Annonciation. Icone ethiopienne

La fête de l’Annonciation. Silence et confiance devant le mystère

Aujourd’hui, le 25 mars, est le jour de l’Annonciation. Si nous avions vécu il y a 150 ans, le jour aurait été férié et nous aurions eu un culte dans les églises du Canton de Vaud (à plus de 90% protestant à l’époque).1 Ou peut-être serions-nous allés à la cathédrale de Lausanne, où un culte attirait la foule au « jour de la Dame ». Mais aujourd’hui…elle est déserte pour cause de « Coronavirus »!

 

Les Homélies mariales d’Amédée de Lausanne

Un des plus grands évêques de ma ville, Amédée de Lausanne, mort en 1159, a écrit des « Homélies mariales », qui ont été éditées par les « Sources chrétiennes » (Le seul docteur « helvète » à figurer dans cette fameuse collection). Elles ont eu une influence certaine sur le portail peint de la cathédrale de Lausanne, cette œuvre d’art qui est probablement la plus importante et originale dans notre canton.  

Parlant de l’Annonciation, Amédée met l’accent sur la petitesse de Marie et sur la grandeur du Christ. Ce contraste entre petitesse et grandeur se traduit dans le portail peint à travers la taille gigantesque du Christ par rapport à Marie. La mère du Christ, si elle est mère du Seigneur, est aussi et d’abord l’humble et petite servante : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta Parole ».

Voilà ce qu’écrit Amédée au sujet de l’Annonciation : « Il est enfermé dans le sein d’une mère, celui dont l’immensité renferme tout l’ensemble du ciel et de la terre. Et celui que ne peuvent contenir les cieux des cieux, les entrailles de Marie l’étreignent ». (3e Homélie, II,224)

Or pour Amédée, tout ce qu’a vécu Marie, l’Eglise est appelée à le vivre, sauf, évidemment sa maternité physique du Fils éternel de Dieu. « Marie précède, l’Eglise suit ». Si Marie a fait naître physiquement le Christ, l’Eglise le fait naître spirituellement dans le cœur des fidèles.

Au jour de l’Annonciation, comme le dit Amédée, les entrailles de Marie sont devenues le ciel qui étreint Dieu. Dieu est descendu en elle et a établi en elle sa demeure. Il s’est fait petit en elle afin de nous montrer qu’il veut descendre en chacun de nous et faire de nos cœurs son ciel.

Le message de l’Annonciation c’est que le ciel qui ne peut contenir Dieu devient intérieur à chacun. En Marie d’abord, puis en chaque membre du corps du Christ, le Fils de Dieu veut faire sa demeure par la foi. Physiquement pour Marie, spirituellement pour les autres.

Tout cela, Claire d’Assise le dira à la même époque comme Amédée, dans une belle lettre à Agnès de Prague : « Attache-toi à cette très douce Mère qui a mis au monde cet enfant que les cieux ne pouvaient contenir ; elle, pourtant, l’a contenu dans le petit cloître de son ventre et l’a porté dans son sein virginal… De même donc que la glorieuse Vierge des vierges l’a porté matériellement, de même toi tu pourras toujours le porter spirituellement dans ton corps… »

Mais reconnaissons que tout cela échappe complètement à l’analyse de la raison humaine. Qui pourra décrire la venue du Seigneur sur Marie ? Certes l’ange dit que pour Dieu rien n’est impossible ; tout est simple pour lui. Mais lui seul connaît le chemin qui l’a conduit à descendre sur Marie. Lui seul connaît les voies pour rejoindre nos cœurs. Il nous suffit de croire qu’il se met continuellement en mouvement pour frapper à la porte de nos cœurs et en faire le ciel où il veut habiter.

 

Silence et confiance

Quelle attitude avoir devant ce mystère de Dieu qui vient à nous ? Dans le texte de l’Annonciation j’en vois deux : le silence et la confiance.

Silence car nous sommes devant un mystère insondable. Nous sommes devant celle qui est la plus petite des servantes du Seigneur. Mais nous sommes aussi devant celle en qui toutes les promesses de la venue de Dieu parmi les hommes s’accomplissent. Silence intérieur car les mots nous manquent pour décrire les traces de la venue si humble de Dieu dans notre humanité. Ce même silence devrait nous habiter lorsque nous méditons sur les visites si surprenantes de Dieu, que nous-mêmes vivons. Qui est capable de cerner son œuvre en nous ?

Confiance, car c’est Dieu qui parle et agit. Et Dieu ne veut jamais nous faire de mal,  mais ne désire que notre bien. C’est pourquoi il nous appelle toujours à nouveau à lui dire oui, et le choisir comme unique bien dans notre vie. A redire avec Marie : « Je suis la servante, le serviteur du Seigneur ». Et vivre sa Parole pas après pas sur les chemins où l’Esprit saint nous appelle.  

Silence et confiance, tels étaient les deux attitudes de Marie quand le serviteur de l’Esprit Saint l’a visitée pour faire du « petit cloître de son ventre » « le ciel qui étreint le Fils de Dieu ».

Silence et confiance, telles sont les deux attitudes à acquérir lorsque le ciel nous visite. Quand nous visite-t-il ? A chaque fois que nous sommes devant un frère et une sœur, nous sommes devant le ciel qui est son âme, dans laquelle demeure le Fils de Dieu. Même si ce ciel est troublé par de sombres nuages. Recueillons-nous devant ce ciel qui vient à nous en chaque rencontre et vivons dans le silence intérieur et la confiance. 

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Un texte d’Amédée de Lausanne 

      « L’Esprit Saint viendra sur toi ». Il surviendra en toi, Marie. En d’autres saints il est venu, en d’autres il viendra ; mais en toi, il surviendra… Il surviendra par la fécondité, par l’abondance, par la plénitude de son effusion en tout ton être. Quand il t’aura remplie, il sera encore sur toi, il planera sur tes eaux pour faire en toi une œuvre meilleure et plus admirable que lorsque, porté sur les eaux au commencement, il faisait évoluer la matière créée jusqu’en ses diverses formes (Gen. 1,2). « Et la force du Très Haut te prendra sous son ombre ». Le Christ, force et sagesse de Dieu, te prendra sous son ombre ; alors de toi il prendra la nature humaine, et la plénitude de Dieu que tu ne pourrais pas porter, il va la garder tout en assumant notre chair. Il va te prendre sous son ombre parce que l’humanité qui sera prise par le Verbe fera écran à la lumière inaccessible de Dieu ; cette lumière, tamisée par son écran, pénétrera tes entrailles très chastes…

Dis-nous quel sentiment t’a émue, quel amour t’a saisie…lorsque cela s’est accompli en toi, lorsque le Verbe a pris chair de toi ? Dans quel état se trouvait ton âme, ton cœur, ton esprit, tes sens et ta raison ? Tu flambais comme le buisson qui jadis a été montré à Moïse, et tu ne brûlais pas (Ex. 3,2). Tu te fondais en Dieu, mais tu ne te consumais pas. Ardente, tu fondais sous le feu d’en haut ; mais de ce feu divin tu reprenais des forces, pour être toujours ardente et te fondre encore en lui… Tu es devenue plus vierge –- et même plus que vierge, parce que vierge et mère. (3ème homélie mariale, Sources Chrétiennes, 72, p. 107)

 

Une lettre de Claire d’Assise  

Attache-toi à cette très douce Mère qui a mis au monde cet enfant que les cieux ne pouvaient contenir ; elle, pourtant, l’a contenu dans le petit cloître de son ventre et l’a porté dans son sein virginal.

Qui ne se détournerait avec horreur de l’ennemi du genre humain et de ses ruses ; il fait miroiter à nos yeux le prestige de gloires éphémères et trompeuses, et s’efforce par là de réduire à néant ce qui est plus grand que le ciel. Car l’âme d’un fidèle, qui est la plus digne de toutes les créatures, est évidemment rendue par la grâce de Dieu plus grande que le ciel : ce créateur, que les cieux immenses et toutes les autres créatures ne peuvent contenir, l’âme fidèle à elle seule devient son séjour et sa demeure ; il suffit pour cela de posséder ce que refusent les impies : la charité. Celui qui est la vérité même en témoigne : « Celui qui m’aime, mon Père l’aimera ; moi aussi je l’aimerai, et nous viendrons à lui et nous ferons en lui notre demeure » (Jn 14,21.23).

De même donc que la glorieuse Vierge des vierges l’a porté matériellement, de même toi tu pourras toujours le porter spirituellement dans ton corps chaste et virginal si tu suis ses traces, et particulièrement son humilité et sa pauvreté ; tu pourras contenir en toi Celui qui te contient, toi et tout l’univers ; tu le posséderas de façon bien plus réelle et plus concrète que tu ne pourrais posséder les biens périssables de ce monde. (3e Lettre à Agnès de Prague)

 

Amédée de Lausanne [1110 – 1159]

Amédée est né vers 1110 au château de Chatte, il appartenait à la maison de Clermont. Son père entre à l’abbaye de Bonnevaux avec son fils qui n’avait pas encore atteint l’âge de dix ans. En 1125, Amédée commence son noviciat à Clairvaux sous la direction de saint Bernard, et en 1139, il est nommé abbé d’Hautecombe. Mais, en 1144, il doit renoncer à cette fonction pour accepter celle d’évêque de Lausanne. Aux tâches qui concernant l’administration de son diocèse s’ajoutèrent des missions particulières qui firent participer Amédée à la politique de l’époque. À plusieurs reprises, il accompagne l’empereur (Spire 1146 et 1154, Besançon 1153, Worms 1154) et assiste aux diètes impériales (Roncaille 1158). La date exacte de sa mort, longtemps controversée, a été fixée par les historiens au 27 août 1159. 

1 Le Pays de Vaud a adopté la Réforme en 1536. Mais ce n’est qu’en 1863 que, suite à des pressions anticatholiques, le Grand Conseil vaudois décida sa suppression au profit de Vendredi saint. Voir à ce sujet E. Dupraz, La cathédrale de Lausanne, Ed. Notre Dame, 1957, p. 252.


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