui l’enflamme. Il est «le cachet intérieur qui scelle la vérité de Dieu en nos cœurs » (3,2,35). L’image du sceau ou du cachet qui scelle dans nos cœurs la vérité de l’Evangile est chère à Calvin.[5] Sans l’Esprit saint dans nos cœurs, tout nous reste extérieur : la Parole de Dieu et les sacrements « battraient seulement aux oreilles, et se présenteraient aux yeux mais ne pénétreraient point le dedans » (IC 4,14,9).

A nouveau, nous voyons combien la spiritualité de Calvin est « cordiale », comme l’indique le symbolisme de son sceau que nous avons découvert sur le premier chemin.

 

L’Esprit saint agit dans l’Eglise

La spiritualité de Calvin est ecclésiale. C’est dans l’Eglise qui est son œuvre que l’Esprit saint agit. Sans la présence du Saint Esprit, « il n’y a nulle chrétienté ». (IC 3,2,39) « Sans sa direction et conduite l’Eglise ne peut subsister ». (IC 4,19,6) L’Eglise est une « école du Saint Esprit », sans lequel on ne peut ni comprendre ni annoncer la Parole. (IC 3, 21,3)

Le chrétien vivra donc sa vie spirituelle de manière communautaire. Bien qu’il ait accentué la liberté chrétienne et le caractère personnel de la foi, Calvin ne se reconnaitrait pas dans l’individualisme moderne

 Calvin appelle donc à la communion fréquente au corps et au sang  du Christ, car il sait que dans la sainte cène l’Esprit saint « incite et enflamme à charité, paix et union » (IC 4,17,38). C’est dans l’Eglise qui est « mère des croyants » que l’Esprit saint conçoit, enfante, allaite et conduit le chrétien (IC 4,1,4)

C’est en confessant la foi, en partageant avec d’autres la Parole, en recevant les sacrements et en vivant dans l’amour réciproque que le chrétien fera l’expérience de l’Esprit saint sanctificateur.

L’Eglise est une « société de Christ », où les saints « doivent mutuellement se communiquer entre eux tous les dons qui leur sont conférés de Dieu ». (IC 4,1,3). Ces dons, l’Esprit saint les répand de manière diversifiée sur les membres du Corps du Christ, afin de les lier les uns aux autres et qu’ils forment la « communion des saints ». [6]

L’unité de l’Eglise est la responsabilité de tous, un bien précieux à garder, affirme la Confession de Foi de la Rochelle rédigée par Calvin. [7] Chacun a reçu un don pour y contribuer. Et c’est une volonté de Dieu qu’il y ait des charismes divers.[8] Le chrétien ne doit pas désirer avoir tous les dons et les charismes que l’on a reçu doivent être consacrés au bien commun de l’Eglise.

Tous les charismes doivent circuler dans l’Eglise.[9] Mais le plus grand charisme, c’est la charité. C’est elle qui construit la « Société du Christ » où l’Esprit saint habite.[10] Elle donne la « patience de s’entre-écouter » sur les sujets sensibles dans la vie de l’Eglise.[11] Elle porte au pardon : au lieu de « s’entre-mordre », les chrétiens doivent se pardonner et « s’entr’aimer ».[12]


[1] Jésus-Christ nous est comme oisif (inutile), jusqu’à ce que nous le conjoignions avec son Esprit pour nous y adresser (conduire) : parce que sans ce bien nous ne faisons que regarder Jésus-Christ de loin et hors de sens, comme d’une froide spéculation » (IC 3,1,3)

[2] Catéchisme de l’Eglise de Genève (1545). Question 91. Confessions et Catéchismes de la Réforme, op. cit, p. 47. Le passage le plus concis sur l’œuvre de l’Esprit se trouve dans cette même réponse : « Le Saint Esprit, habitant en nos cœurs, nous fait sentir la vertu de notre Seigneur Jésus (Rom 5,5). Car il nous illumine pour nous faire connaître ses grâces ; il les scelle et imprime en nos âmes et leur donne lieu en nous (Eph 1,13). Il nous régénère et fait nouvelles créatures (Tite 3,5), tellement que, par son moyen, nous recevons tous les biens et dons qui nous sont offerts en Jésus-Christ ». 

[3] « La beauté du monde telle qu’on la voit maintenant ne se pourrait maintenir en état sans la vertu de l’Esprit » (IC 1,13,14)

[4] « Bien que nous ne le recevions par pour parler divers langages et pour être prophètes ou pour guérir les malades, ni pour faire des miracles, le Saint Esprit nous est donné toutefois pour un usage plus excellent, à savoir que nous croyions de cœur à la justification (Rom 10,10), que nos langues soient formées à faire vraie confession, que nous passions de la mort à la vie (Jean 5,24), que nous qui sommes vides de tous les biens, nous soyons enrichis et que nous demeurions invincibles contre Satan et le monde ». Commentaire des Actes des Apôtres, 2,38. (Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament. Paris, Ch. Meyrueis, 1854-1855)

[5] « Si la Parole de Dieu voltige seulement au cerveau, elle n’est point encore reçue par la foi. Mais sa vraie réception, c’est quand elle a pris racine au profond du cœur, pour être une forteresse invincible à soutenir et repousser tous les assauts des tentations…Le Saint Esprit sert comme d’un sceau, pour sceller en nos cœurs les mêmes promesses qu’il a premièrement imprimées en notre entendement » (IC 3,2,36)

[6] Dès ses premiers commentaires de l’article sur l’Eglise dans le Symbole des apôtres, c’est ainsi qu’il comprend la communion des saints « Les mots communion des saints expliquent encore plus clairement ce qu’est l’Eglise : la communion des fidèles est telle que lorsque l’un d’eux a reçu de Dieu quelque don, tous en sont faits participants, bien que, par la dispensation de Dieu, ce don soit plus particulièrement donné à l’un qu’aux autres, comme les membres d’un même corps, dans leur unité, participent entre eux à toutes les choses qu’ils ont, encore que chacun ait ses dons particuliers et que leurs fonctions soient diverses. Brève Instruction chrétienne, Paris, Les Bergers et les Mages, sd (1538), p. 49s

[7] « Nous croyons que nul ne doit se tenir à l’écart et se contenter de sa personne, mais que tous les fidèles doivent, ensemble, garder et maintenir l’unité de l’Eglise, en se soumettant à l’enseignement commun et au joug de Jésus-Christ ». Confession de foi de la Rochelle, 1559, Art. 26

[8] « La différence et la diversité des dons n’a point été mise par la volonté et la disposition des hommes, mais c’est parce qu’il a plu au Seigneur de dispenser de cette manière sa grâce »Commentaire de l’Epître aux Romains 12,6. Commentaires de J. Calvin sur le NT, Tome IV. Kerygma, Aix-en-Provence, 1978, p. 292 (1539)

[9] « Il faut que toutes les grâces soient communiquées entre les membres du corps du Christ. Donc, plus chacun est confirmé en Christ, plus il est tenu de supporter les faibles ». Commentaire de l’Epître aux Romains 15,1. Commentaires de J. Calvin sur le NT, Tome IV. Kerygma, Aix-en-Provence, 1978, p. 331 (1539)

[10] Commentaire de la 1ère Epître de Pierre 2,5. Commentaires de J. Calvin sur le NT, Tome VIII,2. Kerygma, Aix-en-Provence, 1992, p. 107 (1551)

[11] Petit Traité de la Sainte Cène (1541). En La vraie piété,  Labor et Fides, Genève, 1986, p. 151

[12] Commentaire de la 1ère Epître de Pierre 4,8 Commentaires de J. Calvin sur le NT, Tome VIII,2. Kerygma, Aix-en-Provence, 1992, p. 149 (1551)


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