bon berger

Aux juifs d’abord ! Le mystère d’un peuple

Comment comprendre l’affirmation que Paul répète à plusieurs reprises que l’Evangile concerne d’abord les juifs? »Je n’ai pas honte de l’Evangile. Il est une puissance de salut pour quiconque croit, du juif d’abord mais aussi du non-juif« .(Romains 1,16).

Cette parole garde-t-elle une actualité? Si oui, quel est son sens pour le ministère de l’Eglise aujourd’hui ? 

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1. L’Évangile pour tous

D’abord je voudrais dire que l’Evangile est universel. Si Jésus a limité son ministère de trois ans en Galilée et en Judée à la maison d’Israël, après sa résurrection la mission de l’Eglise s’étend à l’humanité entière : « Allez dans le monde entier et de toutes les nations faites des disciples ». (Matthieu 28,19)

Jésus, s’il est venu d’abord pour les « brebis perdues d’Israël » veut être le Berger de tous. C’est ce que voit le visionnaire de l’Apocalypse :

« Une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues » …

« L’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. » (9,14-17)

Comme l’Apocalypse, l’apôtre Paul a cette vision universelle. Il est envoyé vers les nations, pour en être l’apôtre.

Dans la pensée gréco-romaine de son époque, le monde était divisé en deux  parties : les grecs et les barbares (Rom 1,14). Pas de communion entre eux !

Or Paul veut apporter l’Évangile à tous. L’Évangile est inclusif dès le début.

Pour lui comme pour tout le reste du Nouveau Testament, Jésus est le bon berger qui a donné sa vie pour tous.

La fine pointe de sa théologie est l’appel à l’unité entre juifs et païens. Unité rendue possible par l’œuvre du Christ, mort et ressuscité pour tous « Accueillez-vous les uns les autres comme le Christ vous a accueillis, pour la gloire de Dieu » (Rom 15).

 

2. Un tournant

Je vous invite maintenant à relire ce récit du livre des Actes des apôtres au chapitre 13.

Paul et Barnabas sont à Antioche de Pisidie. Leur mission a du succès mais suscite aussi la jalousie de quelques juifs. Ceux-ci les contredisent et provoquent cette réplique des deux apôtres :

« Il était nécessaire que la parole de Dieu vous soit dite, à vous d’abord ; mais puisque vous la repoussez et que vous ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, nous nous tournons vers les non-juifs. Car le Seigneur nous a donné cet ordre : « J’ai fait de toi la lumière des nations pour porter le salut jusqu’aux extrémités de la terre » (v. 46-47).

Le moment est critique !

Devant la fermeture des juifs, les deux missionnaires se tournent vers les non-juifs, car ils ont cette conviction que Jésus est devenu le berger non seulement du peuple juif mais de toutes les nations.

 

3. A vous d’abord !

Revenons à cette affirmation où Paul et Barnabas reconnaissent une priorité dans la mission :

« Il était nécessaire que la parole de Dieu vous soit dite, à vous d’abord ».

Comment la comprendre ?

Comment, pour être plus précis, comprendre ce mot « d’abord » ?

Plus tard, Paul fera une déclaration semblable lorsqu’il écrira aux chrétiens de Rome :

« Je n’ai pas honte de la bonne nouvelle ; elle est en effet puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif d’abord, mais aussi du non-juif. » (Rom 1,16)

Le salut est destiné à tous. C’est ce que Paul dit avant tout, puis il introduit une priorité : « pour les juifs d’abord ».

Quel est le sens de ce « pour les juifs d’abord » ?

Cette question nous introduit dans le mystère du peuple juif, un des thèmes les plus controversés dans l’histoire de l’Église.

Aujourd’hui encore elle suscite débats et tensions accentués par le conflit israélo-palestinien !

Il y a plusieurs manières de comprendre ce « d’abord » :

 

A. Interprétation chronologique.

Historiquement c’est d’abord à des juifs que l’Évangile a été annoncé. Jésus lui-même a dit : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ». (Mat 15,24). Durant son ministère terresrtre, il demande à ses disciples de ne pas aller vers les païens mais seulement vers la maison d’Israël (Mat 10,5-6). Ce n’est qu’après sa résurrection que Jésus les envoie dans toutes les nations.

Cependant Paul n’utilise pas le verbe au passé, mais au présent : c’est maintenant qu’il y a cette priorité. L’Évangile est aujourd’hui puissance de Dieu pour le juif qui croit comme pour les gens des nations.

 

B. Interprétation stratégique

L’Évangile ne peut être compris en dehors des Écritures du peuple hébreu.

Jésus, puis les apôtres, s’adressent d’abord à ceux qui connaissent l’histoire du peuple juif, ceux qui attendent le fils de David, le Messie d’Israël. Cela a été la stratégie des apôtres et elle a eu du succès!

En effet au commencement de la prédication apostolique beaucoup d’enfants d’Israël ont mis leur confiance en Jésus. Il est faux de dire qu’ils l’ont rejeté dès le début.

Le Nouveau Testament montre une progression : d’abord 12 juifs, puis 70, 500, 3000 et 5000 reconnaissent en Jésus le Messie d’Israël.

Dans le chapitre 21 du livre des Actes (v. 20) Paul dit même à Jacques qu’il y a des myriades de juifs qui ont cru à l’Évangile. Or une myriade représente 10’000 personnes.

Il y avait donc au moins 10’000 juifs croyant en Jésus à l’époque où Paul rencontre Jacques à Jérusalem.

Mais plus tard, à l’époque où il écrit aux Romains, Paul constate que son peuple ne répond plus aussi positivement (Rom 11).

C’est l’expérience qu’il fait déjà à Antioche de Pisidie.

 

C. Interprétation à partir de l’alliance.

Dans sa lettre aux Romains, Paul affirme que Dieu n’a pas rejeté son peuple (11,1).

« Aux Israélites appartiennent l’adoption filiale, la gloire (la « Shekina »), les alliances, la loi, le culte, les promesses » (9,4).

L’appel et les dons de Dieu sont irrévocables (11,29).

Les juifs n’ont donc pas perdu leur priorité comme peuple de l’alliance. Ils sont proches de Dieu.

A cause de l’Alliance de Dieu avec Israël, il y a une « priorité divine » : c’est d’abord vers le peuple juif que la mission des apôtres se tourne.

Revenons au récit de la prédication de Paul et Barnabas à Antioche de Pisidie ! Nous voyons qu’ils se tournent vers les païens après que les juifs leur ont tourné le dos (Actes 13,46).  

Est-ce à dire que Paul se détourne d’eux définitivement ? Pas du tout! On voit en effet dans les chapitres suivants qu’il continue à visiter d’abord les synagogues dans ses voyages.   

Paul continue à annoncer l’Évangile au juif d’abord et au grec ensuite, car il y a une priorité divine

 

4. Est-ce encore valable aujourd’hui ?

Oui, cette priorité divine garde toute son actualité. L’élection d’Israël est irrévocable et l’alliance demeure. 

Ce que Paul affirme à ce sujet ne se limite pas au premier siècle de notre ère, mais est valable pour tous les siècles.

Je précise que quand ici j’utilise le terme « Israël », je parle d’abord du peuple juif, pas de la terre sur laquelle une partie de celui-ci habite. Certes, pour ce peuple, Jérusalem et cette terre gardent une signification permanente.

C’est ce qui rend la situation de cette terre si complexe!

Je le répète : l’alliance entre Dieu et ce peuple demeure!

Ce n’est pas moi qui le dit. Ce sont les premiers disciples de Jésus, comme le dit Pierre aux habitants de Jérusalem :

« Vous êtes les fils des prophètes et de l’alliance que Dieu a établie avec vos pères en disant à Abraham : toutes les familles de la terre seront bénies en ta descendance. C’est à vous d’abord que (le Messie) a été envoyé… » (Actes 3,25-26)

Si l’Evangile s’adresse à toutes les nations, il ne faut pas dire qu’il ne s’adresse plus aux juifs.

Certes, l’Évangile est pour toutes les nations.

Mais parce qu’Israël est le peuple de l’alliance, l’Évangile s’adresse d’abord à lui.

Jésus est donc à jamais le Berger d’Israël et des nations.

Il reste le Berger du peuple d’où il est issu, depuis sa résurrection. « Dieu a-t-il rejeté son peuple ? Jamais de la vie ! » (Rom 11,1).

Ses yeux sont constamment tournés vers lui.

Voici le « mystère d’Israël » dans toute sa profondeur. Un mystère que nous ne devons pas ignorer (Romains 11,25).

A son sujet Paul s’exclame : « O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voies impénétrables ! » (Romains 11,33)

 

5. Quelles conséquences pour nous aujourd’hui ?

Il faut reconnaître que, très tôt et tragiquement, l’Eglise issue des nations n’a pas reconnu cette priorité divine du peuple juif.

Au lieu de vivre avec lui l’Evangile de l’amitié, elle lui a tourné le dos.

Au lieu de faire le premier pas vers lui pour l’accueillir comme le Christ l’a accueillie, l’Eglise l’a exclu de la communion ecclésiale.[1]

 Au lieu de vivre avec lui le commandement nouveau de l’amour réciproque, l’Eglise a justifié sa persécution.

Au lieu de vivre avec lui la joie, la simplicité et la miséricorde des Béatitudes, elle a été pour lui cause de peur et de tristesse.

 

J’aimerais terminer ce message par quelques questions et une prière.

– Comment comprenons aujourd’hui que l’Évangile est « pour les juifs d’abord » ?

– Qu’est-ce que cela signifie dans notre attitude par rapport au peuple juif ?

– Comment nous repentons-nous de tout le mal qui lui a été fait à travers des siècles d’antisémitisme ? … Hostilité qui demeure aujourd’hui !

– Comment impliquons-nous le peuple juif dans nos prières ?

– Comment soutenons-nous le dialogue avec le peuple juif, comme il s’est développé depuis plus de 70 ans dans le cadre des « Amitiés judéo-chrétiennes » ?

– Quelle place faisons-nous à des personnes d’origine juive dans nos communautés ?

– Comment nous connectons-nous aux racines juives de notre foi chrétiennes ?

– Et finalement si l’annonce de l’Évangile s’adresse à tous, mais aux juifs d’abord, quelle priorité cela implique-t-il dans le ministère actuel de l’Église ?

 

Prière

Père, nous avons besoin de ton Esprit
pour pénétrer le mystère d’Israël.
Ce peuple que, dans ton amour,
tu as choisis et appelé,
gardé et relevé.
Ce peuple par lequel tu as donné Jésus,
le Messie qui a vécu dans ta justice.
Par lui tu unis Israël à tous les peuples
pour qu’ensemble nous soyons tes peuples
appelés à proclamer tes merveilles
et à rechercher ta justice, rien que la justice.

Image : Le Bon Berger. Mosaïque, première moitié du 5e siècle. Mausolée de Galla Placidia, Ravenne

 

1 Par exemple le canon 8 du 2e Concile de Nicée (787) exclut la culture juive de l’Eglise. La dimension judéo-chrétienne de l’Église est définitivement proscrite :
« Vu que certains sectateurs de la religion juive dans leur erreur ont imaginé de se moquer du Christ notre Dieu, feignant d’être chrétiens et reniant le Christ en secret, en gardant en cachette le sabbat et accomplissant d’autres rites de la religion juive : nous ordonnons qu’on n’admette de telles gens ni à la communion, ni aux offices, ni à l’Église, mais qu’ils restent juifs selon leur propre religion, et qu’ils ne fassent point baptiser leur enfant, ni n’achètent ou possèdent un esclave. Si cependant quelqu’un d’entre eux se convertit d’une foi sincère et confesse le christianisme de tout cœur, dévoilant publiquement leurs coutumes et leurs rites, au point de reprendre et corriger d’autres personnes, celui-là qu’on le reçoive et qu’on baptise lui et ses enfants et qu’on s’assure qu’ils ont renoncé aux manières de vivre juives ; s’il n’en est pas ainsi, qu’on ne les reçoive point ».


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