Crucifie

Vendredi saint 2020 : paroles de passion

Pour ce Vendredi saint, je propose de méditer les paroles de Jésus dans sa passion. Dans la situation extraordinnaire que vit une grande partie de l’humanité, nous avons besoin de paroles fortes, essentielles. Les sept dernières paroles de Jésus sont comme son testament. Elles apportent force et encouragement dans cette vallée obscure.

Je les mets aussi en lien avec la « parole de l’année » de la communauté de Saint Loup : « Je suis crucifié avec Christ, et ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi » (Gal 2,20)

Je propose deux méditations entrecoupées de prières. Dans l’évangile de Luc, Jésus dit une parole sur son chemin de croix et quatre autres du haut de sa croix. Dans les évangiles de Matthieu et de Marc, il n’y a qu’une seule parole, celle de son abandon. Quant à Jean, il a gardé le souvenir de trois paroles.

 

I. Les paroles de passion dans les évangiles synoptiques

 

« Si l’on traite ainsi l’arbre vert, qu’en sera-t-il de l’arbre sec » ? (Luc 23,31)

Quel est cet « arbre vert » qui donne du fruit en son temps, sinon celui en qui vit la Parole (Psaume 1) ? Celui qui est la Parole est l’arbre de vie du Paradis qui symbolise la communion avec Dieu. Cet arbre de vie verdoyant, c’est Jésus par qui nous sommes réconciliés avec Dieu. Par lui nous entrons à nouveau dans le Paradis.

Dans le temple de Jérusalem le chandelier à sept branches symbolise un arbre de vie stylisé. Mais le vrai chandelier, c’est le Christ. Le faire vivre en nous, être uni à lui, voici le secret de la Vie. Sans lui, le bois reste sec, stérile, doit être coupé et jeté au feu (Jean 15,1ss ; Luc 3,9). En lui il y a communion, sans lui jugement.

Jésus, arbre de vie,

Bois vert qui a été coupé,

Tu es ressuscité

Et sous ton ombrage,

Tu appelles chacun !

Viens et enracine-moi

Dans ton amour !

                                                    

« Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23,34)

Dans cette première parole sur la croix Jésus est médiateur entre le ciel et la terre. Il s’adresse au Père céleste en intercédant pour l’humanité. Il aime son Père de tout son cœur, de toutes ses forces et de toute sa pensée et il aime son prochain comme lui-même.

Jésus vit dans cette parole le double commandement d’amour – amour de Dieu et du prochain- dans lequel il voit une synthèse de tout ce que Dieu attend de nous : « c’est la loi et les prophètes » (Mat 22,40).

Le pardon est une haute expression de l’amour. Par Jésus nous sommes rendus capables de le donner. Unis à lui, ce n’est plus l’esprit de vengeance, mais l’esprit de miséricorde qui vit en nous.

Jésus, donne-nous de contempler longuement cet amour

qui t’a poussé à pardonner jusqu’à l’extrême

à ceux qui t’ont fait tant de mal.

Donne-nous de nous rendre proches des autres,

pas à pas, petit à petit, en recommençant toujours

quand nous nous replions sur nous-mêmes.

 

Alors nous deviendrons aussi tes amis

et amis les uns les autres.

Ton amitié n’a pas de frontière :

tu l’offres à tous sans limites.

 

« Jésus, souviens-toi de moi dans ton règne » ! (Luc 23,42)

Les deux brigands crucifiés à côté de Jésus ont littéralement vécu la parole de Paul : « Je suis crucifié avec Christ » ! Ils représentent deux attitudes face à Jésus : celui qui se détourne de lui et celui que la souffrance ouvre à lui.

« Jésus, souviens-toi de moi dans ton règne » : c’est une des plus belles prières de l’Évangile, à redire sans cesse, maintenant et à l’heure de notre mort. C’est le Christ en nous qui la suscite.

Seigneur, tu me sauves et me libères.

Tu es pour moi un abri sûr,

Un secours toujours prêt dans l’épreuve.

Je m’arrête, je fais silence.

Tu es mon seul Dieu. 

Je me tourne vers toi 

Et avec le brigand sur la croix je te dis :

Jésus, souviens-toi de moi 

Quand tu viendras dans ton royaume ! 

 

« Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23,43)

Sur la croix Jésus est un homme qui va mourir, mais il est aussi Dieu qui ne meurt pas. Au brigand qui l’invoque il dit que rien, ni la mort, ni aucune puissance ne pourra désormais le séparer de lui. Il lui appartient. Après son dernier souffle cet homme rendu juste se trouvera immédiatement en présence du Christ, vrai Dieu acclamé par les anges et les esprits des justes.

Ce lien s’établit entre nous et le Christ lorsque nous nous tournons vers lui. Il vit en nous. Il nous fait entrer en Dieu, dans le paradis, c’est-à-dire dans une communion avec lui que rien ne pourra briser. Le paradis c’est lui en nous et au milieu de nous.

Avec le brigand, tu m’appelles par l’Évangile

à ne pas me décourager et à prier sans cesse. 

Comment renouveler ma vie de prière et reprendre cœur ?

Comment approfondir ma confiance ?

Tu me poses cette question : es-tu encore dans la foi ?

Veux-tu continuer jusqu’au bout ?

 

Dans le silence je perçois ta réponse : 

« Tiens-toi près de ma croix,

Où j’ai aimé jusqu’à l’extrême,

Où j’ai pardonné,

Où j’ai ouvert la porte du paradis,

Où j’ai accompli toute justice,

Où j’ai vécu toutes les Béatitudes,

Où j’ai remis l’Esprit au Père, qui te le redonne maintenant !

Pour que tu reprennes courage,

Pour que tu restes dans la confiance,

Pour que ta vie entière soit prière » ! 

 

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » ? (Mat 27,46; Marc 15,34)

La passion de Jésus est une impressionnante descente vers la solitude. Peu à peu il perd toutes ses relations. Les soldats romains l’injurient et le frappent. Ses disciples sont dispersés. Au pied de la croix il n’y a que son disciple bien-aimé, sa mère et deux autres femmes. Mais il les perd aussi.

Il ne lui reste plus que sa relation avec son Père. Mais alors que le ciel s’obscurcit et qu’il perd tout, à un moment donné, sa relation avec Dieu s’obscurcit aussi. Quel profond mystère ! Comment comprendre cette blessure abyssale qui touche à l’être même de Jésus, lui qui disait « le Père et moi nous sommes uns » ?

Mais, tout aussi mystérieux est le fait que Jésus soit resté dans l’amour, la confiance et l’espérance. Aucune trace de révolte en lui. Dans un cri, il dit son abandon devant Dieu, par les premières paroles du Psaume 22. Un psaume qui se termine par l’annonce de sa résurrection.

Dans son abandon, Jésus a vécu la plus grande foi, le plus grand amour et la plus grande espérance. La rencontre avec lui et sa vie en nous nous donne de vivre ainsi quand tout s’écroule.

Ce qui fait la particularité du Coronavirus est qu’il porte gravement atteinte à nos interactions sociales. Il est dans notre nature humaine de nous rencontrer en face à face, de nous parler, de nus toucher et de manger ensemble.  

Le cri de Jésus au Père, « Eli, Eli, lema sabachthani ? » donne un message profond qui rejoint notre situation actuelle. Dans sa séparation d’avec le Père, Jésus vit en solidarité avec nous. Sa croix nous appelle être à la fois remplis de confiance envers le Père et solidaires les uns des autres.  

Père, où étais-tu lorsque Jésus a crié

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Quelle œuvre accomplissais-tu dans cet abandon

qu’il a éprouvé de tout son être ?

Mon esprit ne peut en saisir la profondeur.

Est-ce à ce moment que tu réconcilies le monde avec toi ?

que tu détruits la mort par sa mort ?

que tu enlèves le péché du monde ?

que tu nous guéris dans son immense blessure ?

que tu chasses toutes ténèbres ?

que tu désarmes notre ennemi ?

que tu ouvres le paradis ?

 

O Père, mon esprit ne peut saisir cette œuvre en ton Fils.

Dans sa résurrection, éclaire-moi !

Par son Esprit en moi, libère-moi !

Par sa présence parmi nous, conduis-moi !

 

« Père, entre tes mains, je remets ton Esprit » !

Voici la plus concise parole sur le mystère de la Trinité : le Fils remet l’Esprit au Père ! C’est au moment où Jésus vit l’abandon qu’il révèle la profondeur du lien qui l’unit au Père ! C’est ici où il se manifeste comme la « Parole tournée vers Dieu » dans l’amour, depuis l’origine (Jean 1,2).

Dans l’union avec lui, le Christ vit en nous pour que notre vie soit également tournée vers le Père, envers et contre tout, dans les vallées obscures comme sur les sommets lumineux. Le sens de notre vie est désormais de marcher avec lui, présent parmi nous comme notre grand frère qui nous conduit vers le Père.

Avec lui, la vie devient un saint et merveilleux voyage où nous ne serons plus jamais seuls. Nous pouvons compter sur sa grâce qu’il nous donnera des compagnons et des compagnes de route avec qui vivre sa promesse « là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ». (Mat 18,20).

Par ton humble incarnation,

Par ta naissance dans une étable,

Par ta vie cachée durant trente ans,

Par tes paroles de lumière et de vie,

Par ta passion et ta mort

où tu es resté sans cesse

tourné vers le Père, dans l’amour,

malgré la douleur de l’abandon,

tu nous a révélé, Jésus,

que tu es le Fils bien aimé,

constamment tourné vers le Père,

se donnant à lui pour habiter en lui,

refusant toute suffisance.

 

Par là-même, tu nous as révélé le Père,

lui aussi constamment tourné vers toi,

se donnant à toi pour habiter en toi.

 

Du même coup tu nous a révélé l’Esprit,

l’infusant dans notre cœur

pour vivre en toi et dans le Père.

Il nous tourne et nous donne à lui,

comme il nous tourne vers le Fils

et nous donne à lui, sans repliement.

 

II. Lire ici les trois paroles sur la croix dans l’évangile de Jean

Une question

  • Quelle parole prononcée sur la croix par Jésus m’aide à mourir avec Christ et quelle parole m’aide à laisser Christ vivre en moi… concrètement ?

 


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