sceau de Calvin

L’axe de la spiritualité de Jean Calvin

Jean Calvin, réformateur de la deuxième génération (né en 1509, 25 ans après Luther), formé en droit à Orléans et aux Belles Lettres à Paris, entre en contact avec les Humanistes en 1531, mais aussi avec la pensée de Luther. A l’écoute d’un sermon sur la première Béatitude prononcé par Nicolas Cop, le recteur de la Sorbonne, influencé par les idées réformatrices, Calvin a fait une profonde expérience.

Contrairement à Luther qui s’épanchait sur sa vie, Il est resté discret sur cette subita conversio ad docilitatem,[1] comme il la décrira sobrement par la suite.

Conversion subie ou subite ? Ce moment est devenu sans doute l’axe spirituel de sa vie. Il décide alors de sortir du bois et d’adhérer au mouvement luthérien et de « ranger son cœur à la docilité et de se donner à la vraie piété ». Comment caractériser cette expérience ? Le mot « amour de Dieu » vient à l’esprit…ou un de ses synonymes. Au début de son chemin, Calvin utilise « affection de Dieu ». Et à la fin « merci de Dieu ».

Dans la première édition de son Institution de la Religion chrétienne – publiée en 1535 (il est jeune, 26 ans !) à Bâle où il a dû fuir – il explique qu’il désire aider ceux qui ont fait la même expérience que lui. Il écrit pour « enseigner quelques rudiments, par lesquels ceux qui seraient touchés de quelque bonne affection de Dieu fussent instruits à la vraie piété ».[2]

A l’autre bout de son parcours, dans son testament, il confesse en 1563 : « (Dieu) a étendu vers moi sa merci jusque-là de se servir de moi et de mon labeur pour porter et annoncer la vérité de son Evangile ».[3] Calvin a été visité un jour par un Dieu qu’il a reconnu comme amour ; cette visite l’a marqué à jamais. Toute sa réflexion théologique et sa spiritualité en découlent.

« Prompt et sincère »

Cette visite s’est faite à travers l’annonce de l’Evangile : la béatitude de la pauvreté du cœur prêchée par Nicolas Cop ; ici s’enracine la passion de Calvin pour la Parole de Dieu. Cette visite a été accompagnée par sa réponse : il a cru en l’amour de Dieu et lui a « offert son cœur »

Le sceau de Calvin représente en effet une main tendue tenant un cœur avec la devise « prompt et sincère ». Son mot d’ordre est « Cor meum tibi offero Domine, prompte et sincere » – « Je t’offre mon cœur, Seigneur, prompt et sincère ».

Offrir son cœur à quelqu’un est une déclaration d’amour. Pour Calvin, la foi est donc un amour exclusif pour Dieu. C’est exposer son cœur aux rayons de l’amour divin pour qu’il s’enflamme. « Prompt » indique la disposition de l’esprit qui répond sans remettre à plus tard, sans hésitation. La juxtaposition « prompt et sincère » se trouve chez Tertullien, Thomas d’Aquin, Catherine de Sienne pour décrire soit la pénitence, soit l’obéissance à Dieu.

La réponse de Calvin à l’amour de Dieu veut être radicale : une offrande de son cœur. Il décide de mettre Dieu désormais en premier dans sa vie, de lui appartenir et de lui soumettre sa volonté.

Tout cela apparaît dans une lettre à Guillaume Farel de 1541 quand celui-ci lui écrit que le sénat veut le rappeler à Genève de son exil strasbourgeois. Calvin, après un moment d’hésitation, se souvient de son offrande et la redit d’une manière impressionnante : « Si j’avais le choix, je préférerais faire n’importe quoi, plutôt que de t’obéir, mais comme je me rappelais que je ne m’appartiens pas, j’offre mon cœur en sacrifice, offert au Seigneur. (…) Je soumets donc mon cœur, lié et enchaîné, en obéissance à Dieu : et en quittant mon propre jugement, je me mets à disposition de ceux dont j’espère que c’est Dieu même qui parle à travers eux ».[4]

Pour Calvin, la foi est donc davantage confiance que connaissance. Le cœur doit être touché avant le cerveau. L’expérience éclaire l’intelligence. La vraie théologie n’est pas une science théorique, mais pratique. C’est le cœur, le centre de la personnalité qui répond à l’amour de Dieu : « l’assentiment que nous donnons à Dieu est au cœur plutôt qu’au cerveau, et d’affection plutôt que d’intelligence ».[5]

« Le lieu propre de la « philosophie du Christ » est le cœur de la personne…Dans le cœur la personne trouve son unité existentielle. Tout y est intégré. Il est le centre de tout son agir, soit qu’il fasse le bien ou le mal. Ici la personne est interpellée par Dieu et répond à son interpellation. Le cœur est le lieu où la personne connaît Dieu et le monde immédiatement, par l’expérience même, » écrit Vercruysse.[6]

Si l’Evangile de la justification par grâce en Jésus Christ doit être annoncé sans relâche et si sa doctrine doit être exposée et défendue méthodiquement, il faut avant tout qu’il entre dans notre cœur pour le transformer par l’action du Saint Esprit. C’est le « cœur nouveau » annoncé par le prophète (Ez 36,26) qui est le contenu de l’Evangile.[7]


[1] Corpus Reformatorum. Ioannis Calvini opera quae supersunt omnia. 1887, (abrégé en CR) 31,22

[2] Institution de la Religion chrétienne (abrégée en IC), Lettre au Roi, p. XXI

[3] Théodore de Bèze, Vita Calvini, CR 21,162

[4] CR 11,100

[5] IC 3,2,8

[6] J. Vercruysse (SJ), Nous ne sommes point nostres. La spiritualité de Jean Calvin. Gregorianum 69 (2, 1988), p. 285

[7] « Car ce n’est pas une doctrine de langue que l’Évangile, mais de vie ; il ne doit pas seulement comprendre d’entendement et mémoire, comme les autres disciplines, mais il doit posséder entièrement l’âme, et avoir son siège et réceptacle au profond du cœur: autrement, il n’est pas bien reçu. (…) Nous avons bien donné le premier lieu à la doctrine en matière de religion, d’autant qu’elle est le commencement de notre salut ; mais il faut aussi que pour nous être utile et fructueuse, elle entre entièrement au-dedans du cœur, et montre sa vertu en notre vie: voire même qu’elle nous transforme en sa nature ». IC 3,6,4


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